Entretien avec Mustafa Barghouti (Palestine Monitor)
4 septembre 2010
Mark Colvin : Des négociations directes formelles pour la paix au Moyen-Orient commencent demain à Washington, après que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et le président palestinien, Mahmoud Abbas, aient eu des rencontres séparées avec Barack Obama à la Maison-Blanche aujourd’hui.
Le Président Obama a fait pression pour un retour à un véritable processus de paix, et les dirigeants de Jordanie et d’Egypte sont également présents pour pousser dans ce sens-là.
Mais le Hamas a tué quatre Israéliens en Cisjordanie alors que la conférence se préparait, et les antécédents de ce processus ne rendent pas particulièrement optimiste.
Mustafa Barghouti est membre indépendant du Conseil législatif palestinien. Il était second, juste après Mahmoud Abbas, aux élections présidentielles palestiniennes de 2005. Il m’a dit être profondément sceptique à cause du refus israélien de geler la colonisation pendant même la poursuite des négociations.
Mustafa Barghouti : C’est comme si deux personnes étaient à table en train de négocier un morceau de fromage pendant que l’une des deux, Israël, était en train de le manger.
Comment aurions-nous pu, ou pourrions-nous obtenir des résultats quand l’une des parties s’empare de la terre et de l’eau et des routes, et crée un système d’apartheid sur le terrain et refuse même de geler ces processus le temps des négociations ?
Je pense que c’est juste un moyen de gagner du temps dans leur perspective d’imposer une conclusion unilatérale qui ne serait rien d’autre qu’un système de ségrégation par l’apartheid, qui ne donnera pas la paix mais génèrera encore plus de violence et de conflit.
Mark Colvin : Mais du point de vue israélien, cela n’a sûrement rien de très constructif que d’avoir quatre tués par le Hamas ?
Mustafa Barghouti : Oui. Parce que le Hamas n’est pas partie à la négociation et que le Hamas aurait pu faire partie de ce processus si Israël et les Etats-Unis ne s’étaient pas opposés à tous nos efforts pour avoir un gouvernement d’union nationale. Vous voyez, maintenant ils ont Mr Abbas, et il est seul ; il ne représente pas la majorité des Palestiniens.
La plupart des Palestiniens sont contre ces négociations. La plupart des forces politiques sont hors du système et quand nous avons dit que nous devions nous placer sur une base démocratique, qu’il fallait respecter les résultats d’élections démocratiques comme elles le sont en Israël, personne ne nous a écouté.
Mark Colvin : Le Hamas devrait-il être partie au processus alors qu’il refuse de signer un document reconnaissant qu’Israël a le droit d’exister ?
Mustafa Barghouti : Oui. Nous voulons signer un papier où Israël reconnaît les Palestiniens et où les Palestiniens reconnaissent Israël. C’est ce qui a été fait en 1993, les Palestiniens ont reconnu Israël mais Israël n’a jamais reconnu l’Etat palestinien. Maintenant, les Israéliens disent qu’il nous faut changer la déclaration et qu’il nous faut reconnaître un Etat juif.
Ainsi, avec les Israéliens, c’est une histoire sans fin. Nous avons besoin d’égalité. Nous avons besoin d’un système, de termes de référence qui donnent des droits égaux aux deux peuples. Ce qui se passe ici, c’est que les Israéliens veulent parler de sécurité avant de parler de paix.
Vous parlez de quatre Israéliens qui, et j’en suis fortement désolé, ont été tués, mais personne ne parle des 1 400 Palestiniens qui ont été tués à Gaza, dont 410 enfants. Sont-ils ou ne sont-ils pas eux aussi des êtres humains égaux dans ce conflit ? Il est là le problème, et les Israéliens persistent à nous traiter avec racisme ; ils n’acceptent pas les Palestiniens en tant qu’êtres humains égaux à eux-mêmes.
Mark Colvin : Mais, je reviens à ce que vous avez commencé à dire, il y a un instant ; quelles propositions feriez-vous pour faire venir les Israéliens à la table de négociations et geler les colonies ?
Mustafa Barghouti : Je pense que la bonne façon serait d’appliquer la Feuille de route ; un gel total des activités coloniales israéliennes et des termes clairs de référence permettraient à ce conflit d’être résolu sur la base du droit international et des résolutions des Nations unies.
Ce que nous voulons, c’est une légitimité internationale. C’est ce que nous voulons en tant que peuple sous occupation depuis plus de 43 ans maintenant, et dépossédé et privé de ses droits depuis plus de 100 ans ; ce que nous voulons tous, c’est la liberté. Ce que nous voulons tous, c’est que nous et les Israéliens vivions en paix et dans la coexistence, respectant chacun les droits de l’autre ; respectant chacun la sécurité de l’autre. C’est cela que nous voulons.
Marc Colvin : Je sais que vous prêchez une approche non violente de tout cela, mais Mr Abbas aussi ; où est la différence entre vous ?
