Nimer Sultany
Une intensification de l’oppression induit une intensification de la protestation. Pour cette raison, les agissements d’Israël ne le mèneront ni à la paix à l’intérieur ni à l’extérieur de ses frontières de 1967.
Une fois de plus Israël a recours à des procès médiatiques. Sheikh Raed Salah, figure politique et religieuse de la minorité palestinienne, a été condamné le 13 janvier par une cour de justice israélienne à neuf mois d’emprisonnement. C’est sa seconde condamnation ces dernières années. Cette fois il lui est reproché d’avoir agressé un policier et perturbé le travail de la police lors d’une manifestation à la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem.
En dehors du jargon juridique utilisé, la persécution de Salah fait partie intégrante de deux processus en cours, la stigmatisation des leaders arabes et des activistes politiques en Israël et une campagne israélienne visant à créer des évènements dans Jérusalem pour ancrer l’occupation illégale.
De fait, ces dernières années Israël a intensifié la judaïsation de Jérusalem en construisant de nouveaux quartiers juifs, en chassant les familles arabes de leurs maisons, en démolissant des maisons, en refusant d’accorder des permis de construire aux Palestiniens de Jérusalem pour les forcer à partir, en les privant de leur statut de citoyen au nom de prétextes fallacieux, coupant Jérusalem du reste de la Cisjordanie, et imposant des restrictions eu égard à l’âge et donc au nombre de Palestiniens autorisés à prier à la mosquée Al-Aqsa. Les efforts israéliens pour changer la géographie et la démographie de Jérusalem s’inscrivent dans un projet jamais démenti depuis l’occupation de la ville en 1967 et l’annexion de jure qui s’ensuivit Si la communauté internationale a rejeté cette annexion « légale » comme violation du droit international, elle s’est cependant contentée de condamnations verbales.
Ce projet montre qu’Israël fait tout ce qu’il peut pour miner tout effort entrepris en vue de la paix, en s’éloignant à dessein du cœur des questions soulevées. En écartant unilatéralement certaines options et transformant les aspirations légitimes en imaginaire irréaliste, ces politiques rendent toute négociation futile et ajoute à l’absurdité du désormais défunt « processus de paix ». On ne mesure l’ampleur de l’impact de ces politiques que lorsque l’on prend en compte la conception israélienne de son expansion territoriale à Jérusalem.
Tout le monde sait ce qui unit le Sheikh et la ville. Salah, qui a été empêché d’entrer à Jérusalem sur ordre israélien ces derniers mois et a aussi été empêché de quitter le pays, a activement mis au défi les politiques israéliennes. Quand Israël a réduit le nombre de Cisjordaniens pouvant visiter Al-Aqsa, Salah a fait en sorte que des milliers de citoyens palestiniens viennent prier à la mosquée et visitent Jérusalem. Quand Israël a procédé à des fouilles souterraines aux abords d’Al-Aqsa, Salah et ses proches furent les premiers à protester. Quand des extrémistes israéliens ont annoncé leur projet de destruction de la moquée Al-Aqsa, Salah a rassemblé ses troupes afin de porter la nouvelle à la connaissance de tous.
Quand Israël a essayé de séparer les citoyens palestiniens de leurs frères dans les Territoires occupés, Salah et son mouvement mirent sur pied une aide à ces derniers. En bref, Salah a fait de Al-Aqsa un cri de ralliement pour défendre l’identité arabe et islamique de Jérusalem et de la Palestine, identité qu’Israël nie et essaie de faire oublier. Salah a également pour programme de redonner du pouvoir aux citoyens palestiniens, les nommant « société autosuffisante ». Salah qui a été le maire d’une des plus grandes communautés arabes à l’intérieur d’Israël en est arrivé à constater l’existence d’un véritable besoin de création d’institutions pour la société civile afin d’ offrir les services sociaux que l’Etat auraient dû fournir. Ce besoin se fait de plus en plus sentir du fait de la discrimination collective systématique et chronique de la minorité palestinienne.
Compte tenu de ce contexte et des prises de position publiques de Salah contre les pratiques des Israéliens dans les territoires occupés, il n’est pas étonnant qu’Israël essaie de criminaliser son activité politique, de le faire taire, de limiter ses déplacements et de dissuader sa communauté de le suivre sur cette voie. Mettre en oeuvre des procédures judiciaires pour traiter des luttes d’ordre idéologique relève d’une ruse qui n’est pas nouvelle. Il s’agit d’éviter toute contestation politique et tout dialogue public à propos des tabous israéliens. Dans le même but, on s’arrange pour faire passer les opposants au régime pour des hors la loi.
Il est cependant difficile de cacher aux yeux du monde la nature politique du procès fait à Salah. Salah, tête du mouvement islamique extraparlementaire a été considéré par l’appareil de sécurité de l’Etat comme menace à l’idéologie de l’Etat, et a été l’objet de plusieurs agressions physiques par les policiers, et on a même tiré sur lui en octobre 2000. Certaines des ONG appartenant à son mouvement ont été fermées et leurs journaux ont fait l’objet d’une suspension temporaire. Salah est diabolisé de façon récurrente dans les médias israéliens depuis plus de dix ans.
Ainsi, il est utopique de penser que dans le système judiciaire israélien qui condamne de façon totalement disproportionnée plus d’Arabes que de Juifs, que le premier juge venu fasse preuve d’impartialité eu égard à ce musulman pieu, au demeurant politiquement actif. En l’occurrence le juge en question n’a pu s’empêcher d’exprimer dans le verdict sa réactivité aux expressions qu’il lisait sur le visage de Salah durant le procès. Salah lui était supposé se soumettre à cette mascarade de justice parée des vertus de la loi.
L’ironie du sort de Salah concerne aussi celui d’autres personnes. Ainsi, face à un groupe de « témoins » issus des forces de police elles-mêmes, le témoignage de Salah n’avait aucune chance. Quand Salah va en prison, les policiers israéliens qui ont tué 13 manifestants arabes en octobre 2000 sont toujours en liberté. Dans des procès médiatiques comme ceux-là, dont l’issue est totalement prévisible, la justice n’est plus qu’un outil aux mains de l’Establishment, qui lui permet d’atteindre ses objectifs idéologiques.
Israël espère qu’en faisant taire ce personnage emblématique, il supprimera une entrave à son programme de colonisation de la Palestine et de judaïsation de Jérusalem en particulier.
Mais une intensification de l’oppression induit une intensification de la protestation. Pour cette raison, les agissements d’Israël ne le mèneront ni à la paix à l’intérieur ni à l’extérieur de ses frontières de 1967. Alors que les activistes palestiniens subissent une pression grandissante de la part des Israéliens, il devient nécessaire que tous ceux qui défendent la liberté, l’égalité et la justice, expriment leur réprobation. En vérité, comme dit Salah : « Jérusalem est en danger ».
Nimer Sultani est un citoyen palestinien d’Israël et écrit une thèse à l’école de droit de Harvard. Il est éditeur de « Citoyens sans citoyenneté- Israël et la Minorité Palestinienne(2003)- Israël et la Minorité Palestinienne (2004) ».
Publié par Electronic Intifada
Traduction : JM afps 85