mardi 4 janvier 2011

Les manifestations à Ni’lin : routine ou résistance ?

lundi 3 janvier 2011 - 07h:08
Brynn Ruba
Palestine Monitor 
Traversant les oliveraies qui séparent le village de Ni’lin de la clôture de Cisjordanie, des Palestiniens qui se dirigent dans la direction opposée hochent la tête en nous mettant en garde.
« Problème », c’est tout ce qu’ils disent. Le problème est hebdomadaire ici, il prend la forme de lacrymogènes, de balles caoutchouc, et d’arrestations. Le problème est ponctué de tragédies, les manifestations du vendredi se terminant souvent dans les lacrymogènes, sous les balles d’acier enrobées de caoutchouc, par des arrestations, et parfois, par la mort.
L’historique
Les manifestations ont lieu chaque vendredi depuis mai 2008, quand Israël a commencé la construction de son mur de huit mètres de haut à travers le village de Ni’lin, pour « protéger » les colonies juives de Modin Illit et Hashmonaim.
Plus de 8600 dunums (860 ha) de terres palestiniennes ont été volées pour les construire ainsi que les routes qui y conduisent. Le tracé du mur/clôture a annexé les autres 50 % des terres qui restaient de Ni’lin au profit des colons juifs, perdant en outre plus de 6000 de ses plus vieux oliviers abattus par l’occupant.
En dépit de l’avis unanime rendu par la Cour internationale de justice le 9 juillet 2004 jugeant que les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés sont une violation du droit international, les colons continuent leur expansion.
Et quand des manifestants, sans armes, ont commencé à se rassembler en mai 2008 pour protester contre la construction du mur qui traverse la terre palestinienne, l’armée israélienne a répondu par des tactiques violentes, oppressives.
Cinq habitants de Ni’lin, qui ne portaient aucune arme, ont été tués depuis le début des manifestations en 2008, dont Ahmad Moussa, 10 ans, et Yousef Ahmed Younis Amera, 18 ans. Des vidéos ont filmé l’utilisation répétée des balles caoutchouc sur les mineurs, et un tir à bout portant dans le pied d’un homme qui avait les yeux bandés et les mains menottées.
Les Israéliens affirment pour défendre leur agression que les manifestations sont illégales : l’ordre militaire 101 interdit depuis 1967 toute contestation politique, soit depuis le début de l’occupation brutale israélienne (peu importe l’ambiguïté de l’expression « contestation politique »). Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a décidé que l’occupation elle-même était illégale en vertu de la résolution 242.
La confrontation du vendredi
Malheureusement, les manifestations ont pris, de façon frustrante, un tour répétitif. Un groupe de 20 à 50 manifestants se rassemble pour une marche, scandant et chantant pendant une dizaine de minutes, avant que l’armée israélienne ne commence à lancer ses lacrymogènes sur la foule.
Les lacrymogènes font leur travail, intimidant et désorientant la petite foule. Dès que les grenades sont lancées par-dessus la clôture, les manifestants reculent loin des panaches de fumée qui volent au gré du vent de façon imprévisible. Des manifestants tombent au sol en toussant, des amis de lutte en guident un autre à moitié aveuglé par l’âcreté des produits chimiques.
Les plus âgés se retirent immédiatement pour rejoindre les équipes du Croissant-Rouge qui attendent à l’arrière, prêts à apporter leur aide à ceux qui ont pris un coup ou qui sont blessés. Des photographes s’accroupissent pour prendre les scènes avec des téléobjectifs impressionnants, tandis que le reste des manifestants essaie de rester sur ses positions.
Quelques jeunes Palestiniens se mettent à l’écart des autres, s’approchant bravement de la porte où se trouvent les soldats pour lancer des pierres sur le mur.
La nouvelle phase de la confrontation commence, des coups de feu claquent.
« Les soldats arrivent ! »
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Des grenades lacrymogènes sont lancées sur les manifestants.
Quand s’ouvre la porte des soldats, la foule se disperse rapidement, courant au milieu des oliviers dans toutes les directions. Des Palestiniens et internationaux s’éclipsent tout en criant des avertissements aux autres, et retirent leurs masques à gaz une fois qu’ils ont mis assez de distance entre eux et le mur.
L’instinct de conservation domine. Chaque manifestante et manifestant trouve son propre chemin, se frayant maladroitement un passage parmi les rochers et les buissons épineux dans une course vers le haut de la colline.
Même si le village se profile, il n’y a aucune zone où la sécurité est assurée, les soldats israéliens se servant des manifestations comme prétexte pour terroriser les villageois et imposer leur présence militaire aux Palestiniens qui vivent paisiblement chez eux. Les soldats ont souvent recours aux lacrymogènes y compris dans le village, et ils investissent continuellement les domiciles de Palestiniens soupçonnés de participer aux manifestations hebdomadaires.
La retraite précipitée est prise en chasse par les soldats jusqu’au bout des oliveraies qui bordent la ville, les manifestants peuvent alors reprendre leur souffle et arracher les épines de leurs vêtements et de leur peau, pendant que les soldats observent les flancs de la colline. Chaque semaine, ce soulagement est malgré tout tempéré, car chacun comprend qu’être à l’abri et en sécurité sont des raretés chez les villageois de Ni’lin.
