Serge Dumont - Le Temps
Les habitants ultraorthodoxes de Ramat Shlomo, où le gouvernement israélien veut construire 1600 logements au risque d’exaspérer Washington, expliquent leur point de vue Les liens
La première chose qui frappe en entrant à Ramat Shlomo, le quartier au nord de Jérusalem-Est où le gouvernement israélien persiste à vouloir construire 1600 appartements destinés à des juifs ultraorthodoxes, c’est le silence et la propreté des rues. Rien à voir avec le quartier arabe voisin de Beit Hanina, auquel la municipalité ne s’est jamais beaucoup intéressée. Encore moins avec le camp de réfugiés de Shuafat, situé juste en face, dont les besoins minimaux sont assurés par l’Unwra (l’agence des Nations unie) alors qu’ils devraient l’être par l’Etat hébreu, qui l’a annexé en 1980.
Fondé sur une crête faisant partie des territoires occupés par Israël depuis la guerre des Six-Jours, le quartier de Ramat Shlomo compte 20 000 habitants. « Nous ne comprenons pas pourquoi le fait de construire dans une zone qui ne sera jamais restituée aux Palestiniens, même dans le cadre d’un accord de paix global, met le monde dans un tel état d’excitation », assène Yossef Ben Sasson, un épicier portant une chemise blanche et une grande kippa de velours noir, l’uniforme traditionnel des sympathisants du parti ultraorthodoxe Shas. « Eh bien, la raison profonde de ce battage est simple : le monde est antisémite. »
Les électeurs du Shas sont nombreux à Ramat Shlomo. Les responsables de plusieurs des entreprises chargées du développement du quartier sont également liés à ce parti. Ce qui explique peut-être pourquoi le ministre de l’Intérieur, Elie Yshaï (qui est également le leader politique de cette formation), et le ministre du Logement, Ariel Atias (l’un de ses lieutenants), tiennent tant à ce que l’on y ouvre des chantiers.
Mais les shassnikim, comme on les surnomme en Israël, ne sont pas seuls. On y trouve également de nombreux Anglo-Saxons inscrits dans les écoles talmudiques. « Les familles religieuses ne peuvent plus vivre dans les villes et dans les quartiers ultraorthodoxes traditionnels (ndlr : situés à l’intérieur d’Israël) parce qu’ils sont surpeuplés. A Bnei Brak (ndlr : la principale ville religieuse du pays), les enfants dorment dans la cage d’escalier ou sur le balcon de leur appartement », explique Daniel S., un Londonien venu étudier les saintes écritures en compagnie de son épouse et de ses six enfants. « A Ramat Shlomo, au contraire, les appartements sont conçus pour les familles nombreuses et ils coûtent 30% moins cher qu’ailleurs ».
La construction des « nouveaux quartiers » de Jérusalem a débuté en 1970, lorsque la Première ministre travailliste Golda Meïr dirigeait l’Etat hébreu d’une poigne de fer. A l’époque, les immeubles notamment planifiés à Gilo (40 000 habitants au sud de Jérusalem) et à Talpiot-Est (16 000 habitants) étaient d’ailleurs destinés aux familles laïques issues des milieux populaires. La plupart des ouvrages ont été construits par des ouvriers palestiniens de Shuafat et du reste de la Cisjordanie occupée.
A partir des années 1980, les nationaux religieux partisans du Grand Israël ont pris le relais en s’installant au beau milieu des quartiers arabes de la ville. Pour démontrer que Jérusalem restera, selon eux, « la capitale éternelle et indivisible d’Israël ». L’exemple le plus achevé de cette colonisation se trouve à Ras-el-Amoud, un quartier palestinien à l’est de la Ville sainte où quelques dizaines de familles juives vivent retranchées dans un immeuble-bunker protégé 24 heures sur 24 par des vigiles armés. Publicité
Une ambiance différente de celle de Ramat Shlomo ou de Ramot, un autre quartier ultraorthodoxe s’étendant de l’autre côté de la ligne verte (la frontière entre Israël et la Cisjordanie). « La politique ne nous intéresse pas, lâche Nathalie Elhadad, une Française installée à Ramot depuis 2001. Ce qui compte dans notre milieu, ce n’est pas ce que disent [le Premier ministre israélien] Benyamin Netanyahou et [le président] Barack Obama, mais ce que Dieu ordonne de faire pour préserver notre caractère juif. Le reste, ce n’est pas notre problème. »
18 mars 2010 - Le Temps