Richard Lightbown
« Point de passage de Rafah ; qui détient les clés ? », c’est le gouvernement israélien et non l’Egypte qui contrôle globalement Rafah.
L’espoir que le soulèvement populaire en Egypte allait entraîner l’ouverture permanente du point de passage de Rafah vers la bande de Gaza a été mis à mal le 13 mars quand une équipe médicale composée de trois chirurgiens anglais et français s’est vue refuser l’entrée à Gaza par des responsables égyptiens. Aucune raison n’a été fournie qui justifie le refus de cette visite préparée en coordination avec l’ambassade de France deux mois plus tôt.
D’après le rapport de Gisha « Point de passage de Rafah ; qui détient les clés ? », c’est le gouvernement israélien et non l’Egypte qui contrôle globalement Rafah. Les autres acteurs clés sont le gouvernement Hamas, l’Autorité palestinienne (PA) à Ramallah, l’Union européenne et les Etats-Unis. Il ne faut pas s’étonner alors que la situation reste largement ce qu’elle était avant la révolte égyptienne.
Le gestion du point de passage de Rafah se fait en application de l’Accord sur les Déplacements et l’Accès (AMA) entre l’Autorité palestinienne et Israël qui fut conclu sous le parrainage de Condoleezza Rice en novembre 2005. C’était un plan global pour normaliser les déplacements des personnes et des biens à l’intérieur des territoires palestiniens et au delà des frontières de la Palestine. Tous les points de passage devaient être ouverts à la fin de 2005 et fonctionner de façon constante, tandis que le point de passage rénové de Karni devait permettre le passage quotidien de 400 camions entre Israël et Gaza d’ici la fin 2006. (En janvier et février de cette année, juste avant que Karni ne soit fermé définitivement, le point de passage gérait quotidiennement 136 camions en moyenne, malgré l’ « allègement » très médiatisé du blocus par Isrël.)
Selon les termes de l’accord AMA, le point de passage de Rafah ouvrit le 26 novembre 2005 pour les détenteurs de cartes d’identité palestiniennes et d’autres personnes sélectionnées. Il était supposé assurer aussi l’exportation de marchandises et le passage des voitures, une fois installé un équipement de fouille sophistiqué. L’UE avait accepté de fournir des responsables qui s’assureraient que les procédures adéquates étaient appliquées. L’importation vers Gaza de cargaisons venant d’Egypte devait se faire par Kerem Shalom, dans le coin sud-ouest de la bande, où elles devait être contrôlée par l’AP sous supervision israélienne. Un point supplémentaire de l’accord stipulait qu’Israël ne fermerait aucun point de passage en conséquence de problèmes de sécurité non liés au passage lui même.
Dans le cadre de cet accord, on mit fin à la présence des militaires israéliens qui contrôlaient les bâtiments gazaouis à Rafah depuis janvier 2001 mais Israël en conserva la contrôle. Bien qu’il prétende avoir levé l’occupation de Gaza, Israël conserve le contrôle total des registres de la population palestinienne. Ce qui détermine qui est officiellement résident et donc susceptible d’emprunter le passage.(Les Palestiniens qui sont catalogués non-résidents doivent entrer à Gaza et en sortir par le passage d’ Erez, à partir d’ Israël.) Israël a aussi le droit d’interdire l’utilisation du lieu aux étrangers et peut fermer le point de passage en faisant simplement en sorte que les conditions d’ouverture ne soient pas remplies.
L’accord AMA requière qu’ Israël supervise les passagers à partir de sa salle de contrôle à Kerem Shalom, tandis que les observateurs de l’Union européenne qui sont postés à Ashkelon doivent entrer à Gaza par Kerem Shalom. Ces deux conditions n’ont pas été remplies, au gré des autorités israéliennes. (On ne comprend pas pourquoi le personnel de l’UE n’a pas été logé côté égyptien dans la station balnéaire d’ Al-Arish, qui est plus proche de Rafah qu’ Ashkelon et dispose de nombreux hôtels, dont un 5 étoiles.)
