Par Rania Massoud | 07/06/2010
L’opération israélienne contre la bande de Gaza en 2009 a gravement endommagé et détruit plus de 6 000 habitations. Selon un récent rapport de l’ONU, seuls 25 % des dégâts de « Plomb durci » ont été réparés. Mahmud Hams/AFP
Secteur médical en constante détérioration, économie paralysée, chômage, pauvreté, détérioration des services sanitaires... Hanan Elmasu de Christian Aid et Tony Laurance de l'OMS dressent un sombre tableau de la situation dans la bande de Gaza.
Après l'assaut meurtrier lancé par les commandos de la marine israélienne sur la « flottille de la liberté », lundi dernier, les pressions sur l'État hébreu pour lever son blocus de la bande de Gaza se sont intensifiées. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a qualifié l'embargo, en place depuis 2007, d'« intenable ». L'UE s'est dit prête à la mobilisation pour la levée du blocus, et les États-Unis, principal allié d'Israël, ont eux-mêmes jugé « inacceptable » la situation dans le territoire surpeuplé, qui doit bénéficier d'une « aide humanitaire durable ».
De fait, les chiffres en provenance de l'enclave palestinienne sont accablants. Selon l'Unrwa, pas moins de 80 % des Gazaouis dépendent de l'aide étrangère, 70 % vivent sous le seuil de la pauvreté et 40 % de la population active est au chômage. L'ONU précise que le nombre de réfugiés vivant dans une pauvreté extrême dans la bande de Gaza a triplé en trois ans. La Food and Agriculture Organisation (FAO) affirme, pour sa part, que l'insécurité alimentaire concernait 61 % des foyers en 2009, contre 56 % en 2008.
« Les habitants de la bande de Gaza sont en train de mourir de faim et la situation ne fait que se dégrader », déplore Tony Laurance, directeur du bureau de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Gaza, dans un entretien téléphonique avec L'Orient-Le Jour. Selon lui, la poursuite du blocus israélien risque d'avoir des répercussions encore plus dangereuses sur tous les aspects de la vie des Gazaouis. « Le secteur médical est en constante détérioration, au point qu'il met en danger la vie des quelque 1,5 million d'habitants ; l'économie est paralysée, engendrant chômage et pauvreté, et affectant par conséquent la santé mentale de la population ; le secteur de l'environnement est également en déclin avec la détérioration des services sanitaires, notamment le système des égouts et de l'eau courante... » Selon les données de l'OMS, 80 % de l'eau accessible aux habitants de Gaza n'est pas conforme aux normes établies par l'organisation internationale.
Le secteur médical en crise
« Par ailleurs, souligne encore M. Laurance, bien que la plupart des institutions médicales aient été réparées après la guerre de 2009, les hôpitaux de Gaza manquent cruellement d'équipements spécialisés ainsi que de personnels qualifiés ». En effet, les professionnels de la santé dans la bande de ce territoire sont coupés du monde depuis plus de quatre ans. Et rares sont les médecins et les infirmiers qui ont été autorisés, depuis 2000, à quitter l'enclave palestinienne pour une formation à l'étranger. L'unique accès à la bande de Gaza qui ne soit pas contrôlé par Israël, le terminal de Rafah, n'est en outre que très épisodiquement ouvert par le voisin égyptien, surtout depuis que le Hamas s'est emparé du territoire en juin 2007. « Un système médical ne peut proprement fonctionner en étant isolé de la communauté internationale, affirme le responsable de l'OMS. L'ouverture des frontières est une nécessité pour la survie de la population. »
Israël, de son côté, rejette ces accusations, assurant qu'il n'y a aucune « crise humanitaire à Gaza ». À la suite de l'assaut contre la flottille d'aide internationale, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a assuré que toutes les marchandises pourraient arriver dans la bande de Gaza, sauf les armes, les matériaux pouvant servir à leur fabrication et certains produits, comme le ciment, susceptibles d'être utilisés pour bâtir des bunkers. Mais les organisations humanitaires font valoir que la liste est bien plus arbitraire que cela.