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Des membres du Croissant-Rouge palestinien qui portent des masques à gaz attendent d’apporter leur aide médicale aux blessés.
Est-ce que cela porte ses fruits ?
Ça dépend à qui vous le demandez. En comparaison avec d’autres manifestations, Ni’lin a ses limites. Si Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, est connu pour sa non-violence et attire un nombre surprenant de militants de gauche israéliens, Ni’lin ne présente pas le même attrait.
Peut-être est-ce la relative inaccessibilité du village. Peut-être est-ce la propension des soldats israéliens à la violence. Ce pourrait être les pierres lancées par les Palestiniens.
Les jets de pierres sont courants. Quelqu’un qui regarde un jeune Palestinien de 15 ans lancer une pierre sur ce mur de huit mètres saisit la futilité de l’acte. Les pierres retombent, inopérantes contre le mur de béton, les gilets pare-balles, les lacrymogènes, les véhicules tout-terrain et les balles de l’armée israélienne, si jamais la violence est le vrai but.
En fait, les pierres représentent l’occasion d’un dialogue que les jeunes Palestiniens n’ont pas autrement. Les Israéliens vivent sur la terre palestinienne, imposent leur politique au peuple palestinien, tandis que les villageois ont peu ou pas de contact avec leur oppresseur. Les enfants qui lancent les pierres expriment par là leur frustration par le seul moyen à leur portée.
Mais les pierres ne font pas manifestement partie de la stratégie de non-violence. Salah Khawaja, coordinateur pour le développement de Nil’in et organisateur des manifestations explique que les choses ont changé au cours des deux années passées.
« Les enfants qui jettent des pierres ne comprennent pas vraiment pourquoi ils jettent ces pierres - peut-être savent-ils seulement que leur frère, ou leur père, a été arrêté la semaine dernière, » dit-il. « Ils ne se joignent pas aux autres manifestants et ne réalisent pas qu’il nous faut acquérir plus de force pour ne pas avoir à jeter de pierres. Nous essayons de former les enfants pour, à la place, travailler ensemble et agir par d’autres moyens... faire de la musique ou chanter.  »
Pour Khawaja, la stratégie de la non-violence à Ni’lin porte ses fruits. « En 2008, 100 des 200 personnes qui participaient aux manifestations lançaient des pierres. Aujourd’hui, il y en a peut-être juste deux ou trois. »
Un militant international anonyme est d’accord. « Nous apprécions le fonctionnement vraiment démocratique du Comité populaire de Ni’lin : leur inclusion des femmes et des mineurs dans l’organisation et leurs efforts pour que ces manifestations soient vraiment non violentes ».
Toutefois, Ni’lin pourrait faire plus encore, en suivant l’exemple d’autres organisations populaires palestiniennes.
« Il n’y a pas assez de gens à venir à Ni’lin. A Bil’in, la manifestation est très bien organisée, » dit le militant. « Les gens peuvent faire face aux soldats à la clôture électrique, ils peuvent leur donner des affiches, des photos, des messages. Il y a beaucoup de personnes là-bas, et des thèmes, chaque semaine... Nil’in a besoin de plus de couverture médiatique, plus de drapeaux, d’affiches, de travail d’art. »
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Un manifestant crie son opposition à la présence du mur.
Ni’lin a beaucoup repris sur la ville voisine de Bil’in, dont les habitants ont commencé à manifester contre le projet de construction du mur dès 2005. Bil’in a aussi eu sa part de tragédie, avec la mort de Bassem Abu Rahmeh, décédé au printemps 2009, touché par une grenade lacrymogène à la poitrine (dont la soeur, Jahawer Abu Rahmah, victime d’une asphyxie sévère de gaz lacrymogène durant la manifestation du vendredi 31 décembre à Bil’in, vient de mourir le 1er janvier à l’hôpital de Ramallah).
Cependant, la campagne de Bil’in a obtenu quelques résultats. En février 2010, l’armée israélienne a commencé de modifier sur 1700 mètres le tracé d’une clôture à haute tension qui marquait le futur emplacement du mur, rendant aux villageois de Bil’in 650 dunums (65 ha) de leurs terres arables. Même si cette terre ne représente qu’une partie de la terre palestinienne volée près de Bil’in, les militants et les villageois ont été satisfaits, et on les comprend.
Comme le mur à Ni’lin est déjà construit, il semble qu’il y ait peu d’espoir pour qu’il soit démantelé. Les graffitis anciens sont un rappel de la permanence relative du mur et, finalement, la manifestation de Ni’lin semble un peu plus qu’un jeu répétitif : manifestation, lacrymogène, soldats, course.
Israël ne semble pas avoir l’intention de démanteler son mur de sitôt, et les manifestations hebdomadaires restent, pour une grande part, un entretien hebdomadaire où les murmures des Palestiniens et des militants internationaux sont étouffés sous les hurlements de la puissance occupante israélienne.
Site du village de Bil’in ; site du Comité populaire de Bil’in ; photos de Sheikh Jarrah.
28 décembre 2010 - Palestine Monitor - traduction : JPP
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