lundi 13 juin 2011

Le Jour de la Naksa à Qalandya

publié le lundi 13 juin 2011
Tamar Fleishman
 
Il a commencé par une manifestation. Les femmes marchaient en tête, pour une protestation civile non violente.
Les manifestants qui se dirigeaient vers le check-point ont été bloqués par les armes. Des lacrymogènes et des grenades assourdissantes. Les plus jeunes des manifestants n’ont pas reculé, et ils se sont mis à lancer des pierres. Certains d’entre eux étaient de vieilles connaissances, d’autres se voyaient pour la première fois. Ils habitaient le camp et les villes voisines où ils passaient leur enfance et leur adolescence dans des ghettos qui les emprisonnaient, corps et âme.
Quand le désordre s’est installé, les soldats se sont mis à leurs postes à l’épreuve des balles : à l’entrée des maisons, aux fenêtres des étages supérieurs et sur les terrasses.
Maintes et maintes fois, les grenades ont tonné, les balles ont sifflé et les émanations étouffantes des gaz ont survolé la manifestation.
Il n’y avait que le vent à ne pas obéir aux lois ni respecter les ordres, il changeait de direction et retournait les gaz sur ceux qui les avaient lancés. Les désarmés ont eu de courts moments de satisfaction. Mais l’arsenal militaire est varié, et inventif : le véhicule « Moufette » s’est mis dans la danse, il a aspergé les jeunes d’un liquide bleu incandescent dégageant une puanteur de carcasses en décomposition. Cette odeur ajoutée aux émanations de gaz et à celle des eaux usées qui, comme toujours, ruisselaient dans les ruelles, tout cela formait une puanteur difficile à supporter.
Pendant les courts répits entre les périodes de tirs, les jeunes se préparaient en poussant leurs chants de protestation. Même si on ne comprenait pas les paroles, on reconnaissait bien la mélodie. En réponse, les autres se mettaient à tirer, provoquant le repli des chanteurs.
Les deux camps ne différaient pas seulement par leur nationalité, leurs tenues et leur armement.
Les militaires avaient été postés à cet endroit éloigné et inhabituel, ils exécutaient intégralement les ordres et étaient soutenus par un système gouvernemental ; de leur côté, les troupes de jeunes n’avaient été postées là par personne, et elles ne recevaient aucun soutien. Personne ne les avait envoyées là. Chaque jeune était venu et se battait de lui-même, selon son propre code moral personnel.
Dès que les chefs militaires eurent repéré, parmi les manifestants, deux frères de la famille Abu-Rahma, deux héros de Bil’in, des soldats furent envoyés pour les maîtriser et les arrêter. Les frères ont alors été agressés et leurs visages aspergés. En geste de solidarité, des dizaines de personnes se sont regroupées autour d’eux, repoussant les soldats et formant un barrage humain impénétrable qui ne fut brisé qu’une fois que les amis des deux frères les eurent emmenés en ambulance et éloignés du lieu.
Le Jour de la Naksa, c’est le nom donné à ce jour, le jour de revers. Aucun des manifestants ne semblait avoir subi un revers ou une défaite.
Nous en avons vu des centaines de la jeune génération - la troisième depuis l’occupation - et ils étaient fiers, crâneurs et audacieux.
A voir les individus qui composaient tout cet ensemble, il aurait été plus approprié que cette journée soit appelée, « le jour de la honte ».
Beaucoup de ceux qui ont provoqué ces évènements devraient se cacher le visage de honte. Mais ils ne réalisent pas le côté scandaleux de leurs actes, ils ne sont pas allés jusqu’au fond de leur âme.
Ils n’ont pas ressenti la honte alors qu’ils s’emparaient du bien des autres et s’en servaient comme s’il était le leur, alors qu’ils empêchaient les commerçants d’entrer dans leur boutique pour gagner leur vie, alors qu’ils envahissaient l’entrée ombragée et soignée d’un domaine, et qu’ils en faisaient un lieu de gîte et de couvert, laissant sur le seuil leurs restes et les douilles de leurs cartouches.
Ils n’ont pas rougi de honte et ne se sont pas tordus les mains d’horreur en entendant l’ordre : « Permission de tirer à balles caoutchouc contre les lance-pierres ! », après quoi des rafales de tirs ont retenti, les tireurs xx applaudissaient et dansaient sur les terrasses en voyant leurs victimes se faire évacuer.
Même chose pour leurs amis qui n’ont pas hésité à ouvrir leur pantalon pour uriner à l’entrée d’un jardin de derrière dans une allée du camp de réfugiés.
Tous, chefs et subordonnés, ont quitté l’endroit, enjoués et rieurs, sans noter la marque de Caïn qui s’était imprimée au fer rouge sur leur front.
Membre de Machsom Watch*, Tamar Fleishman s’en va, une fois par semaine, sur les check-points entre Jérusalem et Ramallah, pour informer sur ce qui s’y passe. Cette documentation (rapports, photos et vidéos) est disponible sur le site de l’organisation : www.machsomwatch.org (en hébreu). La majorité des focus (page d’opinion) qui sont publiés sur le site ont été écrits par elle. Elle est également membre de la "Coalition des Femmes pour la paix", et militante dans l’organisation "Briser le Silence". Elle a écrit cet article pour PalestineChronicle.com
* Machsom Watch est une association israélienne de femmes se consacrant à la surveillance du comportement des soldats sur les points de contrôle de l’armée israélienne. Machsom est le mot hébreu (et devenu palestinien) des « checkpoints ». Watch est le mot anglais pour surveillance.
Traduit en anglais par Fleishman Ruth
et de l’anglais par JPP pour l’AFPS