Mohamed Salmawy
Place Tahrir," on pouvait lire sur les pancartes : « Je suis Egyptien, ma révolution est tunisienne, mon insistance est libyenne, mon sang est syrien, ma détermination est yéménite et mon rêve est palestinien »."
La révolution du 25 janvier a-t-elle une dimension arabe issue de l’appartenance arabe de l’Egypte et de sa position de leadership dans la région ? Ou bien est-elle une révolution locale aux revendications se confinant à la mise en place d’un nouveau régime démocratique à la place de l’ancien régime autoritaire et corrompu qu’elle a réussi à renverser ?
Celui qui suit de près les slogans que la révolution a brandis dans ses 18 premiers jours verra qu’ils ont tous porté sur des revendications se rapportant à la réforme de la vie politique corrompue par le pouvoir, que ce soit dans son volet politique ou financier. Nous avons vu alors que la révolution a appelé à la liberté, à la dignité de l’homme et à la justice sociale. Des mesures qui mènent toutes à un régime démocratique qui naviguera de concert avec les données de l’époque et qui conviendra avec la place de l’Egypte.
Nous ne devons pas, en revanche, oublier que l’une des plus importantes revendications de la révolution qui se sont exprimées clairement et de manière décisive était le renversement du régime en place. Ce qui se faisait entendre dans les voix hautes scandant « Le peuple veut renverser le régime ». Lorsque la révolution a appelé à la chute du régime, il n’était pas uniquement question de renverser sa politique oppressive et sa corruption financière. Mais c’était en effet un appel à renverser tout ce qui représentait ce régime. Depuis la panoplie de politiques complémentaires internes qui se sont éloignées de l’intérêt public pour servir des intérêts personnels des cercles de gouvernance et leurs alliés. Jusqu’à la politique étrangère qui visait à mettre de côté le rôle de leadership de l’Egypte dans le monde arabe, africain et tiers-mondiste au profit des intérêts occidentaux et israéliens.
Je me rappelle depuis quelques années qu’à la rencontre de l’ex-président Hosni Moubarak avec les intellectuels à l’inauguration de la Foire du livre, il y avait parmi les interlocuteurs notre collègue, le regretté Mohamad Al-Sayed Saïd. Saïd avait proposé au président que l’Egypte entreprenne une mesure au niveau du dossier palestinien. S’adressant au président, il a alors dit : « Si vous procédez ainsi, vous rentrerez dans l’Histoire, M. le président ».
Mais le président répondit devant tout le monde : « Je ne veux intégrer ni l’Histoire, ni la géographie ». Ces mots furent une description pertinente d’un président qui a consacré son temps à la collecte des fonds. Le problème est que ce qui a été exclu de l’Histoire et de la géographie n’était pas uniquement le pouvoir mais le statu de leadership qu’avait l’Etat qu’il gouvernait. Le rôle historique de l’Egypte s’est alors rétréci dans le monde arabe pour se cantonner à devenir l’intérim de la partie israélienne dans les pourparlers avec le mouvement du Hamas. Son emplacement de leadership géographique a alors reculé. Sont même apparus ceux qui ont failli barrer la route à l’artère qui lui donnait vie, à travers la crise des eaux du Nil.
Ainsi, comme nous le voyons, la révolution contre le régime de Moubarak était en effet contre tout ce qu’il représentait, de politique intérieure et étrangère. Ce ne fut alors point un hasard d’entendre des chants populaires destinés à l’ex-ministre des Affaires étrangères, Amr Moussa, et ceux destinés à l’évincement d’Ahmad Aboul-Gheit, son successeur, parmi les revendications inaliénables de la révolution.
Lors d’une récente visite, M. Kamal Chatila, le président du Congrès populaire libanais, me disait : « Vous avez écrit un article en pleine révolution intitulé L’arabité de la révolution. Comment avez-vous adopté cela à un moment où les slogans brandis à Tahrir parlaient de questions internes ? ».
J’ai rétorqué en disant que la révolution ne peut redresser la politique interne si notre politique étrangère reste telle quelle, faisant peu de cas de son contexte arabe. Cette carence a entraîné l’invasion de l’Iraq, la division du Soudan, la dislocation de la cause palestinienne et le recul arabe à tous les niveaux qui a menacé toute la région. N’oublions pas de citer ici que le boycott de l’Iran était injustifié et de dire qu’il y avait cette jalousie paralysante envers la Turquie et surtout une amitié discrète avec Israël.
J’ai dit au leader libanais que ma lecture de la révolution et ses orientations montre qu’il était impossible de redresser tout cela sans une réforme interne.
J’ai récemment lu un article signé Hubert Védrine, l’ex-ministre français des Affaires étrangères, au Financial Times, dans lequel il affirmait que la révolution du 25 janvier ne fera pas accéder l’islam politique, que craignent d’aucuns. Mais que par contre, elle donnera naissance à un nouveau nationalisme arabe non chauvin allant de pair avec les données de l’époque moderne et issu du sentiment de dignité qu’a engendré la révolution non seulement en Egypte, mais également dans tous les recoins de la nation arabe. Ce monde arabe a senti qu’il a récupéré sa dignité à la place Tahrir au Caire et a commencé à ressentir sa valeur de peuple authentique et fondateur d’une ancienne civilisation.
Sans doute Védrine a réalisé comme nous tous que l’Egypte n’était pas indissociable de son contexte arabe qui s’avère être vital. Et que, vice versa, le monde arabe ne peut pas se dissocier de l’Egypte. Les peuples arabes, à leur tour, ont éprouvé un intérêt évident vis-à-vis des événements en Egypte depuis les premiers jours de la révolution. D’où la sortie des manifestations de soutien dans toutes les capitales arabes sans exception, scandant le nom de l’Egypte. Certaines chantaient même l’hymne national égyptien.
Une semaine à peine après la visite de l’ami libanais, nous avons vu les foules de la révolution, qui s’étaient rassemblées à Tahrir le vendredi 8 avril, se diriger vers le siège de l’ambassade israélienne à Guiza, pour manifester leur colère vis-à-vis des récentes agressions israéliennes sur le secteur de Gaza. Ils scandaient des phrases porteuses de signification telles : « ô Palestine, lève ta tête ... Gaza, nous venons à ton secours ». Au cœur de la place Tahrir, les jeunes ont tenu à s’excuser des événements malheureux que le stade du Caire a vécus dans ce qui est appelé « La bataille des djellabas ». Ils ont affirmé que les auteurs de cette bataille ne sont pas les citoyens égyptiens libres mais ce qui reste de l’ancien régime. Ces derniers ont fait de même avec l’Algérie avec la participation et le commandement des fils de l’ancien président et quelques-uns de leurs alliés travaillant dans les médias. Les jeunes ont ainsi adressé un message au peuple tunisien, disant : « La révolution nous a unis, ne faisons pas en sorte qu’un match de football nous désunisse ».
La cause palestinienne était omniprésente en plein place Tahrir, où le drapeau israélien a été brûlé alors que ceux palestiniens, tunisiens, libyens, syriens et yéménites volaient au quatre vents, côte à côte avec le drapeau égyptien. Les manifestants scandaient : « Le peuple arabe est un seul peuple ». On pouvait lire sur les pancartes : « Je suis Egyptien, ma révolution est tunisienne, mon insistance est libyenne, mon sang est syrien, ma détermination est yéménite et mon rêve est palestinien ».