Palestine - 18-09-2009 |
Nadir Dendoune est journaliste, et auteur notamment d’un livre, "Lettre Ouverte à un fils d’immigré", éditions Danger Public.
Israël-Palestine, voyage au cœur des peuples (1)
Les villes ressemblent aux gens, le temps les fait changer. Parfois en bien, souvent en mal. A Jérusalem, capitale convoitée par les trois religions monothéistes, le temps est trop pressé pour s’arrêter. Sept années se sont écoulées depuis ma dernière visite. Arafat était coincé dans son palais, les chars israéliens encerclaient sa demeure et la partie arabe de la ville sainte retenait son souffle. On arrive par l’aéroport de Tel-Aviv et dès le début, on sait qu’avec sa gueule de métèque et son patronyme bien muslim, on va devoir passer de bureau en bureau pour subir un interrogatoire.
L'agriculteur de Qalqilia (voir ci-dessous "A Qalquilia, l'eau coule en sanglots" (photo N. Dendoune)
On essaie tout de même d’afficher son meilleur sourire quand on présente son passeport à la nana de la douane. Elle vous demande votre prénom et votre nom, elle oublie le bonjour, elle ne sait pas lire, je me mets à penser, mais je réponds Nadir Dendoune, j’ajoute je suis né à Paris, histoire de brouiller les pistes et pour qu’elle croit que je suis un digne héritier de Charlemagne. Le nom de mon père ? La filiation, elle veut savoir les origines. C’est Mohand, je réponds, immigré algérien analphabète, venu prêter main forte à la France dans les années 50. Elle sourit, c’est un sourire de façade pour mieux attaquer derrière. « Va attendre dans la pièce là-bas », qu’elle me lance, en montrant avec son index une sorte de salle d’attente plantée sur le côté gauche de l’aéroport.
Ils finiront par me laisser entrer, je suis Français, même si j’ai trop pris le soleil, je suis également journaliste, carte de presse 106731, document installé sagement à l’intérieur de la poche de mon pantalon. Je ne suis pas seul à être suspecté de quelque chose. Beaucoup de « têtes cramées » attendent sagement sur un fauteuil confortable mais il y a aussi quelques hippies à la peau blanche, sans doute des gauchistes. Une télé crache un programme en hébreu. Les gens n’osent pas parler. Il y a une caméra cachée juste derrière la machine à café, je l’ai vue en arrivant, certains ne l’ont pas aperçue, mais tout le monde doit savoir que quelqu’un nous filme. On t’appelle, ils écorchent les noms, alors personne n’est certain que c’est bien soi qu’on vient chercher. On nous emmène dans une pièce, et on redemande le prénom, le nom, et le nom du père, amen ! On veut savoir pourquoi on vient en Israël, ils trouvent étrange que des personnes veulent juste visiter et que le tourisme c’est international.
Ils ont besoin de deux adresses email, une professionnelle et une personnelle, et comme on a qu’une seule envie : c’est de sortir de ce putain d’aéroport, on finit par abdiquer. Ils gardent votre passeport et vous demandent de revenir dans la salle d’attente.
L’horloge tourne. Ils ont le temps. Tic-Tac, Tic-Tac. Une nana, une blonde pétillante, semble contrariée. J’engage la conversation avec elle. Elle me reconnait : on était ensemble en business class avec la Swiss Air, on avait un billet en classe éco et on nous avait tous les deux, « upgraded ». Elle est Belge. Elle a voulu jouer l’honnêteté avec les douaniers, elle leur a dit qu’elle allait en Cisjordanie. Il ne faut jamais dire qu’on va rendre visite aux Palestiniens. Beau contact, on se raconte nos vies, pas de problème de branchement.
D’autres filles sont assises à côté, des Bougnoules-Américaines. Pour les Israéliens, des Américains de seconde classe.
L’une d’entre elle n’a pas 13 ans. C’est ridicule. Je balance une vanne. Tout le monde explose de rire. Je suis de nouveau appelé. La même putain de question : le prénom, le nom et le prénom de mon père. Je pense qu’il vaut mieux éviter de venir en Israël, si on vient juste de perdre son daron, imaginez : avoir à dire plusieurs fois le prénom de son papa qui vient de partir …Le gars a l’air sympa : good cop-bad cop, vieille ruse à deux shekels, la monnaie locale. On se détend. Les raisons de mon voyage en Israël ? Du tourisme, je réponds, et puis si j’ai le temps, peut-être un, ou deux reportages, faut voir. Je voyage avec une mini-caméra, et comme elle fait pro, il se doute bien que je vais m’en servir. Il me demande dans quelles villes je compte me rendre, si j’ai déjà un numéro de téléphone israélien, si j’ai de la famille ici ou des amis, tu me fais chier, j’aimerais lui balancer à la figure. J’attends déjà depuis près de deux heures et c’est pas tout Simone, mais j’ai un autre bus à prendre pour aller à Jérusalem. « Bon, je finis pas lui dire, google mon nom, et tu verras qui je suis». « C’est déjà fait, me réponds-il, tu peux partir ».
