Né à Bâle en 1958 d’une mère belge et d’un père suisse et élevé dans une culture nationaliste religieuse, Carlo Strenger a émigré en Israël en 1978. Ayant rompu avec sa culture religieuse, ce psychiatre et psychanalyste enseigne à l’université de Tel-Aviv et publie régulièrement des tribunes sur le conflit israélo-palestinien dans Ha’Aretz et The Guardian.
08.07.2010 | Carlo Strenger* | Ha'Aretz
Dans une tribune publiée le 2 juin dernier, Moshe Arens [ancien ministre issu du Likoud, parti de droite] proposait d’envisager sérieusement l’option d’un Etat unique à l’ouest du Jourdain avec l’attribution de la pleine citoyenneté aux Palestiniens. L’idée de l’Etat unique est défendue par certains intellectuels palestiniens et gagne en popularité dans la gauche européenne anti-israélienne, pour qui cette solution ne serait que justice pour les Palestiniens. Au sein de l’extrême droite israélienne, si cette idée est parfois exprimée au nom du Grand Israël et sur des bases théologiques, Arens défend cette idée sur d’autres considérations, car ce libéral laïc a toujours professé l’égalité pour les Arabes d’Israël.
Si la solution de l’Etat unique n’est pas tenable, la proposition d’Arens doit être prise en considération, ne serait-ce que parce que la fenêtre d’opportunité sur la solution des deux Etats risque de bientôt se refermer. Aucun gouvernement israélien ne s’est montré capable de la mettre en application, les Palestiniens commencent à s’en détourner et Israël ne sera peut-être pas en mesure d’arracher plus de cent mille colons à leurs foyers. Il nous faut reconnaître qu’Israël a failli dans l’octroi de l’égalité aux Arabes israéliens, parce que depuis toujours notre Etat est engagé dans un Kulturkampf [combat de civilisations] qui ne l’oppose pas seulement à ses citoyens arabes. A première vue, les élections israéliennes portent sur le conflit israélo-palestinien, mais en réalité elles sont le reflet des tensions internes à la société israélienne : religieux contre laïcs, Ashkénazes contre Séfarades, Juifs contre Arabes.
L’idée d’Arens aboutit à un vrai défi car Israël deviendrait de facto un Etat binational et devrait renoncer à l’hégémonie culturelle juive pour s’engager dans un modèle multiculturel organisant la coexistence entre différentes visions du monde, identités confessionnelles et appartenances ethniques. L’Etat devrait rompre avec la religion juive et se séculariser selon les modèles français ou américain. Juifs et musulmans devraient accepter que la religion ne peut intervenir dans les affaires de l’Etat, tandis que les institutions religieuses devraient se refonder sur des bases volontaires et communautaires. Pour éviter les tensions entre groupes confessionnels et ethniques, ainsi qu’entre religieux et laïcs, la Confédération suisse pourrait servir de modèle et garantir un maximum de flexibilité culturelle.
Tant les Juifs que les Palestiniens devraient s’engager à abandonner leur lutte pour l’hégémonie. Evidemment, l’aspect le plus séduisant d’une négociation en vue d’instaurer un Etat unique serait une refondation complète du Moyen-Orient, le rejet arabe d’un Etat Israël-Palestine bâti sur des principes libéraux n’ayant plus de sens. Bien sûr, les extrémistes musulman continueraient à contester la présence de non-musulmans, mais la plupart des Arabes du pays se sentiraient bien plus à l’aise dans un Etat binational.
Je reste sceptique à propos de l’Etat unique. Il sera difficile à instaurer et j’ai du mal à imaginer qu’une société cohésive puisse émerger après un siècle de conflits sanglants, d’autant que même un Etat pacifique comme la Belgique est au bord de la scission. Les inégalités économiques, qui sont grandes dans l’Israël d’aujourd’hui, risquent de s’aggraver et d’engendrer de nouveaux problèmes.