Mustafa Barghouti : La différence, c’est que Mr Abbas tient des négociations sans aucune garantie d’efficacité ou que cela donne des résultats. J’ai participé moi-même précédemment au processus de Madrid, qui se fondait sur le droit international. La différence est que nous, nous disons que nous devons lutter pacifiquement et dans la non-violence ; alors que lui croit que la lutte n’apportera aucune différence. Je crois dans la puissance du peuple. Je crois que le peuple peut faire la différence. Et quand je dis le peuple, je ne veux pas simplement dire les Palestiniens, je veux dire aussi les militants israéliens pour la paix qui viennent et manifestent avec nous, chaque semaine. Je pense que le peuple a son mot à dire dans ce processus et que cela ne devrait pas être un processus élitiste. Je crois aussi en la démocratie. Je croix que la paix ne peut être réalisée sans qu’elle n’émane des deux démocraties et cela implique de respecter les droits des Palestiniens et leur liberté de choix.
Marc Colvin : Mais la plupart des Palestiniens ne croient-ils pas toujours ne pouvoir obtenir ce qu’ils veulent sans la lutte armée ? Autrement dit, vous êtes dans la minorité.
Mustafa Barghouti : Non. C’était le cas auparavant, mais je pense que les derniers sondages réalisés ces derniers mois indiquent que 70% des Palestiniens ont foi dans la résistance non violente, dans la lutte non-violente. Et je pense que nous pourrions effectivement perdre cette majorité si les négociations échouaient à nouveau.
C’est pourquoi nous avons mis garde, et nous avons dit de ne pas rater cette opportunité car ce pourrait bien être la dernière que nous ayons pour une solution à deux Etats. A mon avis, il s’agit d’un processus de destruction de l’ultime possibilité d’avoir un Etat palestinien, cela en raison des activités de colonisation et de la construction de ce mur d’apartheid trois fois plus long et deux fois plus haut que ne l’était le mur de Berlin.
Marc Colvin : Ce que vous venez de nous dire n’indique-t-il pas que vous avez quelque part une petite lueur, un scintillement d’espoir, qu’elles pourraient quand même aboutir à quelque chose, ces négociations ?
Mustafa Barghouti : Je ne perds jamais espoir et je n’ai jamais dit que nous devions fermer les portes aux choses positives. Si ces discussions aboutissent à un véritable Etat palestinien et à une vraie paix, basée sur la coexistence, la reconnaissance et le respect mutuels des droits, alors je serai le premier à leur souhaiter la bienvenue.
Marc Colvin : Mustafa Barghouti, membre indépendant du Conseil législatif palestinien, au téléphone depuis Ramallah. Que dire de plus ? Rendez-nous vigilants !
http://palestinemonitor.org/spip/spip.php?article1530Le Président Obama a fait pression pour un retour à un véritable processus de paix, et les dirigeants de Jordanie et d’Egypte sont également présents pour pousser dans ce sens-là.
Mais le Hamas a tué quatre Israéliens en Cisjordanie alors que la conférence se préparait, et les antécédents de ce processus ne rendent pas particulièrement optimiste.
Mustafa Barghouti est membre indépendant du Conseil législatif palestinien. Il était second, juste après Mahmoud Abbas, aux élections présidentielles palestiniennes de 2005. Il m’a dit être profondément sceptique à cause du refus israélien de geler la colonisation pendant même la poursuite des négociations.
Mustafa Barghouti : C’est comme si deux personnes étaient à table en train de négocier un morceau de fromage pendant que l’une des deux, Israël, était en train de le manger.
Comment aurions-nous pu, ou pourrions-nous obtenir des résultats quand l’une des parties s’empare de la terre et de l’eau et des routes, et crée un système d’apartheid sur le terrain et refuse même de geler ces processus le temps des négociations ?
Je pense que c’est juste un moyen de gagner du temps dans leur perspective d’imposer une conclusion unilatérale qui ne serait rien d’autre qu’un système de ségrégation par l’apartheid, qui ne donnera pas la paix mais génèrera encore plus de violence et de conflit.
Mark Colvin : Mais du point de vue israélien, cela n’a sûrement rien de très constructif que d’avoir quatre tués par le Hamas ?
Mustafa Barghouti : Oui. Parce que le Hamas n’est pas partie à la négociation et que le Hamas aurait pu faire partie de ce processus si Israël et les Etats-Unis ne s’étaient pas opposés à tous nos efforts pour avoir un gouvernement d’union nationale. Vous voyez, maintenant ils ont Mr Abbas, et il est seul ; il ne représente pas la majorité des Palestiniens.
La plupart des Palestiniens sont contre ces négociations. La plupart des forces politiques sont hors du système et quand nous avons dit que nous devions nous placer sur une base démocratique, qu’il fallait respecter les résultats d’élections démocratiques comme elles le sont en Israël, personne ne nous a écouté.
Mark Colvin : Le Hamas devrait-il être partie au processus alors qu’il refuse de signer un document reconnaissant qu’Israël a le droit d’exister ?