Jérusalem n'est plus la même (2)
Dans quelques années, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Jérusalem n’est plus la même. Elle est toujours aussi belle, avec ses mosquées, ses synagogues et ses églises, ses souks et ses cafés, mais elle est devenue méchante. L’est de la ville, la partie arabe, se judaïse en accéléré. Sans complexe, les colons débarquent, munis de titres de propriété certifiés par un juge, donc, par l’État et brisent des foyers, pour ne pas dire des vies. Sans honte, avec l’aide de la police, ils viennent a l’aube, se saisir des maisons des familles palestiniennes, installées parfois depuis plus de cinquante ans.
L’Etat ’hébreu’ (des Chrétiens, des Musulmans et des Athées vivent dans ce territoire) rappelle que « Jérusalem est la capitale une et indivisible d’Israël » (même si aucun pays au monde ne reconnaît l’occupation de la partie orientale de la ville), une façon pour le gouvernement de faire ce qu’il veut, quand il le veut.
Dans le quartier de Sheikh Jarrah, la famille Hanoune est installée depuis 1952. A l’aube, la police a débarqué chez eux, les colons, tels des rapaces, suivaient derrière. Ils se sont retrouvés dehors, à peine le temps d’emmener leurs affaires, ils avaient reçu un avis d’expulsion en bonne et du forme. Le juge avait tranché : cette maison appartient à des Juifs, ils doivent quitter les lieux. Je rencontre la maman, elle rode autour de chez elle, sa fille l’accompagne. Des manifestants arrivent au compte-goutte. La police laisse passer, on peut même s’approcher de la maison violée. Merci pour son zeste de démocratie. Scène surréaliste quand un colon rentre chez sa nouvelle demeure avec un pack d’eau dans les bras. Comme s’il avait toujours vécu ici. Je me dis comment va-t-il pouvoir dormir ici ce soir, comment arrive-t-il à respirer dans une maison qui n’est pas la sienne ? Il croise le regard de l’ancienne propriétaire et il continue à avancer.
L’humanité a été licenciée chez cet homme et je ressens un profond dégout pour lui. Les slogans fusent. La pression monte. Il y a beaucoup d’occidentaux mais aussi des Israéliens, des "traîtres", pour la plupart des gens. 200.000 Israéliens vivent désormais dans une douzaine de quartiers de colonisation à Jérusalem-Est. Un chiffre qui augmente tous les ans. Et rien ne semble les arrêter. Surtout pas les États-Unis : Hillary Clinton, le ministre des Affaires Étrangères américain vient de demander du bout des lèvres le gel des colonisations pendant un an. Belle farce. Elle aurait dû fermer sa gueule !
"La prison, ça a la même gueule partout" (3)
La prison, ça a la même gueule partout. C’est juste le goût qui change. En Israël, dans la seule démocratie du Moyen-Orient (ne rigolez pas !), la zonzon ressemble, à première vue, aux geôles des pays « civilisés » : un passage dans un commissariat, une GAV (garde à vue), la possibilité de passer un coup de fil, de boire un verre d’eau, de bouffer un bout de pain, on vous lit même vos droits, et on peut aussi plaisanter avec les officiers sans se prendre une baffe dans la tronche.
C’était un mardi, soleil toujours au zénith, une chaleur de réchaud à gaz. Une famille de Palestiniens du quartier de Sheik Jarrah, à Jérusalem-Est, venait de se faire chourer leur maison. Leur expulsion était légale puisque le juge avait donné son accord. Les Colons, (cœur de pierre), certain que la Terre d’Israël leur appartient, n’avaient pas perdu une minute et on les voyait regarder les news, sagement installé sur leur canapé-lit. Quelques journalistes étaient présents. Pas la foule des conseils de ministres. Les policiers étaient postés devant la maison des nouveaux propriétaires.
On a vu le bras armé de l’Etat partir quelques minutes en direction de leurs voitures garées plus haut, une feinte pour nous piéger. On s’est approchés sans se méfier et on a profité de leur absence pour mitrailler la maison maudite. Les flics sont revenus très vite en petit groupe, ont bloqué toutes les entrées-sorties. L’un d’eux a voulu arracher mon appareil-photo. J’ai vu dans ses yeux qu’il était la réincarnation du vice. Je l’avais déjà croisé il y a quelques jours et on ne s’aimait pas, il m’avait foutu des coups de latte dans le pied pour que je dégage, je l’avais photographié de près et plus si affinités.