Il n’empêche que Moshe Arens lance un vrai défi. Premièrement, nous sommes proches du moment où seul l’Etat unique sera possible. Deuxièmement, même si la solution des deux Etats est finalement appliquée, Israël va devoir intégrer certains éléments constitutifs de l’Etat unique. Israël doit devenir un pays vraiment libéral et laïc dans lequel ni les groupes ethniques dominants ni les sous-groupes ne tentent d’imposer leur mode de vie les uns aux autres. Il est dès lors raisonnable de songer à une structure fédérale, seule capable de mettre un terme au Kulturkampf mené aujourd’hui en Israël.
Si la solution de l’Etat unique n’est pas tenable, la proposition d’Arens doit être prise en considération, ne serait-ce que parce que la fenêtre d’opportunité sur la solution des deux Etats risque de bientôt se refermer. Aucun gouvernement israélien ne s’est montré capable de la mettre en application, les Palestiniens commencent à s’en détourner et Israël ne sera peut-être pas en mesure d’arracher plus de cent mille colons à leurs foyers. Il nous faut reconnaître qu’Israël a failli dans l’octroi de l’égalité aux Arabes israéliens, parce que depuis toujours notre Etat est engagé dans un Kulturkampf [combat de civilisations] qui ne l’oppose pas seulement à ses citoyens arabes. A première vue, les élections israéliennes portent sur le conflit israélo-palestinien, mais en réalité elles sont le reflet des tensions internes à la société israélienne : religieux contre laïcs, Ashkénazes contre Séfarades, Juifs contre Arabes.
L’idée d’Arens aboutit à un vrai défi car Israël deviendrait de facto un Etat binational et devrait renoncer à l’hégémonie culturelle juive pour s’engager dans un modèle multiculturel organisant la coexistence entre différentes visions du monde, identités confessionnelles et appartenances ethniques. L’Etat devrait rompre avec la religion juive et se séculariser selon les modèles français ou américain. Juifs et musulmans devraient accepter que la religion ne peut intervenir dans les affaires de l’Etat, tandis que les institutions religieuses devraient se refonder sur des bases volontaires et communautaires. Pour éviter les tensions entre groupes confessionnels et ethniques, ainsi qu’entre religieux et laïcs, la Confédération suisse pourrait servir de modèle et garantir un maximum de flexibilité culturelle.
Tant les Juifs que les Palestiniens devraient s’engager à abandonner leur lutte pour l’hégémonie. Evidemment, l’aspect le plus séduisant d’une négociation en vue d’instaurer un Etat unique serait une refondation complète du Moyen-Orient, le rejet arabe d’un Etat Israël-Palestine bâti sur des principes libéraux n’ayant plus de sens. Bien sûr, les extrémistes musulman continueraient à contester la présence de non-musulmans, mais la plupart des Arabes du pays se sentiraient bien plus à l’aise dans un Etat binational.
Je reste sceptique à propos de l’Etat unique. Il sera difficile à instaurer et j’ai du mal à imaginer qu’une société cohésive puisse émerger après un siècle de conflits sanglants, d’autant que même un Etat pacifique comme la Belgique est au bord de la scission. Les inégalités économiques, qui sont grandes dans l’Israël d’aujourd’hui, risquent de s’aggraver et d’engendrer de nouveaux problèmes.
Il n’empêche que Moshe Arens lance un vrai défi. Premièrement, nous sommes proches du moment où seul l’Etat unique sera possible. Deuxièmement, même si la solution des deux Etats est finalement appliquée, Israël va devoir intégrer certains éléments constitutifs de l’Etat unique. Israël doit devenir un pays vraiment libéral et laïc dans lequel ni les groupes ethniques dominants ni les sous-groupes ne tentent d’imposer leur mode de vie les uns aux autres. Il est dès lors raisonnable de songer à une structure fédérale, seule capable de mettre un terme au Kulturkampf mené aujourd’hui en Israël.