Une « punition collective »
« Le problème, c'est que le gouvernement israélien refuse de publier la liste des produits autorisés ou interdits », explique Hanan Elmasu, de l'ONG britannique Christain Aid, l'une des agences de développement les plus actives dans le monde. « Cette imprévisibilité du côté israélien est très frustrante pour les humanitaires travaillant à Gaza, confie-t-elle. Ils passent des heures à la frontière à négocier chaque chargement parce qu'ils ne savent jamais à l'avance si les produits qu'ils importent sont autorisés ou pas. Un mois, la coriandre peut être interdite, mais pas la cannelle. Le mois suivant, c'est le contraire. » Selon le journal israélien Haaretz, environ 40 produits seraient autorisés à entrer au territoire, contre 4 000 avant le blocus. Le site Internet de la BBC, qui a compilé des informations de plusieurs organisations internationales, indique, de son côté, que parmi les produits interdits figurent la confiture, le chocolat, le bois pour meubles, le jus de fruits, le textile et... les jouets en plastique. « Personne ne sait vraiment pourquoi Israël interdit de tels produits, affirme Hanan Elmasu. Personnellement, je crois que ces mesures s'inscrivent dans le cadre de la politique de punition collective qu'Israël inflige aux Palestiniens et qui va d'ailleurs à l'encontre du droit international. »
Le radicalisme, conséquence de l'embargo
Ce blocus, les Gazaouis parviennent néanmoins à le contourner grâce au marché noir, dont les tunnels de contrebande creusés sous la frontière avec l'Égypte sont l'élément central. Toutes sortes de produits passent par ces galeries souterraines : carburant, pièces de voiture détachées, vêtements, ordinateurs et même du bétail. Selon des estimations de la Banque mondiale, plus de 80 % des importations vers le territoire y transitent.
Initialement creusés pendant la deuxième intifada pour faire transiter clandestinement des armes, ces tunnels sont devenus aujourd'hui une sorte d'investissement pour les habitants de Gaza. Un investissement qui n'est pas sans risque. « Les tunnels représentent désormais une économie à part entière, explique Mme Elmasu. Mais comme ils sont souvent mal surveillés, de nombreux contrebandiers en profitent pour importer des produits illégaux, très dangereux pour la société, comme la drogue, des produits alimentaires périmés, des équipements défectueux, etc.
Par ailleurs, le contrôle de ces tunnels - et donc de l'économie, en général - entraîne une vraie lutte pour le pouvoir dans la bande de Gaza, alimentant la tension entre différents groupes influents dans le territoire. »
Ces derniers mois, plusieurs incidents opposant le Hamas à des groupes islamistes encore plus radicaux ont été enregistrés.
Ces groupes salafistes ont multiplié les attaques à la bombe contre les centres de soins de beauté, échoppes, cafés Internet et autres lieux jugés contraires à la pratique stricte de l'islam. Plus récemment, le 25 mai, un camp de vacances organisé par l'Unrwa a été incendié par une dizaine d'hommes masqués appartenant à un groupe radical opposé à la mixité entre garçons et filles.
« Malheureusement, dit Hanan Elmasu, un climat de peur s'est installé à Gaza, où il y a de moins en mois de place pour la tolérance, le droit à la différence et à la liberté d'expression. » Selon elle, « le radicalisme palestinien - qu'il soit religieux ou autre - est une conséquence directe de l'embargo israélien ».
Mercredi dernier, Filippo Grandi, commissaire général de l'Unrwa avait fait une déclaration allant dans le même sens, affirmant que le système en place dans la bande de Gaza contribuait à l'insécurité dans la région, tout en appelant à la levée du blocus qu'il a qualifié d'« investissement pour la sécurité ».
Une génération coupée du monde
« L'isolement, la violence, l'injustice et, en plus de tout cela, la division interne entre le Fateh et le Hamas ont un impact énorme sur la structure sociale palestinienne qui est sur le point de s'écrouler, lance Hanan Elmasu. Nous avons toute une génération de Palestiniens - dans la bande de Gaza et en Cisjordanie - qui ont vécu toute leur vie séparés de leurs compatriotes, coupés du reste du monde et sans aucune perspective de paix. Que pouvons-nous attendre de cette génération-là ? »
Dans ce contexte, les enfants sont particulièrement vulnérables. « Les enfants de Gaza vivent dans une terreur permanente, déclare Mme Elmasu.
