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Nommée par Yasser Arafat comme première femme représentant l’OLP en Europe, Leila Shahid occupe plusieurs postes dans plusieurs capitales européennes avant d’assumer depuis 2006 celui de représentante auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg.
Leila Shahid « déteste les CV » mais n’a aucun problème à révéler sa date de naissance à Beyrouth, Liban, le 13 juillet 1949. C’est bien ce pays qui en a fait une francophone et une francophile convaincue. Originaire de parents nés en Palestine et mêlée de très près au combat nationaliste et anticolonial britannique, elle grandit dans un milieu politisé et engagé dans le combat pour défendre la cause palestinienne. Après des études d’anthropologie à l’Université américaine de Beyrouth, elle rejoint l’Ecole pratique des hautes études en sciences sociales à Paris pour une recherche sur la structure sociale des camps palestiniens au Liban qu’elle a bien connue comme militante politique.
Nommée par Yasser Arafat comme première femme représentant l’OLP en Europe, elle assume les postes de Déléguée générale de Palestine en Irlande (1989), aux Pays-Bas (1990), en France (1993) et à l’Unesco avant d’atterrir à Bruxelles comme représentante auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg (depuis 2006).
Elle considère que sa mission est assez singulière comme représentante d’un Etat qui n’existe pas encore, mais qui occupe une place très importante comme la dernière nation au monde qui lutte pour une reconnaissance officielle, clé pour la paix en Méditerranée. Interview...
La situation politique est très instable dans les territoires palestiniens. Le Hamas et l’Autorité palestinienne sont plus que jamais opposés. Israël poursuit la construction du mur et ne veut pas interrompre la colonisation en Cisjordanie. Comment sortir de l’impasse actuelle ?
Il est évident que nous sommes dans une vraie impasse aujourd’hui. La raison principale est que les négociations auxquelles l’Autorité palestinienne, et plus spécifiquement le Président Abbas, a consacré plus de 16 ans depuis Oslo, sont aujourd’hui au point mort parce que le nouveau gouvernement israélien veut recommencer tout à zéro. Or depuis Oslo en 1993 nous avons avancé sur un certain nombre de dossiers sur la base des paramètres des négociations c’est-à-dire :
qu’il s’agit de négocier la fin de l’occupation militaire qui a conquis par la force militaire les territoires de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est, sur la base des Résolutions du Conseil de Sécurité 242 et 338. Les frontières de cet Etat sont les seules reconnues par la communauté internationale c’est-à-dire les frontières de 1967 sauf accord entre les deux parties,
que Jérusalem-Est fait partie de ces territoires occupés,
que les colonies israéliennes sont érigées en violation du droit international et sont illégales, comme le mur de séparation d’ailleurs, et sont reconnus comme tel par la décision de la Cour de Justice de la Haye de 2004 ainsi que les résolutions des Conseils européens et du Conseil de Sécurité des Nations-Unies,
que le statut des réfugiés palestiniens doit être négocié comme le propose l’Initiative arabe de 2002 sur la base de la Résolution 194 de l’AG des Nations-Unies et en accord avec les deux parties concernées.
que Jérusalem-Est fait partie de ces territoires occupés,
que les colonies israéliennes sont érigées en violation du droit international et sont illégales, comme le mur de séparation d’ailleurs, et sont reconnus comme tel par la décision de la Cour de Justice de la Haye de 2004 ainsi que les résolutions des Conseils européens et du Conseil de Sécurité des Nations-Unies,
que le statut des réfugiés palestiniens doit être négocié comme le propose l’Initiative arabe de 2002 sur la base de la Résolution 194 de l’AG des Nations-Unies et en accord avec les deux parties concernées.
L’Autorité Palestinienne a négocié avec 7 gouvernements différents en 16 ans, aucun n’ayant pu arriver au terme de son mandat ! Le dernier texte négocié reprenant la plupart des obligations des deux parties est la Feuille de Route qui a été adoptée à Annapolis par les Etats-Unis et toute la communauté internationale. Il est impensable aujourd’hui de remettre en cause tout ce qui a été accompli et d’affirmer comme le dit le PM israélien : un refus de reconnaître à la fois les frontières de 1967, le statut de Jérusalem-Est, l’illégalité des colonies et du mur et les droits des réfugiés palestiniens.
Tout gouvernement a des obligations à l’égard du gouvernement qui le précède et Israël doit choisir si elle veut être un Etat de droit ou si elle veut être un Etat hors du droit, je dirais même "hors-la-loi" dans le monde.
