dimanche 18 octobre 2009 - 06h:43
Christoph Schult - Spiegel Online
Laila al-Bukhari a une poignée de main molle. On a du mal à croire que ces mains ont un jour attaché des ceintures d’explosifs à des kamikazes palestiniens.
Laila Al-Bukhari, 32 ans, a été libérée il y a quelques jours, après sept ans et quatre mois passés dans une prison israélienne. Tandis qu’elle parle, elle ne cesse de balayer la pièce du regard, comme si elle voulait s’assurer qu’elle n’est plus dans une petite cellule de la prison de Damun, au sud de Haifa. Elle se trouve bien dans le grand séjour de sa maison parentale, ancienne résidence du gouverneur britannique dans la ville palestinienne de Naplouse, dans les montagnes de Cisjordanie.
La jeune femme porte un pantalon et un T-shirt, ses cheveux auburn sont coiffés en queue de cheval et ses pieds nus chaussés de sandales à semelles compensées. Membre du mouvement séculier du Fatah, elle n’est pas dévote.
Au mur il y a des photos du fondateur du Fatah, Yasser Arafat, et de Mahmoud Abbas, président de l’autorité palestinienne autonome. Dehors, des drapeaux jaunes du Fatah flottent au vent et une affiche montre Abbas proclamant une journée nationale de commémoration des prisonniers palestiniens en Israël.
Toutefois ce n’est pas à son propre parti qu’elle doit sa libération, mais bien aux islamistes du Hamas qui contrôle la bande de Gaza. Le Hamas avait obtenu la libération de 20 détenues palestiniennes d’Israël en échange d’une vidéo montrant le soldat israélien capturé Gilad Shalit. Laila al-Bukhari ne le reconnaît qu’à contrecoeur, mais « oui, le Hamas a agi dans l’intérêt de la nation tout entière quand il a capturé Shalit ».
Dans la ville de Hébron, à 65 km au sud, Heba al-Nacheh pénètre dans le séjour modestement meublé de sa famille. Elle porte une robe en jean qui lui arrive aux chevilles et son visage est encadré par un foulard blanc. Difficile de dire si sa poignée de main est aussi molle que celle de Laila al-Bukhari puisque la religion de Heba al-Nacheh lui interdit de serrer la main à des hommes étrangers.
Elle a 19 ans et est membre du Hamas. En 2006 elle a été arrêtée et accusée d’avoir planifié une attaque à l’arme blanche contre un soldat israélien. Elle dit aujourd’hui avoir été accusée à tort. Selon elle, elle se serait trompée de file à un poste de contrôle de l’armée et aurait été arrêtée uniquement parce qu’elle y était la seule femme à porter foulard.
« L’islam est la solution »
La paix avec Israël ? Jamais, dit Heba al-Nacheh. « La Palestine s’étend de la Méditerranée au Jourdain. Nous n’accepterons jamais une solution à deux états. Ceci est notre pays ». Sur le mur est écrit : « l’Islam est la solution ».
Mais il n’y a pas de photo du dirigeant du Fatah Mahmoud Abbas au mur. Que pense-t-elle de lui ? Elle secoue la tête pour indiquer qu’elle préfère ne rien dire. Son grand-père, Abu Haitham, répond à sa place : « C’est une honte quand des gens trahissent leur propre peuple en exécutant les ordres d’étrangers ».
En ce moment, le Président Abbas semble être télécommandé. Après avoir refusé pendant des semaines de rencontrer l’intransigeant premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, il a finalement accepté, à la demande de Washington, d’assister à un sommet-spectacle embarrassant, pour sauver la mise à Obama. Ensuite on a appris que l’autorité palestinienne d’Abbas, cédant à nouveau à la pression états-unienne, avait voté contre la saisine du rapport Goldstone sur la guerre de Gaza par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le rapport accuse Israël de crimes de guerre pendant l’opération Plomb Durci en début d’année dans la bande de Gaza.
Dans tous les camps politiques, on demande la démission d’Abbas. Le Hamas a menacé de se retirer des pourparlers de réconciliation avec le Fatah au Caire. « Nous ne pouvons pas nous réunir avec ces criminels » a lancé le dirigeant du Hamas Mahmoud al-Sarah, exigeant que l’Egypte reporte les pourparlers à décembre. Jusque dans les rangs du Fatah on a entendu des appels à la démission d’Abbas. « Le préjudice subi par le président Abbas est très important » a déclaré à Spiegel-Online Nabil Shaath, ancien premier ministre et membre actuel du Comité central du Fatah. Shaath, responsable des pourparlers avec le Hamas, qualifie de « lourde faute » le report du débat sur le rapport Goldstone.
Abbas a été contraint de s’expliquer sur sa politique vis-à-vis du rapport Goldstone. Lors d’un discours dans la ville cisjordanienne de Jénine, il a annoncé la création d’un comité spécial chargé d’enquêter sur les raisons du report du vote sur le rapport de l’ONU.
Une volte-face de dernière minute
C’est avec une colère mêlée de stupéfaction que les Palestiniens assistent à une étonnante autodestruction. Dans la cinquième année de sa présidence, Abbas achoppe et bâcle son chemin dans la jungle diplomatique, comme s’il venait à peine de débuter sur la scène internationale.
Et pourtant, l’intronisation du président Obama avait semblé de bon augure pour les Palestiniens. Dans son discours du Caire en juin dernier, Obama avait promis rien moins qu’une ère nouvelle pour les relations entre Washington et le monde arabe, puis il avait tancé les Israéliens en exigeant qu’ils imposent un gel complet de la construction de colonies juives dans le territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est.
