Judith Chetrit
La flottille pour Gaza reste au point mort sur les côtes grecques.
L’embarcation française "Dignité Al-Karama", qui avait réussi à déjouer la surveillance des garde-côtes, a été interceptée mercredi 6 juillet dans l’après-midi alors que la vedette de 19 mètres de long faisait escale en Crète pour se ravitailler en fioul. Tentative également avortée pour le navire américain Audacity of Hope et le canadien Tahrir.
Cette interception s’inscrit dans la lignée du communiqué publié dimanche par le ministère grec des Affaires étrangères. Les bateaux à destination de Gaza ne seraient pas autorisés à quitter ses ports, pour des raisons de sécurité conformément aux recommandations des Nations Unies et de l’Union Européenne.
Un blocus délocalisé en Grèce ?
Cette prise de position déterminée de la Grèce marque une nouvelle étape dans le rapprochement entre la Grèce et Israël. "Les organisateurs de la flottille n’ont pas pris en compte le fait que la Grèce de juillet 2011 n’est pas la Grèce de mai 2010", alerte un officiel israélien, cité par l’article "Le mariage à la grecque de Netanyahu" du quotidien israélien Haaretz.
La Grèce a justifié son interdiction par la nécessité de "protéger les passagers" à bord de la dizaine de bateaux qui constituent la flottille, dont deux cargos. L’Etat hébreu a menacé à plusieurs reprises du recours à la force pour arrêter l’opération, échaudé par l’expérience de l’année dernière où neufs militants turcs avaient été tués après que le Mavi Marmara a été intercepté par des commandos israéliens.
Les activistes de la flottille ont adopté une position très critique à l’égard des obstacles juridiques imposés par la Grèce et l’ont accusé de délocaliser le blocus de Gaza aux côtes grecques. Pour mettre fin aux accusations de mauvaise foi, le Premier ministre grec George Papandréou a proposé que son pays prenne en charge la cargaison de la flottille.
Combler le vide diplomatique entre Israël et la Turquie ?
Le premier ministre Benjamin Netanyahu a communiqué sa gratitude : "Je tiens à remercier tous les responsables politiques du monde d’avoir récemment pris position en paroles et en actes contre cette flottille qui était une provocation". Dans son discours, le seul responsable politique mentionné est le grec George Papandréou.
Bien que les responsables israéliens aient pris note de la non-participation turque à la seconde flottille pour Gaza, les relations diplomatiques entre la Turquie et Israël en sont sorties empirées. "La principale cause du changement de stratégie grecque réside dans la détérioration des relations entre la Turquie et Israël. La Grèce a profité des circonstances, elle ne s’est pas créée les conditions d’une ouverture à Israël", analyse Giorgios Tzogopoulos, chercheur à la fondation hellénique pour la politique étrangère et européenne, pour l’agence de presse AP.
Le malaise avec la Turquie, feu partenaire privilégié dans le bassin méditerranéen, n’est pas sur le point de se conclure, comme l’a montré la rencontre mercredi 6 juillet à New York entre le ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman avec son homologue turc, Ahmet Davutoglu. Ils ont tous deux refusé de signer la rapport de l’ONU sur la première flottille de Gaza qui qualifie l’abordage du ferry de méthode "excessive et déraisonnable". "En ce qui nous concerne, il n’y a aucune raison de nous excuser", a affirmé Avidgor Lieberman. Lors d’une conférence de presse le même jour à Bucarest en Roumanie, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a renchéri : "Nous ne sommes pas ceux qui ont provoqué la détérioration de nos liens. Nous continuons de chercher des moyens qui pourront améliorer ces relations".
Une amitié qui arrive à point nommé ?
Si le discours officiel reste modéré, les faits s’avèrent éloquents. Le virage diplomatique entre la Grèce et Israël a commencé dans les semaines qui ont suivi l’assaut israélien sur le navire Mavi Marmara avec la première visite en juillet 2010 d’un Premier ministre grec depuis la reconnaissance de l’Etat d’Israël par la Grèce en 1991. Un voyage diplomatique qui conserve une tonalité personnelle puisqu’elle place en contrepied le fils George à son père Andreas, chef du gouvernement grec de 1981 à 1989 puis de 1993 à 1996, première période durant laquelle il avait développé des relations particulières avec les officiels palestiniens comme Yasser Arafat pour promouvoir le leadership de la Grèce dans le Tiers-monde (la politique du Tritokosmicos en grec)
Symboles de cette amitié renforcée : des exercices militaires conjoints entre les forces aériennes israéliennes et grecques dans la base de Palmahim en Grèce, une hausse de 50% des séjours touristiques des Israéliens en Grèce alors qu’ils se rendent de moins en moins en Turquie. D’autres soulignent l’intérêt économique de cette nouvelle amitié : Israël aurait-il payé la Grèce, dont l’énorme dette oblige le pays à multiplier les mesures d’austérité budgétaire ? Toujours selon l’article d’Haaretz souligné plus haut, un diplomate israélien souligne que "Netanyahu est devenu le lobbyiste de la Grèce auprès de l’Union européenne". Dès son retour en Suède ce jeudi 7 juillet, l’écrivain de romans policiers Henning Mankell a exprimé son mécontentement : "Nous ne sommes pas partis parce que le gouvernement grec a vendu son âme contre une pièce d’argent, a cédé aux menaces israéliennes, aux menaces américaines et ne nous a pas laissés partir, ce qui est évidemment un scandale". Un mariage diplomatique en somme dont la dot reste inconnue.
Judith Chetrit - Le Nouvel Observateur http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...