Et un grand nombre d'entre aux commencent à développer des signes post-traumatiques inquiétants ». Selon l'OMS, plus de 70 % de la population dans la bande de Gaza est susceptible de développer des traumatismes. Le risque chez les enfants serait considérablement plus élevé. « Certains enfants de la bande de Gaza sont, par exemple, terrifiés par le ciel, synonyme pour eux de destruction et de mort, souligne la représentante de Christian Aid.
D'autres enfants ont peur de la pluie, qu'ils associent aux bombardements israéliens réguliers. » Pour la responsable, le plus inquiétant avec ce blocus est « l'impact qu'il risque de laisser à long terme, un impact peut-être irréversible ».
De fait, les chiffres en provenance de l'enclave palestinienne sont accablants. Selon l'Unrwa, pas moins de 80 % des Gazaouis dépendent de l'aide étrangère, 70 % vivent sous le seuil de la pauvreté et 40 % de la population active est au chômage. L'ONU précise que le nombre de réfugiés vivant dans une pauvreté extrême dans la bande de Gaza a triplé en trois ans. La Food and Agriculture Organisation (FAO) affirme, pour sa part, que l'insécurité alimentaire concernait 61 % des foyers en 2009, contre 56 % en 2008.
« Les habitants de la bande de Gaza sont en train de mourir de faim et la situation ne fait que se dégrader », déplore Tony Laurance, directeur du bureau de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Gaza, dans un entretien téléphonique avec L'Orient-Le Jour. Selon lui, la poursuite du blocus israélien risque d'avoir des répercussions encore plus dangereuses sur tous les aspects de la vie des Gazaouis. « Le secteur médical est en constante détérioration, au point qu'il met en danger la vie des quelque 1,5 million d'habitants ; l'économie est paralysée, engendrant chômage et pauvreté, et affectant par conséquent la santé mentale de la population ; le secteur de l'environnement est également en déclin avec la détérioration des services sanitaires, notamment le système des égouts et de l'eau courante... » Selon les données de l'OMS, 80 % de l'eau accessible aux habitants de Gaza n'est pas conforme aux normes établies par l'organisation internationale.
Le secteur médical en crise
« Par ailleurs, souligne encore M. Laurance, bien que la plupart des institutions médicales aient été réparées après la guerre de 2009, les hôpitaux de Gaza manquent cruellement d'équipements spécialisés ainsi que de personnels qualifiés ». En effet, les professionnels de la santé dans la bande de ce territoire sont coupés du monde depuis plus de quatre ans. Et rares sont les médecins et les infirmiers qui ont été autorisés, depuis 2000, à quitter l'enclave palestinienne pour une formation à l'étranger. L'unique accès à la bande de Gaza qui ne soit pas contrôlé par Israël, le terminal de Rafah, n'est en outre que très épisodiquement ouvert par le voisin égyptien, surtout depuis que le Hamas s'est emparé du territoire en juin 2007. « Un système médical ne peut proprement fonctionner en étant isolé de la communauté internationale, affirme le responsable de l'OMS. L'ouverture des frontières est une nécessité pour la survie de la population. »
Israël, de son côté, rejette ces accusations, assurant qu'il n'y a aucune « crise humanitaire à Gaza ». À la suite de l'assaut contre la flottille d'aide internationale, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a assuré que toutes les marchandises pourraient arriver dans la bande de Gaza, sauf les armes, les matériaux pouvant servir à leur fabrication et certains produits, comme le ciment, susceptibles d'être utilisés pour bâtir des bunkers. Mais les organisations humanitaires font valoir que la liste est bien plus arbitraire que cela.