C’était du passé. Je me suis reculé et j’ai donné mon appareil à une autre collègue. Je me suis retourné, j’ai vu une ombre derrière. D’autres policiers sont arrivés en courant : des rhinocéros qui devenaient loufoques et qui se mettaient à charger. J’ai arrêté tout mouvement, j’ai mis mes mains vers le ciel, de peur d’être massacrés.
Les flics sont sanguins, certains font ce métier pour cogner sur les gens, ça les rend tout dur au niveau de la braguette. Ils criaient en hébreu, cette langue est déjà assez agressive comme ça sans qu’on en rajoute dans les décibels. Ils m’ont saisi, on n’est pas au marché j’ai pensé, j’étais comme un sac de pommes de terre qu’on transporte sans ménagement. Ensuite, ils m’ont enfermé dans leur voiture pin-pon. Des coups de poings ont atterri sur mon ventre, et des insultes ont fusé : « On va te tuer, tu crois que tu peux faire ce que tu veux ici ». Ils ont pris mon passeport et ils ont insisté sur mon prénom : «T’es un Arabe, pas Français, un muslim ». Ils auraient pu dire un Palestinien. C’était ça l’idée.
Je suis resté silencieux, j’ai planté mon regard dans le vide pour chercher autre chose. Je voyais au loin mes collègues s’inquiéter de mon sort, je les voyais, ils étaient à distance, empêchés par l’armée d’avancer. La camionnette est partie, ça sentait le roquefort moisi.
Au commissariat, on m’a demandé mon prénom, mon nom et le nom de mon père. J’ai répondu, je suis relou comme mec mais je suis poli. Je me suis assis sur une chaise, je n’avais pas les menottes. A moitié libre. Un flic est arrivé, bonne gueule, un anglais parfait. C’était le policier gentil, comme on en trouve dans tous les commissariats du monde. On a rigolé, je ne voulais pas rire avec lui, parce que je les connais, ce sont tous des pourris.
Une heure est passée et il a voulu savoir mon prénom, mon nom et le nom de mon père. J’ai répondu. Un collègue a montré son corps et son sourire dans la pièce où nous étions, j’ai été surpris de le voir, les policiers l’avaient laissé entrer. Ca m’a rassuré, je n’étais pas perçu comme un criminel. Il est resté à mes côtés. Le flic-bonne-gueule nous a demandé de sortir et d’attendre sagement sur une chaise. On a parlé de la situation qu’on était en train de vivre. Le taxi avec lequel était venu mon confrère nous attendait en bas depuis un bon bout de temps. Le chauffeur est monté pour voir dans quel sens notre affaire se dirigeait, s’il y allait avoir un sens interdit ou si on allait pouvoir reprendre la route sur une autoroute cinq voies. Un vrai moulin ce commissariat, je me suis dit. Le policier bien gentil a demandé à mon acolyte de redescendre, il souhaitait vérifier quelque chose avec moi. Je ne me suis pas méfié, il avait été tellement sympa. J’avais même oublié un moment que j’étais un Arabe dans un commissariat israélien. Il a souri, ses mains sur ses hanches, il a dit, j’ai une mauvaise nouvelle, tu es arrêté, tu as le droit de garder le silence, tout ce que tu diras pourra être retenu contre toi, etc…Comme à Hollywood. J’ai pas cru à son histoire, j’ai répondu tu rigoles, c’est une farce, moi en prison ? Il avait l’air désolé, c’était pas sa faute. Il avait essayé de convaincre ses chefs, il leur avait dit c’est un bon gars ce Français-Arabe dont le père se prénomme Mohand. Il m’a dit dix fois je suis désolé, je t’aime bien, tu as l’air correct. Je me suis énervé, je lui ai dit ne me parle plus, tu m’as bien eu avec ta gentillesse à deux shekels.
J’ai attendu dans une autre salle et j’ai eu le droit aux menottes en ferraille. J’avais oublié quel goût elles avaient. J’étais dégoûté mais je devais garder le moral. Il y a eu un moment de flottement, où rien ne se passe, où tout se fige. Les policiers criaient, leurs voix me tapaient sur le système humain. Je ne les aime pas, je crois que je ne les aimerais jamais, je dis ce que je pense. Je n’ai rien à vendre.
