entretien avec Stephen M. Walt
Pour Stephen M. Walt, professeur de relations internationales à l’université Harvard (1), le président n’a pas su, en un an de mandat, définir ses priorités de politique étrangère et son pragmatisme encourage plutôt ses opposant
La Croix : Un an après son arrivée à la Maison-Blanche, quel bilan faites-vous de la politique étrangère de Barack Obama ?
Stephen M. Walt : Un an, c’est trop tôt pour porter un jugement. George W. Bush avait très mal commencé mais au bout d’un an, après les attaques du 11 septembre 2001, il était devenu un président en guerre, très déterminé et populaire. Cela n’a pas empêché qu’à la fin, il était considéré comme un des plus mauvais présidents de l’histoire.
Barack Obama a hérité d’une situation très difficile, peut-être le défi le plus lourd à relever depuis Roosevelt : une économie en crise, deux guerres (Irak et Afghanistan), sans compter une série de problèmes difficiles comme l’Iran, le conflit israélo-palestinien, les relations avec la Russie ou le changement climatique. Affronter séparément ces problèmes, c’est compliqué, les affronter tous en même temps, c’est très difficile.
La question est de savoir si les positions prises sont les bonnes et si le président se montre résolu, capable de les maintenir même quand il rencontre une opposition. De ce point de vue, le bilan est mitigé. Il entend mettre les engagements des États-Unis plus en adéquation avec leurs ressources.
Jusque-là, il a réalisé une rupture symbolique avec l’administration Bush, un changement de style plus que de substance. La torture a été interdite, des mémorandums ont été publiés, l’interdiction des voyages à Cuba a été levée. En même temps, Guantanamo n’est toujours pas fermé, les tribunaux militaires, les détentions préventives et les redditions extraordinaires sont maintenues, tandis que les attaques de drones au Pakistan et en Afghanistan s’intensifient. Barack Obama a aussi tenté avec un relatif succès de mettre les relations avec la Russie sur une voie plus constructive.
Quel regard portez-vous sur son action au Moyen-Orient ?
Avec l’Iran, il a mis l’accent sur la diplomatie – avec raison car le recours à la force serait une énorme erreur –, mais il ne sera pas possible de parvenir à un accord dans un futur proche. En l’absence de résultats, certains continueront à soulever la question d’une action militaire, même si beaucoup de gens aux États-Unis, particulièrement parmi les militaires, y sont hostiles.
Sur la question du conflit israélo-palestinien, le président a été plus décevant. Il a commencé par exprimer de bonnes idées dans son discours du Caire, avant de faire machine arrière sur la question du gel des implantations israéliennes et de dénoncer le rapport Goldstone sur Gaza.
Sur la question de l’Afghanistan et du Pakistan, ses décisions impliquent un engagement à long terme et les perspectives de succès ne sont pas élevées. En Irak, le calendrier du retrait des troupes sera difficile à respecter. Sur ces questions, la situation dans trois ans devrait beaucoup ressembler à celle qui prévalait au moment de son élection. Le mieux qu’il puisse faire, c’est d’éviter que ces problèmes ne s’aggravent.
Comment expliquez-vous le revirement sur la question des colonies israéliennes ?
C’est une décision politique. L’administration a donné la priorité à l’adoption de la réforme de l’assurance-maladie. Elle a besoin du Congrès où beaucoup de parlementaires s’opposent à cette politique de fermeté à l’égard d’Israël. Elle n’a pas voulu risquer de compromettre le vote démocrate.
L’erreur a été de ne pas avoir su anticiper ce que serait sa politique si les Israéliens refusaient d’arrêter la construction des colonies. L’administration a pensé qu’il suffisait d’être très ferme pour obtenir très rapidement la coopération israélienne. Quand ils ne l’ont pas obtenue, ils ne savaient plus quoi faire et ils n’avaient clairement pas la volonté d’aller plus loin.
Barack Obama comprend le problème et il sait ce qu’il faudrait faire mais ce n’est pas sa priorité. C’est une tragédie car cela signifie que les négociations n’aboutiront pas et que la solution des deux États devient impossible : trop de colonies israéliennes, pas de soutien politique en Israël pour les évacuer et des Palestiniens divisés. Cela conduit à un état d’apartheid. Certains pensent que le point de non-retour a déjà été atteint. Un jour, tout le monde le reconnaîtra. Quelle sera, alors, la politique américaine ?
L’Afghanistan peut-il devenir un nouveau Vietnam ?
La décision d’envoyer des renforts supplémentaires a répondu à des considérations de politique intérieure et non à une pensée stratégique claire. Obama ne pouvait dire non aux demandes du général McChrystal sans payer un prix politique très élevé. Et comme il ne voulait pas non plus en faire trop, il a choisi une demi-mesure. L’alternative aurait été de reconnaître que le problème de l’Afghanistan ne pouvait pas être résolu militairement et n’était pas d’un intérêt vital pour les États-Unis.
Barack Obama court-il le risque de finir comme Jimmy Carter, un président faible et discrédité ?
Comme Clinton et Carter, c’est un président jeune, intelligent et curieux qui tente de faire trop de choses à la fois. Mais il a plus de flair politique que Carter et est plus discipliné que Clinton. Le système de gouvernement américain rend les changements difficiles et l’administration n’a pas su établir clairement ses priorités et s’y tenir. Ils ont essayé de résoudre trop de problèmes à la fois et ils ont fini par ne rien faire. Résultat, beaucoup de bonnes choses faites dans les premiers mois commencent à être perçues comme des gestes vides.
Barack Obama est un pragmatique. Il fixe des objectifs ambitieux dans des délais courts et il est prêt au compromis. Cela encourage ses opposants, aux États-Unis comme à l’extérieur, à chercher à gagner du temps.
Au bout du compte, politiquement, le problème le plus important pour lui reste l’économie américaine. C’est ce qui conditionnera sa réélection. Une reprise suffirait à l’assurer alors qu’une nouvelle détérioration le mettrait en position vulnérable.
Recueilli par François d’ALANÇON
(1) Auteur de plusieurs ouvrages dont Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, Éditions La Découverte, 2007.