C’était le début du tangage diplomatique d’Abbas. Il fit du gel des colonies la condition préalable aux négociations, alors qu’il avait parlé sans moratoire avec le prédécesseur de Netanyahou, Ehud Olmert. Quand Netanyahou se prononça du bout des lèvres pour l’idée d’un état palestinien, le refus d’Abbas de négocier sembla de l’entêtement. Les Américains laissèrent tomber leur demande de gel total des colonies, et Abbas se retrouva soudainement isolé. Il fit volte-face en dernière minute et accepta de rencontrer Netanyahou.
Seul sur la mauvaise piste
Il semble que le numéro un palestinien avait perdu sa boussole intérieure. Au lieu de se concentrer sur l’objectif d’établir un Etat pour son peuple de la manière la plus efficace possible, Abbas s’oriente selon le système de navigation erroné des Américains. Entre-temps, Washington s’est déjà déporté de sa route initiale, puisque Israël lui bloquait le chemin. « L’intégrité d’Abbas est gravement affectée » dit Mahdi Abdul Hadi. Juriste de formation, Hadi a fondé l’organisation Passia il y a 20 ans pour promouvoir le dialogue entre différents groupes palestiniens. La situation a rarement été aussi sombre, dit-il. « Nous assistons à une grave crise de gouvernance ».
Hadi, qui n’est pas un ami du Hamas, privilégie la négociation et s’oppose aux attentats-suicides, mais il fait montre de respect envers les islamistes. Même s’ils ont des divisions internes tout autant que le Fatah, dit Hadi, le Hamas parle au monde extérieur d’une seule voix. Notant que le Hamas est mieux organisé, Hadi décrit la dernière session de pourparlers de réconciliation au Caire il y a quelques mois, quand les islamistes sont arrivés avec des PC et des imprimantes portables. « Ils s’étaient extrêmement bien préparés ».
Les excès au Mont du Temple à Jérusalem ont également bénéficié au Hamas. Israël avait autorisé quelques colons fanatiques à pénétrer sur le Mont du Temple, que les musulmans révèrent et appellent Haram el-Sharif. En différents lieux dans la vieille ville de Jérusalem et à proximité, des dévots musulmans engagèrent des batailles de rue avec la police israélienne. Le chef du Mouvement islamique en Israël, le Cheikh Raed Salah, a appelé à « libérer » la mosquée al-Aqsa des juifs. Comme il l’avait fait lors de la première intifada à la fin des années ’80, le Hamas tente de se placer à la tête du mouvement. Certains parlent déjà de troisième intifada.
« Le Hamas souffre »
Pour cette raison, l’expert politique Abdul Hadi croit que la pression sur la rue palestinienne est à présent tellement forte que Fatah et Hamas seront bien obligés de s’entendre. « Nous vivons maintenant un réveil national » dit-il. La politique israélienne d’oppression instaure de bonnes conditions pour une réconciliation nationale palestinienne » explique Hadi. En outre, ajoute-t-il, le Hamas lui aussi aurait intérêt à un gouvernement d’unité pour vaincre son isolement international. « Le Hamas souffre à cause de la situation à Gaza » dit le négociateur du Fatah Nabil Shaath.. « Le Hamas a besoin d’une solution ».
Il y a deux ans, des Palestiniens détenus en Israël lançaient une initiative de réconciliation. Aujourd’hui ce sont les femmes palestiniennes libérées il y a deux semaines qui plaident pour la réconciliation. « Cette discorde doit cesser » dit Laila al-Bukhari, partisane du Fatah. La partisane du Hamas, Heba al-Nacheh, dit qu’avant leur libération la porte-parole des prisonnières les avait instamment priées « d’appeler à l’unité de notre peuple, une fois à l’extérieur ».
Heba al-Nacheh ajoute que quelques dirigeants du Hamas poursuivent aussi “de sales politiques”. Les discours d’Abbas et du chef du bureau politique du Hamas Khaled Mechaal confirment cette opinion. Au lieu de promouvoir la réconciliation, les deux dirigeants s’entre-attaquent. « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que prenne fin ce coup d’Etat à Gaza » a menacé Abbas. « Le Fatah mérite de meilleurs dirigeants » dit Mechaal.
C’est pourquoi beaucoup des ex-prisonnières sont sceptiques quant à une réconciliation avec les dirigeants actuels. Il y a aussi des politiciens du Hamas qui profitent de l’occupation, dit Heba al-Nacheh. Ironiquement, elle préfère un homme du Fatah pour remplacer Abbas à la présidence : c’est Marouane Barghouti, dirigeant de la deuxième intifada et qui purge actuellement cinq peines de prison à perpétuité en Israël. « Il est le meilleur homme pour ce poste » dit Heba al-Nacheh « certainement meilleur que celui que nous avons maintenant ».
De nouvelles élections sont prévues début 2010. Suite aux querelles internes des dernières semaines, même les partisans d’Abbas mettent en question sa candidature. « Marouane Barghouti est le plus qualifié pour réconcilier les deux camps » dit Laila al-Bukhari. Mais tout comme sa propre libération, celle de Barghouti dépend de l’habilité à négocier du Hamas. Barghouti est en tête de la liste de prisonniers que les islamistes veulent échanger contre le soldat israélien Shalit.
Mais c’est peut-être bien la seule combinaison qui pourrait surmonter le schisme palestinien : un homme du Fatah comme président, libéré grâce au Hamas.
15 octobre 2009 - Spiegel Online International - Vous pouvez consulter cet article ici :
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Traduction de l’anglais : Marie Meert