On m’a fait sortir du magasin de police, menotté en haut et en bas, Guantanamo style. Je suis monté dans une fourgonnette, des gens m’ont regardé, je faisais terro. La nuit avait mis un coup de latte au jour quand je suis arrivé à la Prison, dans le quartier russe de la ville, une tôle connue pour les sévices infligés aux prisonniers palestiniens. J’ai redit mon prénom, mon nom et le nom de mon père : Mohand. J’étais fier du prénom de mon daron. J’ai rendu mes effets, mes thunes, vingt shekels, une ceinture en cuir acheté aux Puces de Clignancourt. Ensuite, on m’a mis tout nu, heureusement que je suis tout en muscle, je me suis senti moins humilié.
On m’a redemandé mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je me suis énervé et j’ai dit regarde sur mon passeport ! J’ai attendu dans une cage individuelle, à l’intérieur, un banc en pierre. J’avais toujours les menottes et les chaines autour des chevilles, comme au temps de la traite des Noirs, dans le pays le plus démocratique du Moyen-Orient. Je voulais dormir. Je somnolais, un type est entré. Mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je me suis rendormi. Il m’a tapoté l’épaule pour que je me réveille. J’ai pas répondu, faut arrêter de me prendre pour un con. Il est ressorti.
Une heure s’est écoulée et un autre gars m’a dit de le suivre. On a marché dans les corridors, les cages étaient remplies de prisonniers. J’ai croisé des taulards et je les ai salué en muslim, le maton a pas aimé et a commencé à s’exciter. Il m’a tiré par le bras pour me remettre dans son droit chemin. Ensuite, on m’a dit d’attendre devant une porte, le numéro 10 inscrit en grosses lettres dessus, le numéro de Zidane en équipe de France. Je suis entré.
Je n’étais pas seul, salaam alikoum j’ai dit, à l’intérieur, ils avaient tous des têtes de Bougnoules. La porte s’est refermée. Neuf Palestiniens m’ont regardé, j’avais un short à la mode et un t-shirt siglé 93, le département de la dignité. Ils m’ont demandé d’où je venais : j’ai menti à moitié : j’ai dit que j’étais Algérien. On m’a filé à boire, des choses à grignoter, mais on m’a surtout souri.
Mon lit était celui à gauche de la porte. On a ri, des blagues sur l’autre Sexe, ça marche toujours, désolé la gente féminine ! On est parti dormir, pas pour longtemps, la lumière s’est allumée. Une lumière collective, les matons peuvent l’actionner à tout moment. Un gardien est entré avec arrogance et les autres se sont levés. Je suis resté dans mon pieu : je ne connaissais pas encore les règles du jeu de la démocratie. Il m’a gueulé dessus, ou peut-être qu’il parlait toujours de cette façon. Nos prénoms, nos noms et le nom de nos pères. J’avais jamais dit Mohand autant de fois dans une soirée. Redodo. Puis, de nouveau, la lumière s’amuse…J’ai fermé les yeux pour les rouvrir une nouvelle fois. Cette fois-ci, je me suis levé en même temps que les autres prisonniers. Tournez manège. Ca a duré jusqu’au petit matin.
Le jour s’est levé sans les croissants, juste du pain sec et un œuf dur. Welcome to Israël, the only democracy in the Middle East. Une petite ballade dans une cour carrée pour détendre les muscles et pour se jauger entre prisonniers. Beaucoup de Palestiniens mais aussi des Juifs. Ils sont rarement dans les mêmes cellules. Les matons sont plus corrects avec les Juifs. L’heure du transfert chez le juge. Une heure pour sortir de la prison. Les chaines aux chevilles, menottes aux mains, on monte dans un camion.
Au palais de justice, on est quinze dans une cage de 15m², les plaintes pleuvent, faites en sortir, on en peut plus. On fume clope sur clope et la ventilation est en vacances au nouvel hôtel cinq-étoiles construit à Jérusalem-Est. On attend notre tour. Le mien arrive vers 10h20. Mes amis sont là, il y a également deux nanas du consulat français qui me sourient pour m’aider à tenir bon ; à l’étranger il n’y aucun doute sur notre francitude.
J’ai une avocate, une as du barreau, une Israélienne engagée. Le juge gueule. Enfin, il a pas l’air content. Pas d’interprète pour moi, heureusement la diplomate française se propose de faire les traductions. Le juge crie, j’aimerais pas être sa nana, lui et l’avocate, ils ne partiront jamais sur les bords de la Mer Morte passer des vacances. Le juge me libère : j’ai l’interdiction de me rendre à Sheik Jarrah pendant 181 jours. Pas d’amende, aucune charge retenue, un procès pour que dalle. Je suis libre. Enfin presque. J’ai toujours les chaines au pied et je repars en prison.
Il est 11h. On me change de cellule, m’emmène dans des bureaux, me demande encore et encore mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je réponds une fois sur trois. Ce petit jeu dure jusqu’à 19h. Torture psychologique. J’imagine un mois ici. J’imagine un Palestinien qu’on enferme deux mois. Je sors de prison. La nuit m’accueille. Mes amis sont là, accompagnés d’un journaliste palestinien. Il y a de l’émotion dans leurs mots, dans leurs gestes et dans leur regard. Moi, j’ai la rage. Ah oui, j’ai la rage.