Après la signature des Accords d’ Oslo en 1994, des centaines de camions traversèrent Rafah mais le point de passage fut fermé (en violation de l’accord) pendant plus de 70 % du temps lors de l’année qui suivit la deuxième Intifada en 2000. La circulation augmenta à nouveau en 2004 mais les importations par Rafah cessèrent avec le plan israélien de désengagement en septembre 2005. Le passage des exportations fut aussi interdit, contrairement aux stipulations de l’AMA. Cependant, environ 1300 personnes traversèrent dans les deux sens chaque jour pendant les 9 heures et demie où le passage restait ouvert. L’accord fut violé une nouvelle fois quand le point de passage fut fermé suite à la capture de Gilad Shalit le 25 juin 2006 et pendant l’année suivante il resta fermé 86 % du temps. Les ouvertures occasionnelles étaient imprévisibles, indiquées seulement deux jours avant, ce qui rendait tout projet de voyage impossible. Et les habitants de Gaza se retrouvaient aussi coincés en Egypte pendant des jours, voire des semaines.
Après la prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas, Israël appliqua une politique de bouclage du territoire. Le point de passage de Rafah fut fermé à toute circulation après le 9 juin 2007 quand le Hamas évinça la Garde présidentielle et empêcha l’AP de remplir les devoirs qui lui incombaient.
Parce que la politique de l’UE fut de ne pas traiter avec le Hamas, on enleva aussi les observateurs. (Apparemment, les principes politiques l’emportent sur les considérations humanitaires.) En conséquence des milliers de gens furent à nouveau coincés du côté égyptien de la frontière, survivant dans des chambres de location ou des camps de tentes tandis qu’ils s’enfonçaient dans la pénurie. Plus de mille d’entre eux étaient des malades qui revenaient de se faire soigner en Egypte et 14 d’entre eux moururent en juillet 2007. Israël proposa de les faire rentrer par Kerem Shalom mais ce fut annulé quand le Hamas bombarda le point de passage. L’Egypte, Israël et l’AP trouvèrent finalement un accord à la fin juillet 2007 qui permit à 6 374 personnes de pénétrer en Israël par passage de Nitzana puis d’être amenées en bus au point de passage d’ Erez pour entrer à Gaza.
En décembre 2007 l’Egypte autorisa 2 200 pèlerins à traverser pour se rendre au Hajj à la Mecque, sans coordination avec l’AP ou Israël. (Israël en autorisa 700 autres à passer par Erez afin qu’ils voyagent par la Jordanie.) Israël avait demandé qu’à leur retour ce soit par un point de passage israélien que les pèlerins soient autorisés à entrer, ce que les autorités égyptiennes avaient accepté dans un premier temps. Craignant d’être interrogés et emprisonnés en Israël, les pèlerins refusèrent et ils furent autorisés à rentrer par Rafah après de violentes protestations. Israël prétendit que c’était en contradiction avec les accords.
Après qu’une large section du mur frontalier fut abattue par des militants du Hamas en janvier 2008, l’ Egypte autorisa unilatéralement quelques étudiants à passer pour se rendre à l’aéroport du Caire. Tandis que les Gazaouis se précipitaient à travers la frontière afin d’acheter des marchandises, Israël et les Etats-Unis exerçaient des pressions sur l’Egypte afin de « régler le problème ». La frontière fut refermée le 3 février par arrangement avec le Hamas. Mais le point de passage fut ré-ouvert début mars après que le ministère de la Santé à Gaza eut déclaré un état d’urgence médicale suite aux affrontements entre les forces de Gaza et l’armée israélienne.
Cent sept Palestiniens avaient été tués et 250 blessés. Le point de passage fut ouvert entre le 31 décembre 2008 et le 5 février 2009 dans des circonstances similaires pendant l’opération Plomb durci. Après la guerre, les ouvertures se firent à nouveau de façon irrégulière, forçant les étudiants inscrits à l’étranger ou les malades qui avaient besoin d’aide médicale à traverser par les tunnels.