Pour sortir de cette impasse, il y a des responsabilités internationales. Pourquoi dans tous les autres conflits territoriaux du monde, en Asie, en Afrique, dans les Balkans, nous avons vu une mobilisation internationale pour faire respecter le droit ? Les Palestiniens seraient-ils une espèce humaine qui n’aurait pas droit au droit ??
Certains disent que la solution de deux États n’a plus de sens. Qu’en pensez-vous ?
Beaucoup de Palestiniens et d’Israéliens deviennent de plus en plus sceptiques quant à la possibilité de créer un Etat Palestinien dans les territoires occupés en 1967. Et ceci à cause des colonies, des routes de détournement, des camps militaires et du mur de séparation qui annexent plus de 50% du territoire palestinien et qui isolent Jérusalem Est de la Cisjordanie.
Ehud Barak disait, lui-même, à la Conférence de Herzlia il y a une semaine que si Israël n’acceptait pas tout de suite la solution de deux Etats elle devra bientôt accepter d’être un Etat d’apartheid avec une majorité de population arabe à l’horizon de 2020. Malheureusement, malgré ce que dit Ehud Barak, le gouvernement Netanyahou continue une politique de l’autruche. C est suicidaire comme politique parce que c’est celle qui produit la pire des violences, celle du désespoir. Et elle enflamme la région contre Israël et ses alliés dans le monde.
Personnellement, je crois que ce qui comptera dans la réalisation de la solution des deux Etats, c’est la volonté politique des deux partis et celle des Etats forts dans le monde. En ce qui nous concerne, nous avons déjà commencé, malgré tout l’arsenal israélien, à mettre en œuvre le plan du Premier ministre palestinien intitulé "mettre fin à l’occupation, bâtir l’Etat" et ceci avec l’aide de tous nos amis dans le monde et notamment l’Union européenne. Mais il est évident que pour forcer le retrait de l’armée il faudra une volonté politique internationale et une reconnaissance officielle de la souveraineté palestinienne sur les territoires de 1967. C’est bien moins compliqué que d’imposer à Israël un Etat laïc et binational, que la majorité des Israéliens ne souhaitent pas. Quant aux Palestiniens. Ils veulent un Etat à eux et le plus rapidement possible.
Le Tribunal Russell sur la Palestine devrait démarrer son travail cette année. Savez-vous où on en est et comment il va procéder ?
Je suis une des signataires de l’Appel du Tribunal Russel avec mon amie et complice israélienne Nurith Peled. Face à l’impunité d’Israël depuis 44 ans que dure l’occupation militaire et après toutes les guerres et les massacres que la population civile palestinienne mais aussi libanaise ont vécus nous avons suivi l’exemple du Vietnam et du grand philosophe Jean-Paul Sartre en appelant les personnalités intellectuelles, sociales, juridiques, politiques et culturelles à lancer un Tribunal d’opinion qui jugera les responsabilités israéliennes mais aussi internationales dans la non application du Droit en Palestine. Le plus incroyable c’est que nous avions lancé avec le Sénateur Belge Pierre Galand cet appel il y a 2 ans avant l’offensive sur Gaza et à la suite de l’avis consultatif de La Cour de Justice de la Haye. La réaction des personnalités du monde et des ONG a été encore plus grande après la tragédie de Gaza. Les organisateurs ont décidé d’avoir plusieurs sessions de ce Tribunal dans différents continents et dans différentes villes. La première session de ce Tribunal aura lieu à Barcelone le 1er Mars et examinera le rôle de l’Europe et ses responsabilités dans la non application du droit et de la justice.
Selon vous, la lutte pour la reconnaissance des droits des Palestiniens se situe-t-elle encore dans l’opinion palestinienne sur le terrain politique ou l’affrontement a-t-il pris un tour irrémédiablement religieux ?
Bien sûr qu’elle reste entièrement une question politique de caractère national et anticolonial. L’émergence de mouvement à base islamiste comme le Hamas n’est pas une question religieuse autant que politique. Je m’explique. L’Islam comme idéologie politique remonte aux Frères musulmans en Egypte et l’arrivée au pouvoir des Mullahs en Iran en 1979. La religion devient alors une idéologie politique instrumentalisée par une force sociale qui a recours à l’Islam comme nouveau discours politique. Dans le cas du Hamas et même du Jihad Islamique la première revendication des deux mouvements n’est pas de développer la foi parmi les gens mais bien de libérer la Palestine de l’occupation militaire. C’est donc des mouvements nationaux à base sociale et idéologique islamiste. Ils représentent à mon avis une régression dans le Mouvement national palestinien de L’OLP qui a été toujours laïc depuis sa fondation mais qui a perdu de sa crédibilité aux yeux de ses électeurs à cause de l’échec des négociations et de l’avènement d’un Etat indépendant. Le vote en faveur du Hamas en 2006 était plus un vote de sanction qu’un vote dû aux convictions religieuses. Par exemple à Bethlehem le maire chrétien de la ville a été élu avec les voix du Hamas ! Ceci dit, je crois que le soutien au Hamas a diminué aujourd’hui parce qu’il est jugé lui aussi sur ses échecs plus que sur ses promesses.