Le jour où j'ai pris une pierre… (4)
A Ramallah, les portraits d’Arafat sont visibles partout, dans les salons de coiffure et les kébabs, à l’intérieur des chaumières, sur les murs de la ville où les images de l’ancien raïs vieillissent avec le temps mais restent toujours intactes. Les citoyens lambda disent de lui que c’était quelqu’un d’abordable, qu’on pouvait venir le déranger à tout moment.
En 2002, je m’étais pointé devant son palais, les chars israéliens encerclaient son QG. Une bande de gamins refaisaient l’intifada, mimant leurs ainés en balançant des pierres sur les soldats. Je m’étais approché, David contre Goliath. Je voulais les prendre en photo, ils n’étaient pas d’accord, je pouvais être un espion. Ils m’ont montré des pierres, j’en ai pris une, ils ont été surpris. J’en avais trop envie, j’en avais tellement rêvé en fait. J’ai grandi dans une cité en Seine-Saint-Denis et même si la situation en Palestine ne peut être comparée aux conditions des quartiers impopulaires, en les voyant se battre contre l’occupant, je me suis revu enfant. Leur histoire me bouleverse, elle devrait bouleverser tous ceux qui ont subi l’injustice à un moment de leur vie. J’ai pris de l’élan et j’ai lancé le caillou avec toute la force qu’il me restait.
J’en ai ramassé d’autres en m’approchant toujours de plus près. Ce n’était pas un soldat israélien que j’avais en face mais un CRS, un policier français, le même mépris pour ces enfants de Palestine, la même violence, la même arrogance, pour les jeunes des banlieues. Un soldat est sorti de son char et a fait mine de nous viser. Les mômes ont compris que j’étais avec eux et m’ont demandé de les prendre en photo en action. Je n’avais pas peur. J’aurais pu mourir ici, vraiment, je ne pouvais pas faire autrement, il y a un moment dans la vie où il ne faut pas réfléchir, aller à fond dans l’émotion, laisser le cœur dicter nos actes. Les chars se sont avancés, les enfants ont reculés, les soldats ont reculés, nous nous sommes approchés. Je me suis senti Palestinien. J’ai du partir, l’après-midi souhaitait faire une sieste. Je les ai quittés en frères d’armes. Je suis retourné devant le Palais. J’ai attendu plusieurs heures et j’ai pu finalement m’entretenir avec Yasser Arafat pendant quelques minutes. Je n’ai même pas été fouillé.
J’ai vu un résistant fébrile mais sa volonté était intacte. Je lui ai parlé de mes deux pays, il m’a dit je les aime tous les deux. La France et sa politique étrangère « pro-arabe ». L’Algérie et son soutien inconditionnel à son parti l’OLP. Je l’ai enlacé, je tremblais de tous mes membres. Arafat est mort, mais ne le dites pas trop fort parce qu’ici on parle toujours de lui au présent. Pour les Palestiniens, c’était Abou Amar, parce que même entré en politique, il restait aux yeux de ses frères un guerrier. Il est enterré dans la cour à la Mouqaata, l’ancien quartier général de l’Autorité palestinienne, où depuis sa disparition, un mémorial blanc a été construit en son honneur, un magnifique lieu à la forme de la Kaaba (la pierre de la Mecque). Deux gardes se tiennent au garde à vous, ne bougent pas d’un orteil même sous les flashs des appareils-photos. Ils font face au tombeau. Sur la gauche, une mosquée moderne à l’image de la personnalité de l’ancien président. Arafat avait exprimé le souhait d’avoir sa sépulture sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est. Israël lui a refusé ce droit, le ministre de la Justice de l’époque avait déclaré : « Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem parce que c’est une ville où sont enterrés les rois des Juifs et non pas les terroristes arabes ». Ariel Sharon, son ennemi de toujours, alors premier ministre, avait ajouté : « Tant que je serai au pouvoir, et je n’ai pas l’intention de le quitter, Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem ». Israël craignait surtout que sa tombe ne se transforme en un lieu de pèlerinage pour les Palestiniens. Arafat est mort, emportant avec lui le maigre espoir de voir un jour une Palestine libre.
Mahmoud Darwich, considéré comme l’un des plus grands poètes palestiniens, a écrit un poème en hommage à Yasser Arafat. Ce texte est gravé sur une stèle à l’entrée du mémorial.