Une « punition collective »
« Le problème, c'est que le gouvernement israélien refuse de publier la liste des produits autorisés ou interdits », explique Hanan Elmasu, de l'ONG britannique Christain Aid, l'une des agences de développement les plus actives dans le monde. « Cette imprévisibilité du côté israélien est très frustrante pour les humanitaires travaillant à Gaza, confie-t-elle. Ils passent des heures à la frontière à négocier chaque chargement parce qu'ils ne savent jamais à l'avance si les produits qu'ils importent sont autorisés ou pas. Un mois, la coriandre peut être interdite, mais pas la cannelle. Le mois suivant, c'est le contraire. » Selon le journal israélien Haaretz, environ 40 produits seraient autorisés à entrer au territoire, contre 4 000 avant le blocus. Le site Internet de la BBC, qui a compilé des informations de plusieurs organisations internationales, indique, de son côté, que parmi les produits interdits figurent la confiture, le chocolat, le bois pour meubles, le jus de fruits, le textile et... les jouets en plastique. « Personne ne sait vraiment pourquoi Israël interdit de tels produits, affirme Hanan Elmasu. Personnellement, je crois que ces mesures s'inscrivent dans le cadre de la politique de punition collective qu'Israël inflige aux Palestiniens et qui va d'ailleurs à l'encontre du droit international. »
Le radicalisme, conséquence de l'embargo
Ce blocus, les Gazaouis parviennent néanmoins à le contourner grâce au marché noir, dont les tunnels de contrebande creusés sous la frontière avec l'Égypte sont l'élément central. Toutes sortes de produits passent par ces galeries souterraines : carburant, pièces de voiture détachées, vêtements, ordinateurs et même du bétail. Selon des estimations de la Banque mondiale, plus de 80 % des importations vers le territoire y transitent.
Initialement creusés pendant la deuxième intifada pour faire transiter clandestinement des armes, ces tunnels sont devenus aujourd'hui une sorte d'investissement pour les habitants de Gaza. Un investissement qui n'est pas sans risque. « Les tunnels représentent désormais une économie à part entière, explique Mme Elmasu. Mais comme ils sont souvent mal surveillés, de nombreux contrebandiers en profitent pour importer des produits illégaux, très dangereux pour la société, comme la drogue, des produits alimentaires périmés, des équipements défectueux, etc.
Par ailleurs, le contrôle de ces tunnels - et donc de l'économie, en général - entraîne une vraie lutte pour le pouvoir dans la bande de Gaza, alimentant la tension entre différents groupes influents dans le territoire. »
Ces derniers mois, plusieurs incidents opposant le Hamas à des groupes islamistes encore plus radicaux ont été enregistrés.
Ces groupes salafistes ont multiplié les attaques à la bombe contre les centres de soins de beauté, échoppes, cafés Internet et autres lieux jugés contraires à la pratique stricte de l'islam. Plus récemment, le 25 mai, un camp de vacances organisé par l'Unrwa a été incendié par une dizaine d'hommes masqués appartenant à un groupe radical opposé à la mixité entre garçons et filles.
« Malheureusement, dit Hanan Elmasu, un climat de peur s'est installé à Gaza, où il y a de moins en mois de place pour la tolérance, le droit à la différence et à la liberté d'expression. » Selon elle, « le radicalisme palestinien - qu'il soit religieux ou autre - est une conséquence directe de l'embargo israélien ».
Mercredi dernier, Filippo Grandi, commissaire général de l'Unrwa avait fait une déclaration allant dans le même sens, affirmant que le système en place dans la bande de Gaza contribuait à l'insécurité dans la région, tout en appelant à la levée du blocus qu'il a qualifié d'« investissement pour la sécurité ».
Une génération coupée du monde
« L'isolement, la violence, l'injustice et, en plus de tout cela, la division interne entre le Fateh et le Hamas ont un impact énorme sur la structure sociale palestinienne qui est sur le point de s'écrouler, lance Hanan Elmasu. Nous avons toute une génération de Palestiniens - dans la bande de Gaza et en Cisjordanie - qui ont vécu toute leur vie séparés de leurs compatriotes, coupés du reste du monde et sans aucune perspective de paix. Que pouvons-nous attendre de cette génération-là ? »
Dans ce contexte, les enfants sont particulièrement vulnérables. « Les enfants de Gaza vivent dans une terreur permanente, déclare Mme Elmasu.
Et un grand nombre d'entre aux commencent à développer des signes post-traumatiques inquiétants ». Selon l'OMS, plus de 70 % de la population dans la bande de Gaza est susceptible de développer des traumatismes. Le risque chez les enfants serait considérablement plus élevé. « Certains enfants de la bande de Gaza sont, par exemple, terrifiés par le ciel, synonyme pour eux de destruction et de mort, souligne la représentante de Christian Aid.
D'autres enfants ont peur de la pluie, qu'ils associent aux bombardements israéliens réguliers. » Pour la responsable, le plus inquiétant avec ce blocus est « l'impact qu'il risque de laisser à long terme, un impact peut-être irréversible ».