Après vous, une autre femme, Hind Khoury, a été nommée représentante de la Palestine en France. Est-ce une stratégie de la part de l’Autorité palestinienne, fondée sur la conviction qu’en choisissant une femme comme représentante, elle offre une image de modernité de la société palestinienne ? Et quelle place occupe aujourd’hui la femme palestinienne dans la construction de l’édifice national ?
J’ai été nommée comme première femme ambassadeur par le Président Arafat en 1989 en Irlande. A l’époque c’était la Première Intifada en Palestine occupée et le monde entier découvrait que la résistance des Palestiniens était bel et bien la résistance de toute une société. Les femmes dans cette Intifada de 1987 avaient joué un grand rôle. Le Président Arafat voulait nommer une femme ambassadeur comme un hommage à leur rôle et son choix est tombé sur moi bien que je n’étais à l’époque qu’une militante modeste du mouvement Fateh. Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui ce soient les mêmes convictions qui régissent les décisions de L’Autorité. Le mouvement des femmes palestiniennes qui tente de protéger les acquis de la lutte des femmes s’est un peu assagi malheureusement parce qu’il est très difficile de concilier lutte politique et lutte sociale dans un combat de libération nationale.
En fin de compte, attendez-vous toujours quelque chose de l’opinion européenne, comme lorsque vous avez entrepris ce tour des villes et des banlieues françaises de 2003 à 2005 dont vous rendez compte dans Les banlieues, le Proche-Orient et nous ?
Cette tournée des banlieues françaises avec mes deux complices Michel Warchawski et Dominique Vidal était spécifique à la France. En France, il y a eu un phénomène de ghettoïsation des générations d’origine maghrébines dans des banlieues. Alors nous avons voulu aller vers eux et nous avons en quelque sort brisé le Mur invisible qui nous séparait. C’est cette expérience que le livre raconte.
Êtes-vous optimistes quant à un rôle efficace de l’Union européenne, notamment après la déclaration en décembre dernier des ministres des Affaires étrangères européens qui ont appelé à ce que Jérusalem devienne une capitale partagée entre Israéliens et Palestiniens ? Pensez-vous que l’Europe puisse prendre une position claire concernant les frontières de l’Etat palestinien futur, notamment les frontières de Juin 67 ?
La déclaration du Conseil européen du 8 décembre était une grande victoire pour nous parce qu’elle a permis de rappeler les paramètres de toute solution au problème du Moyen-Orient, comme définis ci-dessus. Ce sont les positions de L’Union européenne mais elles n’avaient jamais été dites sur ce ton et avec une telle fermeté. Cela a produit l’effet contraire finalement. Maintenant il faut faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les nouvelles institutions européennes après la mise en œuvre du Traité de Lisbonne, c.-à-d. le poste du haut représentant de la politique étrangère et de la politique de sécurité, Lady Catherine Ashton, et le poste de président du Conseil européen, ont modifié les mécanismes de prise de décision. Nous sommes dans une période de transition où j’espère que l’Europe continuera à être mobilisée autant sur le plan économique que sur le plan politique.
Quelle place réservez-vous aux jeunes Palestiniens désespérés dans vos plans et stratégies politiques et économiques ?
Justement le plan du gouvernement palestinien du Premier ministre Fayyad intitulé "Mettre fin à l’occupation, construire l’Etat" se veut avant tout une révolution conceptuelle, une manière de redonner confiance aux jeunes générations. Et ceci en leur montrant que, malgré l’occupation, on peut commencer à construire les infrastructures de l’Etat à tous les niveaux, montrer au monde que l’Etat palestinien est une réalité. Là, ils seront bien obligés de le reconnaître ! C’est justement l’apport de l’aide européenne qui a permis de lancer plus de 1 000 projets en Cisjordanie qui ont créé de l’emploi, ouvert des opportunités de formation pour les jeunes, assuré une croissance de l’économie... Il est évident que la condition du succès à long terme restera la souveraineté totale du territoire palestinien. Mais entretemps, ce programme réinvestit les jeunes en particulier, dans la tâche de construire leur avenir malgré et contre l’occupation.