Adam Morrow et Khaled Moussa Al-Omrani - IPS
« Gaza sera la mise à l’épreuve de la capacité et de la volonté du nouveau gouvernement égyptien de traduire la volonté du peuple dans la politique officielle ».
Le passage frontalier de Rafah.
(photo : Adam Morrow/IPS)
Deux mois après l’éviction du président Hosni Moubarak, après trente ans de son règne, le nouveau gouvernement provisoire d’Égypte tourne son attention vers la politique étrangère impopulaire de l’époque Moubarak et, en premier lieu, vers le blocus israélo-égyptien qui se poursuit de la bande de Gaza.
« Il existe de fortes indications montrant que la démarche de l’Égypte à l’égard de la bande de Gaza va changer, la politique étrangère égyptienne se rapprochant de plus en plus de l’opinion populaire depuis la Révolution du 25 janvier » indique à IPS, Tarek Fahmi, professeur de science politique à l’université du Caire.
En 2006, Israël a fermé sa frontière avec la bande de Gaza quand le mouvement de résistance Hamas a remporté sa victoire écrasante lors des élections législatives palestiniennes tenues de façon démocratique. Et un an plus tard, quand le Hamas s’est emparé du contrôle de l’enclave côtière au dépens du mouvement Fatah, soutenu par les États-Unis, l’Égypte a alors fermé le terminal de Rafah - seul passage sur les 14 kilomètres de frontière de l’Égypte avec la bande de Gaza - à toute circulation de personnes et de marchandises.
Le blocus, qui entre dans sa cinquième année, a hermétiquement isolé le territoire du reste du monde, privant ses habitants - environ un million huit cent mille Gazaouis - de nombreux produits de base et de l’approvisionnement humanitaire. La bande est aussi soumise régulièrement à des frappes aériennes par Israël : rien qu’au cours des quatre derniers jours, 19 Gazaouis ont été tués par des raids aériens et des tirs d’artillerie.
A la suite de la révolution récente en Égypte, le passage de Rafah a été rouvert pour des étudiants palestiniens, des malades et des expatriés. Cependant, il est toujours interdit de faire venir sur le territoire des matériaux de construction - surtout du ciment - venant d’Israël ou d’Égypte.
Depuis les trois semaines d’agressions dévastatrices d’Israël contre le territoire en 2008/2009, la bande de Gaza reste avec un besoin extrême de reconstruction. En plus d’avoir assassiné plus de 1400 Palestiniens, l’agresseur a anéanti ou détruit partiellement des dizaines de milliers de maisons, et la grande majorité d’entre elles n’ont toujours pas été reconstruites.
« Nous ne cherchons pas après la charité ou l’aumône » dit à IPS, le président de l’association des Ingénieurs de Gaza, Kanan Said Obaid. « Nous voulons du ciment avec lequel reconstruire nos maisons et nos infrastructures démolies. »
Sous Moubarak, le ministre des Affaires étrangères égyptien justifiait sa position en se référant au pacte de sécurité parrainé par les États-Unis et conclu entre Israël et l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah. Selon cet accord, le passage de Rafah ne rouvrira pas tant que le contingent d’« observateurs » de l’Union européenne - qui a quitté la frontière après la prise de pouvoir du Hamas - ne revient pas à son poste.
Mais depuis l’éviction de Moubarak, le 11 février, et après que le Conseil suprême des Forces armées d’Égypte (le SCAF) ait pris la direction du pouvoir exécutif sur les affaires de la nation, des signes montrent que la politique égyptienne vis-à-vis de Gaza - politique toujours extrêmement impopulaire dans une grande partie de l’opinion égyptienne - est sur le point de se modifier.
« Il est choquant que la politique étrangère de l’Égypte se caractérise par... des graves entraves aux règles fondamentales du droit international, comme c’est le cas avec sa position vis-à-vis du siège de la bande de Gaza » écrit Nabil al-Arabi, nouveau ministre des Affaires étrangères nommé par le SCAF, dans l’édition du 19 février du quotidien indépendant Al-Shorouk, le lendemain même de sa nomination.
Arabi reconnait que le blocus, qui dure depuis cinq ans, « enfreint les règles du droit humanitaire international » qui, poursuit-il, « interdit le siège de civils, même en temps de guerre ».