Mustafa Barghouti : Oui. Nous voulons signer un papier où Israël reconnaît les Palestiniens et où les Palestiniens reconnaissent Israël. C’est ce qui a été fait en 1993, les Palestiniens ont reconnu Israël mais Israël n’a jamais reconnu l’Etat palestinien. Maintenant, les Israéliens disent qu’il nous faut changer la déclaration et qu’il nous faut reconnaître un Etat juif.
Ainsi, avec les Israéliens, c’est une histoire sans fin. Nous avons besoin d’égalité. Nous avons besoin d’un système, de termes de référence qui donnent des droits égaux aux deux peuples. Ce qui se passe ici, c’est que les Israéliens veulent parler de sécurité avant de parler de paix.
Vous parlez de quatre Israéliens qui, et j’en suis fortement désolé, ont été tués, mais personne ne parle des 1 400 Palestiniens qui ont été tués à Gaza, dont 410 enfants. Sont-ils ou ne sont-ils pas eux aussi des êtres humains égaux dans ce conflit ? Il est là le problème, et les Israéliens persistent à nous traiter avec racisme ; ils n’acceptent pas les Palestiniens en tant qu’êtres humains égaux à eux-mêmes.
Mark Colvin : Mais, je reviens à ce que vous avez commencé à dire, il y a un instant ; quelles propositions feriez-vous pour faire venir les Israéliens à la table de négociations et geler les colonies ?
Mustafa Barghouti : Je pense que la bonne façon serait d’appliquer la Feuille de route ; un gel total des activités coloniales israéliennes et des termes clairs de référence permettraient à ce conflit d’être résolu sur la base du droit international et des résolutions des Nations unies.
Ce que nous voulons, c’est une légitimité internationale. C’est ce que nous voulons en tant que peuple sous occupation depuis plus de 43 ans maintenant, et dépossédé et privé de ses droits depuis plus de 100 ans ; ce que nous voulons tous, c’est la liberté. Ce que nous voulons tous, c’est que nous et les Israéliens vivions en paix et dans la coexistence, respectant chacun les droits de l’autre ; respectant chacun la sécurité de l’autre. C’est cela que nous voulons.
Marc Colvin : Je sais que vous prêchez une approche non violente de tout cela, mais Mr Abbas aussi ; où est la différence entre vous ?
Mustafa Barghouti : La différence, c’est que Mr Abbas tient des négociations sans aucune garantie d’efficacité ou que cela donne des résultats. J’ai participé moi-même précédemment au processus de Madrid, qui se fondait sur le droit international. La différence est que nous, nous disons que nous devons lutter pacifiquement et dans la non-violence ; alors que lui croit que la lutte n’apportera aucune différence. Je crois dans la puissance du peuple. Je crois que le peuple peut faire la différence. Et quand je dis le peuple, je ne veux pas simplement dire les Palestiniens, je veux dire aussi les militants israéliens pour la paix qui viennent et manifestent avec nous, chaque semaine. Je pense que le peuple a son mot à dire dans ce processus et que cela ne devrait pas être un processus élitiste. Je crois aussi en la démocratie. Je croix que la paix ne peut être réalisée sans qu’elle n’émane des deux démocraties et cela implique de respecter les droits des Palestiniens et leur liberté de choix.
Marc Colvin : Mais la plupart des Palestiniens ne croient-ils pas toujours ne pouvoir obtenir ce qu’ils veulent sans la lutte armée ? Autrement dit, vous êtes dans la minorité.
Mustafa Barghouti : Non. C’était le cas auparavant, mais je pense que les derniers sondages réalisés ces derniers mois indiquent que 70% des Palestiniens ont foi dans la résistance non violente, dans la lutte non-violente. Et je pense que nous pourrions effectivement perdre cette majorité si les négociations échouaient à nouveau.
C’est pourquoi nous avons mis garde, et nous avons dit de ne pas rater cette opportunité car ce pourrait bien être la dernière que nous ayons pour une solution à deux Etats. A mon avis, il s’agit d’un processus de destruction de l’ultime possibilité d’avoir un Etat palestinien, cela en raison des activités de colonisation et de la construction de ce mur d’apartheid trois fois plus long et deux fois plus haut que ne l’était le mur de Berlin.
Marc Colvin : Ce que vous venez de nous dire n’indique-t-il pas que vous avez quelque part une petite lueur, un scintillement d’espoir, qu’elles pourraient quand même aboutir à quelque chose, ces négociations ?
Mustafa Barghouti : Je ne perds jamais espoir et je n’ai jamais dit que nous devions fermer les portes aux choses positives. Si ces discussions aboutissent à un véritable Etat palestinien et à une vraie paix, basée sur la coexistence, la reconnaissance et le respect mutuels des droits, alors je serai le premier à leur souhaiter la bienvenue.
Marc Colvin : Mustafa Barghouti, membre indépendant du Conseil législatif palestinien, au téléphone depuis Ramallah. Que dire de plus ? Rendez-nous vigilants !
traduction : JPP
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