Yasser Arafat était le chapitre de le plus long de nos vies et son nom était l’un des noms de la Palestine nouvelle, renaissante des cendres de la Naqba (la catastrophe pour les Palestiniens, quand ils ont été chassés de leur terre en 1948), en passant pour la flamme de la résistance jusqu’à l’idée de l’Etat et en chacun de nous, il y a quelque chose de lui.
A Bil’in, cinq ans de manifestations (5)
Une manif’, si ça part pas en cacahuète, ce n’est pas vraiment une manif’. A Bil’in, village agricole à quelques kilomètres de Ramallah, chaque vendredi, en plus de la grande prière hebdomadaire, quelques centaines de personnes (le chiffre varie en fonction de l’actualité), et parmi eux beaucoup d’Occidentaux, manifestent pacifiquement contre le Mur qui se trouve à quelques minutes du centre-village et contre la colonisation décomplexée de l’Etat d’Israël. C’est le Comité Populaire du Bil’in qui chapeaute le truc. Une équipe bien organisée qui met un point d’honneur depuis 2004 à ne rater aucun rendez-vous.
« N’oubliez-pas de prendre des manches longues pour vous couvrir le visage et veillez à rester groupés le plus possible », prévient un homme moustachu, l’un des principaux leaders du groupe. Une jeune blonde de l’Occident, qui pourrait récolter un 10-10 pour son physique de science-fiction, lui demande si elle doit laisser son passeport ici ou si elle doit le prendre avec elle. Le moustachu lui répond que la semaine passée, plusieurs militants se sont fait arrêtés et que tous ceux qui pouvaient prouver leur identité ont été embarqués par la police du pays qui se croit tout permis, et pourquoi il se gênerait Simone ? puisque tout le monde ferme sa gueule.
Ici, comme dans de nombreux bleds en Cisjordanie, la construction de colonies menace l’activité économique des villages. « Je ne comprends pas pourquoi la communauté internationale ne dénonce pas ce qu’il se passe ici. Lors de l’apartheid en Afrique du Sud, il y avait un consensus, déplore un jeune Français, qui souhaite garder l’anonymat. Israël pourrait m’interdire de revenir». Le départ est fixé à 11h. La température ne plaisante pas. On se couvre comme on peut. La crème solaire passe de paluches en paluches. Les journalistes portent des gilets spéciaux pour être reconnaissable, pour ne pas être confondus avec les autres zinzins, à cause de la chartre du journalisme, qui insiste sur l’objectivité. D’autres confrères ont dans les mains un masque, un citron et un oignon. Des enfants se greffent au cortège et ils s’agitent comme si leurs parents les emmenaient à la foire du Trône.
Les slogans sont repris avec un sourire de départ en vacances. Après dix minutes de marche, on arrive devant les barbelés. On distingue à peine les soldats israéliens, recroquevillés à l’intérieur de leur bunker. Ils se tiennent prêts, me dit un Belge. Prêts à quoi au fait ? Les militants ressemblent à des agneaux dans une bergerie, mis à part trois locaux qui balancent des cailloux de la taille d’une couille et qui atterrissent 10 fois sur 10 dans le vide, j’ai du mal à voir OBJECTIVEMENT parlant pourquoi les soldats paraissent si nerveux.
Le moustachu s’empare du micro et s’adresse en anglais aux militaires : « Si vous voulez vivre en paix, comme nous le voulons, libérez la Palestine, et arrêtez la colonisation ». Un Israélien, un homme d’une soixantaine d’années le relaie, il s’exprime en hébreu, un Palestinien traduit dans la langue de Shakespeare : « J’ai honte d’être Juif en vous voyant agir de la sorte, les Palestiniens sont nos frères, nous devons cohabiter avec eux, et non pas les exclure ». Le groupe s’approche de la barrière. Un mouvement de troupes s’opère de l’autre côté. Le moustachu conseille à tout le monde de reculer. Les soldats envoient une série de gaz lacrymogène, une cinquantaine sur les manifestants.
Pris de panique, les pacifistes courent dans tous les sens, se masquent le visage et tentent de reprendre leur respiration. Quelques minutes plus tard, ils se frottent les visages avec un oignon ou un citron, au choix. Les journalistes avec ou sans carte de presse homologuée, positionnés à droite, mitraillent la scène, certains portent des masques à gaz, leur look est impressionnant.
Les soldats font demi-tour. Le moustachu revient à la charge : « il va falloir beaucoup plus que ça pour qu’on abandonne le combat ». Un Palestinien d’une vingtaine d’années ramasse des pierres et essaie d’atteindre sans succès le bunker des militaires israéliens, son bras n’est pas assez long.