Notamment le 29 mars, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a annoncé que l’Égypte envisageait de « réexaminer le passage de Rafah afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour arriver à plus de commodités et alléger les souffrances des habitants de la bande de Gaza ».
Les déclarations du ministère se sont trouvées mises à l’épreuve à la fin du mois dernier quand un groupe de militants égyptiens a tenté d’entrer dans la bande de Gaza, via Rafah, avec dix tonnes de ciment. Les militants ont campé sur le passage pendant une semaine, attendant l’autorisation du Caire d’entrer sur le territoire palestinien, une autorisation qui n’est jamais venue.
« Finalement, ce sont les autorités égyptiennes qui nous ont interdit d’acheminer le ciment à Gaza » dit à IPS l’un des militants, Tamer Azzam, 37 ans. « Ceci confirme que la politique sioniste de l’ère Moubarak, vis-à-vis de la bande de Gaza, reste intacte ».
Pour Fahmi, professeur de science politique mais qui est aussi le directeur du bureau d’Israël au Centre d’études sur le Moyen-Orient, basé au Caire, le ministère des Affaires étrangères d’Égypte « en est encore au stade de l’étude des moyens de rouvrir le passage de Rafah ». Il note cependant que « de tels changements majeurs dans la politique étrangère vont prendre du temps ».
« Sous Moubarak, la politique étrangère allait à l’opposé de l’opinion publique », explique Fahmi. « Mais dans l’Égypte du post-Moubarak, il faut s’attendre à ce que la position officielle du Caire s’aligne progressivement sur la volonté populaire, car le gouvernement est libéré aujourd’hui des contraintes bureaucratiques et de "sécurité" qui caractérisaient l’ancien régime en raison de ses liens étroits avec les États-Unis et Israël. »
Et d’ajouter que « Gaza sera la mise à l’épreuve de la capacité et de la volonté du nouveau gouvernement égyptien de traduire la volonté du peuple dans la politique officielle ».
Un signe de cette évolution graduelle, note Fahmi, c’est qu’après le départ de Moubarak, le dossier Gaza a été officiellement transféré des services de Renseignements égyptiens au ministère des Affaires étrangères.
« Ce qui veut dire que la bande de Gaza est passée de la question sécuritaire sous Moubarak, à une question strictement politique » dit-il. « Et en tant que tel, le dossier Gaza - si nous voulons mettre en place une véritable démocratie - doit finalement venir refléter la volonté du peuple égyptien, lequel, massivement, veut voir le siège prendre fin et le passage de Rafah rouvrir. »
Le gouvernement provisoire égyptien semble également plus ouvert vis-à-vis du Hamas que son prédécesseur. Fin mars, des officiels du Hamas se sont rendus au Caire où ils ont tenu leur première rencontre officielle avec des membres du SCAF.
Suite à cette rencontre, qui s’est tenue à huis clos, avec Arabi, le ministre des Affaires étrangères du Hamas, Mahmoud al-Zahar, a déclaré à la presse que son homologue égyptien l’avait informé qu’il y aurait bientôt un « changement dans la politique » concernant le passage frontalier de Rafah. Al-Zahar a poursuivi en évoquant « un nouvel esprit positif et un changement évident dans la politique » depuis le départ de Moubarak.
Sous Moubarak, l’Égypte adoptait une position dure vis-à-vis du Hamas, qui est une ramification des Frères musulmans d’Égypte (eux-mêmes déclarés illégaux sous Moubarak). Dans le même temps, l’Égypte s’était alliée étroitement avec le rival du Hamas, basé en Cisjordanie, le Fatah.
« Le régime de Moubarak avait pris une ligne dure à l’égard du Hamas, tout en étant très amical avec le Fatah, un fidèle des États-Unis » dit Fahmi. « Après la révolution, en revanche, on peut s’attendre à ce que l’Égypte montre plus d’impartialité entre les deux factions palestiniennes ».
Le Caire prévoit de recevoir Khaled Meshaal, chef du bureau politique du Hamas, qui est basé à Damas. Meshaal a quitté le Caire il y a plus d’un an, en disant que ni lui ni aucun autre dirigeant du Hamas ne reviendront en Égypte aussi longtemps que Moubarak tiendra les rênes du pouvoir.
Le Caire, le 11 avril 2011 - Inter Press Service - traduction : JPP