Mya Guarnieri
The Guardian
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Alors que j’étais enfant, à Gainesville, en Floride, le Klan était toujours une force. Aujourd’hui, un pasteur veut brûler le Coran. Qu’est-ce qui a changé ?
Photo : Chip Litherland/New York Times
Le New York Times d’aujourd’hui raconte qu’un pasteur de ma ville natale, Gainesville, en Floride, projette de « commémorer » le 11 Septembre en brûlant en public des Corans.
La photo qui illustre l’article montre le pasteur, Terry Jones, debout dans un pré, derrière des pancartes portant les mots : « L’Islam est le diable ». Les hauts pins de mon enfance se dressent derrière lui et ça me choque vraiment de voir les deux, associés sur l’image. De mon appartement à Tel Aviv, je cherche sur la photo quelque chose d’autre qui me serait familier, quelque chose qui me calmerait. Où est ma ville natale ? pensé-je. Ce n’est pas le Gainesville où j’ai grandi.
Gainesville est l’Amérique par excellence. Avec ses piscines et ses glaces à l’eau. Ses gamins qui passent des heures à parler vélo les jours d’été indolents. C’est l’Amérique de Norman Rockwell.
C’est aussi la ville natale de Tom Petty, l’endroit qui l’a inspiré pour sa célèbre chanson, La fille de l’Amérique. Quand j’avais un peu trop bu et que je me mettais à chanter, je prenais un accent du Sud que je ne me connaissais pas. Et si une fille juive peut prendre l’accent du Sud dans Gainesville, n’importe qui peut se sentir chez lui là-bas.
Pas vrai ?
Puis, je me suis souvenu.
Quand j’étais enfant, certains de mes camarades de classe, chrétiens évangéliques, me pressaient de me convertir. Parce que j’étais juive et que je n’acceptais pas Jésus-Christ comme mon Seigneur et mon Sauveur, ils me disaient que j’irai en enfer.
Quand je suis devenu ado, j’avais un ami proche dont le père était membre du Ku Klux Klan. Pendant des années, je lui ai caché les origines ethniques et culturelles de ma famille. La honte a commencé à se glisser en moi et j’ai appris à cacher mes racines à tout le monde.
Un jour, l’été qui a suivi ma classe de première, nous étions seuls chez lui à regarder un film avec l’un de nos amis afro-américains. Le gravier s’est mis à crisser dans l’allée, sous les pneus d’une voiture ; c’était son père, l’homme du Klan, qui arrivait à l’improviste. Notre ami noir s’est caché dans un placard. Plus tard, il est sorti par la fenêtre et je l’ai retrouvé dans la rue, je l’ai fait monter dans ma voiture et l’ai ramené chez lui.
Lors de ma dernière année de lycée, le Ku Klux Klan avait organisé un rassemblement dans un parc du coin, à moins d’un mile de chez moi. Comme je sortais pour faire un footing, ma maman m’a prévenue de rester à distance du parc. Juste au cas où.
En fille obéissante, j’ai respecté sa volonté. Quand j’ai appris plus tard que les contre-manifestants avaient été plus nombreux que le KKK, j’ai senti comme un frisson dans ma poitrine. C’était ma ville natale.
J’ai ressenti la même chose ce matin, quand j’ai lu que la ville de Gainesville avait repoussé la requête de Jone qui voulait l’autorisation de faire son feu de joie. Si la ville affirmait que cette décision n’avait rien à voir avec l’intention de Jone de brûler des livres saints, le maire de Gainesville, Craig Lowe, lui, exprimait son malaise devant l’idéologie de Jone.
Lesquels sont ma ville natale ? Lesquels sont l’Amérique ?
L’action de Gainesville est un miroir pour le pays. Et aussi pour mes souvenirs. Dans le passé, il existait un antisémitisme, couvant juste sous la surface. Aujourd’hui, la menace, c’est l’islamophobie. Et si Terry Jones arrive à brûler des Corans à Gainesville, alors, il laissera une brûlure honteuse sur nous tous.
Le Ku Klux Klan, le 2 septembre 1962, brûlant une croix lors d’une manifestation nationale.
Mya Guarnari est journaliste indépendante, basée à Tel Aviv. Elle écrit régulièrement pour The Huffington Post et The Jerusalem Post. Ses articles sont publiés en anglais notamment sur Al Jazeera, The National (Abu Dhabi), Ha’aretz, Electronic Intifada, The Jewish Daily Forward, Maan News Agency, Mondoweiss... Elle possède une maîtrise des Beaux-Arts de l’université d’Etat de Floride.
Elle peut être contactée par courriel : myaguarnieri@gmail.com
Son site : Mya Guarnieri