Finalement c’est uniquement le terrorisme d’Etat qui s’exerça en haute mer contre la Flottille pour Gaza qui fit honte au gouvernement égyptien et l’amena à agir tout seul et à ouvrir le passage de façon régulière. En octobre, des représentants de « Médecins pour les droits humains »( Physicians for Human Rights – Israel) indiquèrent à la Commission Turkel [1] que ceci avait permis l’entrée de matériel médical et de médicaments que l’on ne trouvait pas avant l’attaque contre la flottille. (La Commission Turkel ne tint aucun compte de ce témoignage dans son rapport.) Le lobbying en faveur d’Israël de membres du Congrès américain entraîna une proposition à la Chambre des Représentants : enlever 200 millions de dollars à l’aide militaire d’1.3 milliard de dollars accordée à l’Egypte si elle ne se pliait pas à certaines exigences. Parmi elles, stopper la contrebande d’armes vers Gaza (ce qui limitait inévitablement les autres échanges). S’y substitua ensuite une affectation de 23 millions de dollars pour envoyer des équipes d’ingénieurs à Rafah afin de détecter les tunnels. L’Egypte intensifia aussi ses propres actions contre les tunnels pendant l’été 2008.
La position égyptienne officielle sous le Président Moubarak était que le point de passage devait rester fermé puisqu’il n’était pas possible de mettre l’ AMA en pratique. Officieusement, on reconnaissait que les Etats-Unis, Israël et l’ Europe s’ opposaient [à l’ouverture] tandis que l’affiliation du Hamas aux Frères musulmans, les opposants politiques de Moubarak, influait sur la décision. Cela fait longtemps que l’on soupçonne qu’Israël a l’intention de sceller ses frontières avec Gaza (tout en maintenant vraisemblablement son blocus maritime illégal). Le Ministre des Affaires étrangères Liebermann l’a exprimé publiquement en 2010. L’ancienne direction égyptienne ne voulait pas hériter de cette manière de la responsabilité politique et économique de Gaza.
Israël ne veut pas d’un Etat indépendant dans la bande de Gaza, avec libre accès au monde arabe et au monde occidental, qui pourrait devenir le centre de la lutte de libération palestinienne. Cela pourrait restreindre sa politique de vol de pans entiers de la Cisjordanie. Beaucoup de choses dépendent de l’évolution de la révolte populaire en Egypte. Malgré la montée en puissance initiale d’une population pleine de compassion pour le sort de Gaza, le résultat reste incertain et le coût énorme pour l’économie. (Les revenus du tourisme avaient dépassé 10 milliards de dollars en 2010. En février 201, l’équipe d’une télé n’a trouvé qu’une seule touriste japonaise qui tentait d’entrer dans les pyramides.) En ce moment les restes de la vielle garde se maintiennent dans des positions de pouvoir où ils seront susceptibles de céder aux pressions économiques des Etats-Unis, dans le but, en grande partie, d’assurer les intérêts d’Israël. A l’intérieur de ces groupes qui s’opposent, le fonctionnement futur du point de passage de Rafa sera décidé à court terme. A moyen terme, il reste à voir si Mahmoud Abbas est vraiment sérieux quand il dit recherche la réconciliation palestinienne, ce qui permettrait la réactivation de l’AMA.
Pour l’instant, c’est le statu quo qui semble prévaloir et la main mise qu’Israël impose sans relâche sur la vie quotidienne des Gazaouis reste pour l’essentiel d’actualité.
Richard Lightbown is an activist against war and injustice. He contributed this article to PalestineChronicle.com. If you like this arti
[1] commission d’enquête israélienne sur l’attaque de la Flottille, qui a fait 9 morts le 31 mai 2010, des civils en route vers Gaza afin de mettre un terme au blocus israélien illégal et d’apporter de l’aide humanitaire aux Palestiniens emprisonnés dans la bande de Gaza
publié par Palestine chronicle
traduction et note : C. Léostic, Afps