jeudi 16 septembre 2010

« En temps de guerre, il n’y a pas de civils »

mercredi 15 septembre 2010 - 06h:55
Nora Barrows-Friedman 
« En temps de guerre, il n’y a pas de civils », c’est ce qu’a déclaré le plus simplement du monde « Yossi », un militaire israélien responsable d’une unité d’entraînement, interrogé au jour deux du procès de la mort de Rachel Corrie, qui se déroulait à la Cour de Justice de Haïfa au début de la semaine.
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Le supplice de Rachel Corrie a symbolisé dans la psyché de millions de gens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza l’impitoyable politique israélienne de démolition de maisons palestiniennes.(Getty images)
« Un manuel, ça sert à la guerre, c’est pour ça qu’il a été écrit, » a-t-il ajouté.
Les militants des droits de l’homme, les amis et la famille de Rachel Corrie présents dans la salle de palais de justice ont été saisis d’effroi par la formulation brutale de ce soutien sans faille à la politique de discrimination d’Israël envers les civils - Palestiniens ou étrangers.
Cependant, replacée en situation, cette politique n’est pas une nouveauté. La feuille de route de l’armée israélienne en matière d’indifférence concernant les exécutions de Palestiniens, du massacre de Deir Yassine à Jérusalem en 48 aux bombardements de Gaza de 2008-2009 qui ont tué plus de 1400 hommes, femmes et enfants, montre que non seulement il s’agit là d’un cadre opérationnel bien ancré mais que jusqu’à maintenant cette orientation n’a été que rarement remise en question.
Rachel Corrie, la jeune militante pour la paix américaine d’Olympia à Washington, a été écrasée par le bulldozer Caterpillar D9-R, alors qu’elle essayait, ainsi que d’autres membres du mouvement non violent de solidarité internationale, d’empêcher la démolition imminente d’une maison palestinienne le 16 mars 2003 à Rafah dans la bande de Gaza. Depuis, Corrie, dont la famille continue à lutter en son nom pour la justice, constitue un symbole de solidarité.
Ses parents, Cindy et Craig Corrie, poursuivent en justice l’Etat d’Israël pour l’homicide hors la loi de Rachel - selon eux intentionnel - et cette série de témoignages demandés par les avocats de la défense de l’Etat fait suite aux dépositions des Corries de mars dernier. Les chefs d’accusation avancés par les Corries contre l’Etat sont d’une part, l’imprudence, d’autre part l’absence des mesures appropriées attendues dans un tel cas pour protéger la vie humaine. Un comportement qui viole à la fois le droit israélien et le droit international.
Les témoins ont maintenu que le chauffeur du bulldozer ne pouvait pas voir Corrie de sa cabine. Les avocats de l’Etat ont appelé trois témoins à la barre dimanche et lundi afin qu’ils prouvent que l’homicide n’était pas intentionnel et qu’il a eu lieu en un endroit décrété par l’Etat de « zone militaire interdite ». Leur argumentation s’appuyant sur la nomenclature « d’acte de guerre », avait pour but de décharger les soldats de toute culpabilité en vertu du droit israélien.
Le procès de Rachel Corrie focalise l’attention sur un seul évènement, un moment, un décès, le chagrin d’une famille. Mais il est important de rappeler le contexte dans lequel l’armée israélienne opérait ce jour de mars 2003, afin de bien comprendre l’importance du procès et ses répercutions médiatiques sept ans et demi plus tard. Yossi, l’instructeur militaire en chef, a décrit la zone où Corrie a été tuée comme « zone de guerre ». La défense nommée par l’Etat avance le même argument.
Mais avant toute chose, que se passait-il donc de si important à Rafah pour que Rachel Corrie s’interpose devant un bulldozer armé de 4 mètres de haut ?
D’après les statistiques de Human Rights Watch, Israël a étendu sa prétendue « zone tampon » à la frontière sud de Gaza après l’éclatement de la deuxième Intifada palestinienne fin 2000. « Vers la fin de 2002 » rapporte HRW, « après avoir démoli plusieurs centaines de maisons à Rafah, les forces militaires israéliennes ont commencé à construire une barrière de métal de huit mètres de haut le long de la frontière ».
La zone ainsi désignée par Israël comme zone tampon, inclut maintenant presque 35% de terre agricole, d’après une étude d’août 2010 publiée par le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA). D’après OCHA, cette politique affecte 113000 Palestiniens à l’intérieur de la bande de Gaza depuis ces dix dernières années, les fermes, maisons et villages étant intentionnellement rayés de la carte.
L’action non violente de Rachel Corrie - qui s’est interposée devant un bulldozer pour dénoncer cette politique de démolition, lui aura coûté la vie.
La maison pour laquelle Rachel Corrie est morte en essayant de la sauver, a été détruite ainsi que des centaines d’autres. La bande de Gaza est toujours un ghetto dont on ne peut sortir. Et d’innombrables familles palestiniennes n’ont vu aucune mesure de justice prise concernant la mort de leurs proches.
En 2005, un mandat d’arrêt a été émis contre le major général Doron Almog - supérieur responsable de la région Sud d’Israël - par une Cour de Justice britannique à propos de la démolition de 59 maisons à Rafah sous son commandement.
Il a été averti avant d’embarquer sur un vol pour le Royaume Uni, qu’il risquait d’être arrêté à son arrivée, aussi a-t-il annulé son voyage.
En ce qui concerne l’affaire Rachel Corrie, d’après les documents de l’armée israélienne obtenus par le quotidien israélien Haaretz, le Major Almog aurait donné l’ordre à l’équipe de détectives de l’Etat de mettre un terme à leurs recherches.
Un fait qui démontre que l’impunité des soldats israéliens et des hommes politiques peut - et sera - remise en cause en Cour de Justice. Et quand le procès reprendra le mois prochain, les Corries seront de nouveau au tribunal pour qu’enfin justice soit rendue à leur fille.
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction de l’anglais : J.M
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