mercredi 22 décembre 2010

Un Arabe veut racheter une colonie juive

publié le mardi 21 décembre 2010
Serge Dumont

 
Un projet de logements luxueux à Jérusalem-Est ne trouve pas preneur. L’éventuel rachat par un homme d’affaires américano-palestinien serait un affront pour les organisations de colons
Loin des lieux saints de Jérusalem et des sites fréquentés par les touristes, Jabel Moukaber est l’un de ces nombreux villages palestiniens conquis par Israël après la guerre des Six-Jours en 1967 et intégrés de force dans la ville. Bon nombre des 14 400 habitants de ce bourg établi sur un massif rocailleux sont ouvriers, chauffeurs de taxi ou conducteurs de bulldozer sur les chantiers. Quelques-uns sont également agriculteurs et c’est sur leurs terres, situées au milieu du village, qu’a été érigée à partir de 2003 la colonie de Nof Zion, un lotissement de grand luxe destiné réservé à des juifs de l’étranger désireux d’avoir un pied-à-terre dans la ville sainte.
« Corps étranger »
Nof Zion (« Le panorama de Sion » en hébreu) mérite bien son nom puisque les larges baies vitrées des appartements réservés aux colons s’ouvrent sur le mont des Oliviers et sur la vieille ville de Jérusalem. Par beau temps, les propriétaires les plus chanceux peuvent même apercevoir les brumes de la mer Morte.
La construction de cette enclave juive n’a pas été de tout repos. Entre 2002 et 2004, les habitants de Jabel Moukaber ont souvent manifesté contre les « intrus ». Certains se sont même couchés sous les bulldozers. Ils dénonçaient l’implantation d’un « corps étranger » dans leur village, mais également le fait qu’une infrastructure moderne soit prévue pour la colonie alors que la plupart des maisons palestiniennes voisines ne disposent pas de l’eau courante.
La première tranche de Nof Zion (91 appartements, un jardin public, une piscine, une synagogue, un club de sport) a finalement été inaugurée en 2009. Elle a été suivie par la pose de la première pierre de la deuxième tranche (125 appartements). « D’ici à 2015, nous bâtirons 400 appartements et un hôtel de luxe dans ce magnifique endroit de Jérusalem », a alors promis Digal Investments and Holdings Ltd, le promoteur du projet.
Le problème, c’est que les colons n’ont pas suivi. Certes, environ 70 familles religieuses majoritairement venues de Miami s’y sont installées, mais les initiateurs du projet en attendaient beaucoup plus. « Nof Zion est un pur produit de l’idéologie selon laquelle les juifs auraient le droit de s’installer partout en Judée-Samarie [la Cisjordanie] ainsi qu’à Jérusalem-Est [la partie arabe de la ville]. Or, les candidats-colons ont également été touchés par la crise économique des années 2008-2009. Beaucoup d’entre eux n’ont plus 500 000 dollars [485 000 francs suisse] à mettre sur la table. Ils ont donc annulé leur réservation », affirme Meïr Margalit, un ancien conseiller municipal progressiste de Jérusalem.
Affront pour les colons
Faute de clients, Digal Investments and Holdings Ltd s’est rapidement retrouvée au bord de la faillite. Aux abois, ses dirigeants ont donc entamé des négociations avec un homme d’affaires américano-palestinien prêt à racheter leur entreprise pour empêcher le développement futur de l’implantation.
Un coup dur pour les organisations de colons qui se sont aussitôt mobilisées pour torpiller la transaction prévue à la fin de l’année. Car le rachat d’une colonie juive par un Palestinien serait pour elles un affront. Une première depuis 1967 et un précédent dangereux pour les partisans du Grand Israël. « Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser Nof Zion tomber dans les mains des Arabes. Cela donnerait un coup d’arrêt à l’entreprise sioniste », lâche Israël Zera, le patron de Beemuna, une société « prête à payer n’importe quel prix » pour que la colonie reste juive.
A Jabel Moukaber, la guerre financière pour le rachat de la colonie à moitié vide ne semble pas passionner grand monde. Les villageois estiment en effet que les jeux sont faits et que le gouvernement israélien mettra tout en œuvre pour empêcher Nof Zion de tomber dans l’escarcelle d’un businessman palestinien. « Ils ne lâcheront jamais un centimètre de ce qu’ils ont conquis en 1967 », ricane Kamal Adnan, l’un des porte-parole du village. « Ce chancre construit au milieu de nos terres va nous ronger encore longtemps. »