Joharah Baker
Le tramway est raciste par nature puisqu’il servira essentiellement à relier des colonies et à renforcer encore la main mise d’Israël sur Jérusalem.
Mes deux enfants, mon fils surtout, adorent entrevoir les nouveaux trains tout brillants que l’on essaie ces jours ci à Jérusalem. Quand on va à Ramallah, si on a « de la chance », on peut voir les trains faire des essais le long de la route principale, qui se dirigent vers où commence Shuafat.
Dans n’importe quel autre pays, ce serait une évolution magnifique –un service public nécessaire et efficace, pour tous. Mais ici ce n’est pas n’importe quel autre pays, c’est Israël et Jérusalem occupée et l’enthousiasme juvénile des mes enfants ne durerait pas longtemps s’ils comprenaient les ramifications racistes du tramway de Jérusalem.
Mis à part les raisons usuelles pour construire un tram, au rang desquelles l’amélioration de la circulation dans la ville bloquée par des bouchons qui durent des heures, les motivations politiques sont horribles. Le tramway est essentiellement un service pour les colonies illégales dans Jérusalem et autour, qui les relie entre elles et au centre de Jérusalem. C’est un service pour les juifs israéliens qui préfèrent éviter les bouchons du matin et prendre le tram pour aller au travail tous les jours. Ca l’est aussi pour l’adolescent israélien qui veut faire un saut au centre commercial avant la nuit, tout comme pour les 300 000 colons juifs vivant sur la terre palestinienne occupée afin qu’ils se sentent partie intégrante de la capitale éternelle réunifiée d’Israël.
Ca l’est, qui plus est, pour les dirigeants israéliens qui veulent consolider le contrôle israélien sur Jérusalem de façon aussi rapide et permanente que possible. Le tram sert le même objectif que le mur et les check-points. Il exclut les Palestiniens et enferme la cité dans une enveloppe juive hermétiquement scellée.
Cependant, l’itinéraire du tram comporte trois arrêts à Shuafat, une banlieue palestinienne de Jérusalem. Shuafat se trouve en face de la colonie de Pisgat Zeev et juste en bas de la route qui mène à French Hill, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le tram s’y arrête. Rien d’étonnant non plus que les responsables de la municipalité de Jérusalem présentent cela comme preuve que le tramway dessert tous les Jérusalémites, palestiniens comme israéliens.
Ce qui est surprenant, c’est jusqu’où ils vont dans leur petite comédie. C’était presque drôle de lire l’autre jour dans Haaretz comment des responsables de la municipalité ont été irrités par une enquête d’opinion menée par le Consortium CityPass, la compagnie qui a obtenu le marché du tramway. Ce sondage demandait aux habitants si ça leur posait problème que les Palestiniens utilisent leur tram. Deux des questions disaient : "Il y a trois arrêts à Shuafat ; est ce que cela vous préoccupe ?" et "Tous les passagers, juifs et arabes, peuvent entrer librement dans le tram, sans contrôle de sécurité ; est ce que cela vous préoccupe ?"
Un responsable municipal, le directeur général Yair Maayan, furieux, a dit que les questions étaient racistes. "Nous avons été stupéfaits de voir qu’une compagnie commerciale privée a osé aborder ce sujet, poser des questions racistes comme celles-là et créer des troubles et du ressentiment dans la cité," a écrit Maayan dans une lettre à CityPass. Incroyable que tout à coup la municipalité de Jérusalem –je devrais dire de Jérusalem Ouest- soit si préoccupée par le racisme dans la ville ? Etant donné la perception qu’ont les Israéliens des Palestiniens, la question est légitime parce que nous savons tous la discrimination que les Israéliens font subir aux « Arabes ». Nous savons aussi que le gouvernement israélien a endoctriné la population juive d’Israël, lui instillant la peur et la méfiance des Palestiniens en général. C’est ce qui a pour partie causé le succès de ses justifications sécuritaires.
Parce que les Palestiniens sont si déshumanisés, parce qu’ils sont tellement « enclins à la violence », Israël a pu justifier ses supposées mesures sécuritaires à pratiquement tous les niveaux. Ceci a conduit, je pense, à une défiance et des suspicions collectives et stéréotypées à l’encontre des Palestiniens, une situatio
Mais ce n’est pas ce que je voulais surtout dire. Ce que je voulais dire c’est que le tramway est raciste par nature puisqu’il servira essentiellement à relier des colonies et à renforcer encore la main mise d’Israël sur Jérusalem. Il n’y a pas d’arrêt pour les Palestiniens du camp de réfugiés de Shuafat, ni pour ceux de Beit Hanina ou des villages qui entourent Jérusalem. Aussi, que la municipalité se mobilise pour une question “raciste” est absurde et c’est nous prendre pour des imbéciles. Le tramway n’est pas fait pour tous les citoyens de Jérusalem et le fait que quelques Palestiniens le prennent parfois n’est en rien une preuve d’égalité.
Alors, pourquoi cacher les intentions véritables ? La municipalité doit feindre l’égalité parce qu’Israël prétend que Jérusalem est une ville unie pour tous ses habitants. Nous savons tous que c’est une autre farce. L’énorme différence entre Jérusalem est et oust est une preuve suffisante de la politique discriminatoire menée par Israël. Pourtant, à première vue, Israël a trop à perdre si son tram est critiqué comme étant raciste.
Ces dernières années ont vu suffisamment de mauvaise publicité autour de la construction du tram, avec le mouvement BDS qui faisait pression sur plusieurs compagnies afin qu’elles retirent leur argent du projet au motif qu’il est illégal (après tout, il relie des colonies illégales sur une terre illégalement occupée). La compagnie française Véolia a apparemment retiré la plupart de ses parts dans le projet l’an passé, à la suite de pressions des groupes favorables au boycott et au droit. Elle a aussi apparemment perdu des contrats pour environ 7 millions de dollars à cause de son implication dans le tramway.
Mais il n’est pas besoin de CityPass, de la municipalité de Jérusalem ou même du tracé du tramway pour mettre en évidence le racisme d’Israël à l’encontre des Palestiniens. Il suffit de lire certains commentaires blessants sous l’article de Haaretz. L’une des réponses, « Les Arabes n’ont qu’à utiliser des ânes », amène « Après tout ce sont des ânes eux-mêmes et ils se comportent comme eux ». Un autre répond : « Ca montre que la menace du terrorisme est endémique. La question n’a rien à voir avec la race. Il s’agit d’empêcher que des passagers innocents soient massacrés ».
Pour nous, Palestiniens, il n’y aura aucun honneur à voyager dans le tram quand il sera finalement terminé et en fonctionnement. Si mes enfants veulent y voyager un jour par curiosité, je serrerai les dents et je monterai pour un unique trajet. La dernière chose qu’il me faut c’est de me retrouver dans une colonie israélienne minable construite sur la terre qui appartient légitimement aux Palestiniens.
publié par MIFTAH le 25 août 2010 [->http://www.miftah.org/Display.cfm ?DocId=22495&CategoryId=13
traduction et choix de photo de Une (Nieuwhof en juin 2008 sur Electronic Intifada) : C. Léostic, Afps