Déterminée, la communauté de la Paix reprend chaque slogan scandé de plus belle la vie. Les soldats bougent de nouveau. Un autre Palestinien, un trentenaire, kéfié sur la tête, ne craignant pas d’être dégommé, s’avance toujours plus près, pierre à la main. Un autre le suit, et brandit avec fierté le drapeau de la Palestine. La scène est filmée, photographiée en long et en large. Tout le monde applaudit. Je me retourne et tente d’avoir une vision à 360 degrés.
Des Français de Marseille, arborant avec classe une magnifique banderole Bleu Blanc Rouge s’insurgent au micro du « manque de courage de la communauté internationale ». La chaleur est étouffante dans cet endroit privé d’ombre. Je vérifie le niveau de la batterie de ma caméra. Le vent n’existe pas, quel salaud, les gaz lacrymogènes squattent notre espace. Le temps s’arrête un moment. Un silence prélude à une bataille. Les soldats reviennent.
Je commence à enregistrer. Cette fois-ci, c’est sûr ils vont balancer le double de fumigène. Les manifestants reculent, chat échaudé craint l’eau froide. Je me tourne en direction des Israéliens. Ils arment. Le feu d’artifice va commencer. La presse est comme la Suisse, elle est neutre et donc protégée. Les lance-lacrymo sont bien bas, à cette hauteur, ils vont louper leur cible. Mon gilet « presse » est jaune flou, il me va comme un gant. Ma nuque fait des allers-retours sur elle-même. Ca va chauffer, si j’étais un manifestant, je serais déjà parti. Les soldats ont le bras tendu. C’est bizarre : j’ai l’impression qu’on nous vise. Pas possible : nous sommes dans l’exercice de notre profession. On n’est pas en Chine quand même ! The only democracy in the middle East ne tire pas sur les journalistes. Ah bon, depuis quand ?
A Qalquilia, l'eau coule en sanglots (6)
Il ne dira pas son prénom, trop peur qu’ils viennent lui retirer le peu qu’il lui reste. Il est né ici, à Qalquilia en 1930, une petite ville au Nord-Ouest de la Cisjordanie, pratiquement une vingtaine d’années avant la création d’Israël. Il n’a jamais voulu partir.
D’une voix douce et posée, il dit : « Même si je dois manger de la paille et passer toutes mes nuits dehors, jamais je ne quitterai ma terre ». Je le rencontre par hasard, par chance je dirais, je me baladais le long du Mur, cette espèce de machin tout dégueulasse, qui m’a rappelé cet autre truc dégueulasse que j’avais aperçu au milieu des années 80 à Berlin. Il y avait un beau jardin qui lui faisait face, les deux n’allaient pas ensemble j’ai tout de suite pensé, la beauté et la cruauté.
J’ai vu un vieillard assis sur les genoux, je l’ai vu ramper à travers ses plantes. La scène m’a touché. J’ai tout de suite su que j’avais affaire à quelqu’un qui avait perdu beaucoup. Il était 16h et la lumière faisait la radine, cachée par cette haute « barrière de sécurité ». Je me suis approché avec une inhabituelle timidité. Je tenais la caméra dans les mains. Je me suis assis et il a commencé à me parler.
De son histoire, qui ressemblait à celles de milliers d’autres de ses frères, de mes frères de Palestine. De ses souffrances, une vie à souffrir. Il m’a tout dit, je le connaissais à peine mais il m’a tout dit. Il m’a donné sa confiance, c’est comme si qu’il savait que j’allais venir et m’a parlé avec une dignité de Seigneur. Je ne sais pas comment j’aurais réagi à sa place. Il avait été jusqu’au collège puis était parti travailler en Jordanie, une nécessité pour nourrir les siens, avant de revenir chez lui quelques années plus tard, son pays, sa famille lui manquaient trop.
Son jardin est beau, je vous le jure, le vieil homme l’aime comme on aime son enfant mais ses fruits manquent cruellement de lumière, et d’eau, parce que l’amour ça suffit pas toujours. Ses fruits bégaient, ils peinent à mûrir, ils peinent à grandir, ils sont aussi dur que le Mur de la honte. Son verger aurait besoin également de bras, mon ami a 79 ans et il s’occupe de tout, tout seul. Il parle et tu ne peux pas interrompre quelqu’un qui te donne autant.
Puis il se tait, un long silence s’abat. Il sourit et pousse péniblement sur ses bras pour hisser son corps vers le haut. Il se déplace à l’aide de béquilles et se repère dans son jardin peau de chagrin en tapotant les fruits qui pendent à ces arbres : je crois que sa vue est partie en même temps que ses terres. J’ai envie de le serrer dans mes bras, à la manière d’un fils qui retrouve son père, parti au combat.
