Nous refusons de laisser notre Etat de Palestine se faire ensevelir sous quarante années supplémentaires d’expansion des colonies israéliennes. Nous, Palestiniens, allons continuer d’œuvrer pour la reconnaissance de notre Etat dans les frontières de 1967.
S’exprimant le 24 mai devant le Congrès américain, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a présenté sa "vision de la paix" pour Israéliens et Palestiniens. Il a en particulier décrit la forme que devrait prendre, selon lui, un Etat palestinien : ses frontières seraient déterminées en fonction des préoccupations d’Israël pour sa sécurité et ne reprendraient pas les lignes de 1967, pourtant reconnues par la communauté internationale ; aucune partie de Jérusalem ne pourrait accueillir sa capitale ; il devrait accepter la présence de troupes étrangères sur son sol. Quant aux réfugiés palestiniens expulsés par l’Etat hébreu, il n’y aurait pour eux ni droit au retour ni réparations.
Cette vision de Netanyahou, visiblement troublée par la myopie, ne marque rien d’autre que l’apogée de sa politique coloniale et colonisatrice. Ce n’est pas une paix, c’est l’apartheid. Ce n’est pas un Etat souverain pour les Palestiniens, c’est la perpétuation déguisée de l’occupation militaire israélienne.
Selon Netanyahou, les frontières de 1967 sont "indéfendables". Il ne comprend manifestement pas qu’Israël n’aura jamais de frontières défendables tant qu’elle exercera sa domination sur les Palestiniens et sur leurs terres. Ce que les Palestiniens offrent à Israël depuis désormais plus de dix ans, c’est non seulement un accord de paix bilatéral qui mette fin à toutes les revendications, mais aussi une paix régionale globale entre l’Etat hébreu et cinquante-sept autres Etats telle que l’a proposée l’Initiative de paix arabe de 2002 et telle que la soutient l’Organisation de la conférence islamique. Non seulement nous tendons la main à Israël pour que prenne fin le conflit israélo-palestinien, mais nous mettons aussi sur la table la paix et la normalisation des relations entre Israël et ses voisins. En mettant un terme à l’injustice historique infligée au peuple palestinien, Israël obtiendrait enfin cette sécurité qu’elle réclame depuis si longtemps.
Les frontières de 1967 ne constituent pas quelque "condition préalable palestinienne", ni un nouveau paramètre imaginé par le gouvernement Obama. Les lignes de 1967 constituent les frontières internationalement reconnues entre Israël et le territoire palestinien occupé. Elles reprennent également le compromis palestinien historique de 1988, par lequel l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a reconnu Israël sur 78 % de la Palestine historique.
Céder ainsi la part du lion de notre patrimoine au nom d’une paix durable était un acte solennel témoignant de la volonté de mettre fin à des décennies de conflit et de sang versé entre Israéliens et Palestiniens. Pourtant, alors que le processus de paix est en cours depuis plus de 20 ans, alors que des milliers de personnes sont mortes ou ont été mutilées, alors que la perpétuation de ce conflit crée d’indescriptibles souffrances, Israël continue de rejeter obstinément la paix.
Les gouvernements israéliens successifs ont employé une débauche de moyens pour modifier le statu quo du territoire palestinien occupé et effacer les frontières de 1967. Au cours des quarante-quatre dernières années, Israël a consacré plus de 17 milliards de dollars à la construction de colonies. Cette entreprise néocolonialiste – un crime de guerre en vertu des conventions de Genève – conduit d’aucuns à se demander si la solution à deux Etats reste envisageable.
En tant que premier négociateur palestinien, j’ai participé à la plupart des négociations avec Israël. J’étais l’un des premiers Palestiniens arrivés à la conférence de paix de Madrid, où il nous fut assuré par George Bush, alors président des Etats-Unis, que nos discussions avec les Israéliens auraient pour cadre la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies, autrement dit, l’idée que la paix israélo-palestinienne passait par le retrait d’Israël au niveau des frontières de 1967. A l’époque, en 1991, environ 200 000 colons israéliens résidaient illégalement sur le territoire palestinien occupé. Vingt ans plus tard, ils sont presque trois fois plus nombreux. Alors que l’une des principales motivations ayant poussé l’OLP à signer les accords d’Oslo était précisément de s’assurer qu’il n’y aurait plus de velléité de revenir sur le statu quo du territoire palestinien occupé, la colonisation par Israël de terres palestiniennes s’est poursuivie sans répit. La "feuille de route" adoptée par le Quartet [en 2003] appelait au gel de la colonisation israélienne et au démantèlement des colonies de peuplement, mais Israël a refusé de s’y plier. Si Israël n’a pas jugé bon de respecter nos accords et arrangements précédents, quelle légitimité accorder à de nouvelles négociations avec les Israéliens ?
Avec son discours devant le Congrès américain, Netanyahou a achevé d’enterrer le processus de paix. Le premier ministre israélien a ainsi prouvé au monde qu’il n’est pas un homme de paix. Il n’a manifesté de respect ni pour le droit international, ni pour les accords passés. Il a rejeté le principe le plus fondamental du processus de paix : l’échange de territoires contre la paix.
Nous refusons de laisser notre Etat de Palestine se faire ensevelir sous quarante années supplémentaires d’expansion des colonies israéliennes. Nous, Palestiniens, allons continuer d’œuvrer pour la reconnaissance de notre Etat dans les frontières de 1967. Nous allons lancer la procédure de demande d’adhésion aux Nations unies et demander à l’Assemblée générale de soutenir notre appel pacifique à la concrétisation de nos aspirations nationales. En l’absence de négociations sérieuses, en l’absence de mandat clair et puisque rien de ce qui a été conclu par le passé n’est appliqué, nous n’avons pas d’autre option.
Notre peuple (dix millions d’individus dans le monde) vit depuis trop longtemps sous l’occupation ou en exil. Nous avons droit à notre liberté, nous avons droit à la justice, nous avons le droit de vivre en paix et en sécurité sur nos terres historiques. Et en dépit de tous les efforts de Netanyahou, nous sommes convaincus que notre adhésion aux Nations unies montrera que dans le monde entier, d’autres pays souhaitent eux aussi que nous jouissions de ces droits fondamentaux.
Saeb Erakat, membre du Comité exécutif de l’OLP et négociateur palestinien
publié par le Monde
Traduit de l’anglais par Julie Marcot