Karim Lebhour
Dans ce quartier palestinien, les colons juifs poursuivent leur entreprise de « judaïsation » de la ville de Jérusalem, déniant aux Palestiniens le droit d’y vivre
Le réseau de galeries souterraines s’enfonce dans les entrailles de Silwan, le long d’une succession de vestiges : citernes, canaux et fortifications, témoins de l’entrelacs de populations qui ont successivement occupé cet endroit, puis un ensemble de pierres blanches. « Le palais du roi David ! », souffle le guide, avant d’ajouter que la découverte « fait encore débat parmi les archéologues ».
Mais pour Elad, l’organisation nationaliste juive chargée des fouilles, aucun doute n’est permis. Ce sont bien là les ruines tant recherchées de la cité du premier souverain du peuple juif, il y a quelque trois mille ans. Pour les Palestiniens vivant en surface, ces fouilles archéologiques servent de prétexte au noyautage de ce quartier arabe au cœur du « bassin sacré » de Jérusalem, qui comprend la Vieille Ville et les Lieux saints.
La présence des colons échauffe les esprits
« C’est l’endroit le plus volcanique de Jérusalem », reconnaît Daniel Luria. L’homme écume le quartier dans le but de racheter le plus possible de propriétés arabes pour le compte d’Ataret Cohanim, une organisation vouée à la « judaïsation » de Jérusalem-Est. « Pourquoi les juifs n’auraient-ils pas le droit de vivre ici ? Si des résidents arabes veulent vendre et si des juifs veulent acheter, je ne vois pas le problème », justifie-t-il. Déjà, une soixantaine de familles juives se sont installées au milieu des 50 000 habitants arabes de Silwan.
Dans ces ruelles trop étroites pour que deux voitures puissent se croiser, la présence des colons échauffe les esprits. « Beit Yonatan », un immeuble de sept étages où résident six familles de colons juifs, protégés par des gardes privés, porte encore les traces des affrontements, le mois dernier, entre les jeunes Palestiniens du quartier et la police israélienne. La Cour suprême israélienne a demandé l’expulsion des colons pour « construction illégale », mais l’ordre n’a pas été appliqué.
La municipalité, en revanche, est moins clémente pour les maisons arabes construites de manière anarchique, au rythme de l’expansion démographique. Des ordres de démolition pèsent sur 88 maisons palestiniennes. Une vingtaine d’habitations attendent d’être rasées pour faire place à un espace vert, attenant à la Cité de David.
« Ils peuvent m’offrir mon poids en or, je ne partirai pas »
Abdallah Abu Nab vit dans l’une de ces maisons décaties, aux murs de béton construits trop vite. Une quarantaine de personnes vivent ici. Chacun de ses trois frères a construit un étage supplémentaire pour loger sa famille, sans attendre les autorisations officielles pour agrandir la maison. La municipalité ne les accorde que très rarement aux Palestiniens de Jérusalem-Est.
« Nous nous sommes installés là en 1948, après avoir perdu notre maison à Jérusalem-Ouest. Aujourd’hui, les Israéliens veulent nous chasser de nouveau », peste le patriarche. Il a refusé le million de dollars (750 000 €) offert par Ataret Cohanim. « Ils peuvent m’offrir mon poids en or, je ne partirai pas », tonne-t-il. Les juges pourraient bien l’y forcer. Les colons réclament la propriété des lieux et affirment que la maison est une ancienne synagogue.
Assis autour d’un verre de thé dans la petite cour où il élève quelques poules, Abdallah Abu Nab a du mal à suivre l’imbroglio juridique auquel sa maison est mêlée. Il a déjà reçu plusieurs avis d’expulsion. Ni les Ottomans, ni les Jordaniens, administrateurs de Jérusalem-Est jusqu’à la conquête israélienne de 1967, n’ont réellement pris la peine d’établir un cadastre ou d’édicter des actes de propriété en bonne et due forme. Une faille facilement exploitée aujourd’hui par les colons, pour lesquels aucun quartier de la « capitale unique et indivisible » de l’État d’Israël ne doit être laissé aux seuls Palestiniens.
David Luria, lui, est confiant. Les récriminations de la communauté internationale le font sourire. « Le monde vit dans une illusion. Nous ne sommes plus en 1948 ou en 1967. Jérusalem est une ville unifiée et 200 000 juifs vivent dans ce qui était Jérusalem-Est. Ils ne partiront pas », se félicite-t-il, convaincu que son camp est en train de gagner la bataille pour Jérusalem.