Je le suis à bonne distance, avec pudeur. Il me montre avec fierté ses grenades, me dit d’en apporter une avec moi, ce sont de beaux fruits malgré tout, les raisins, eux, sont rachitiques, ils sont ridés de partout. Je le regarde beaucoup, je regarde ses mains, je croise son regard, c’est sûr : ce bonhomme a toujours été courageux. Il a perdu un œil, une maladie, il n’en dira pas plus. Il lui reste l’œil gauche. Il continue à vérifier les plantes de son potager, marche d’un pas laborieux et rien qu’à le voir, tu as les larmes qui te montent aux yeux.
L’eau coule en sanglots
Il s’empare d’un tuyau noir pour arroser sa terre, l’eau coule en sanglots. Il n’a pas les moyens d’en disposer davantage, l’Etat d’Israël fait la pluie et le beau temps quand il s’agit de l’approvisionnement de cette denrée essentielle. L’agriculteur sourit beaucoup, tant qu’on vit et tant qu’on aime, tout va bien. Un beau sourire de cinéma mais son œil gauche pleure. Je crois qu’il revoit sans cesse ces terres qu’on lui a dérobé, elles ne sont pas bien loin, elles vivent sans lui avec tristesse de l’autre côté du Mur. Je le regarde lui dans son jardin et je regarde le Mur. Les deux ne vont décidément pas ensemble.
J’ai envie de briser ce putain de Mur, j’ai envie de me battre avec un soldat de ce pays qui me fout tant les boules, lui défoncer sa tronche contre un rocher, le prendre par le col, et le ramener chez ce vieil homme et qu’il regarde droit dans les yeux. Je crois qu’Israël est allé trop loin, et qu’ils ne pourront jamais vivre avec tranquillité. Si j’étais né en Palestine…
Je vois revenir vers moi mon ami, il s’assied sur une sorte de table qu’il a aménagée. Se lave les mains, le visage, et les pieds plusieurs fois. Rituel du musulman. Il est prêt pour aller prier à la mosquée. Son petit-fils arrive. Une belle voiture. Pas surpris de nous voir le gamin. Son grand-père est une star. Je le connais pas tant que ça mais je l’aime profondément. Son visage s’est rallumé, il s’en va rejoindre Dieu. Il sourit beaucoup. J’avais raison, c’est un sourire de façade parce qu’il finit par m’avouer : « Sans mon amour pour Allah, je crois que j’aurais déjà tout abandonné ».
Au cœur de la Palestine, des Israéliens (7)
Des gens courageux, il en existe partout, même si, comme ailleurs ils ne courent pas les rues. L’être humain, en général, aime tourner la tête de l’autre côté, fermer les yeux, ou se boucher les oreilles. En Israël, les « braves » sont marginalisés, in the only democracy in the middle east, il ne fait pas bon de dénoncer le racisme d’Etat, la majorité de la société considère ces « valeureux » comme des traîtres, des vendus, des naïfs, des « à côtés de la plaque » parce qu’ils s’insurgent contre la politique raciste et colonialiste de leur gouvernement, parce qu’ils militent pour la Paix et parce qu’ils considèrent les Palestiniens comme des frères, ce qui est loin d’être une connerie Simone.
Menaces de mort, graffitis-insultes sur les portes de leurs maisons, des méthodes d’intimidation classiques, et pourtant ces vaillants israéliens continuent leur combat, certains d’avoir raison. A Sheikh Jarrah, dans la partie est de Jérusalem, où les enfoirés de Colons acquièrent gratis des villas palestiniennes, des pacifistes israéliens dotés de burnes énormes n’hésitent pas à aller jusqu’à l’affrontement physique avec la police.
Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été arrêtés et jetés en prison comme l’auraient mérité plusieurs proches de Sarkozy, le Président d’origine hongroise. Il y en a d’autres, qui travaillent à l’ombre du soleil, parcourant le globe, tentant de mobiliser la Communauté Internationale (toujours aussi lâche), conscients que la solution ne peut venir que de l’extérieur, bien au courant que la plupart des Israéliens soutiennent la politique fasciste de leur gouvernement. Je rencontre, quelque part en Cisjordanie, M, un Franco-Israélien. Il se définit comme un militant anticolonialiste car selon lui, il y a en Palestine, « une présence militaire qui opprime la population indigène et un rapport de pouvoir qui vise à étendre les frontières vers l’Est ».
Son visage m’est familier, une tête qui inspire la confiance, quand il me serre la paluche. Il vient souvent en Gaule moderne, notamment à la fête de l’Humanité qui a lieu tous les ans dans le plus beau département de France, si, si, ne rigolez pas la Seine-Saint-Denis est loin d’être ce que vous pensez, pour changer « notre image », on aurait besoin de journalistes qui franchissent le périph’ un peu plus souvent, pas seulement quand les voitures brûlent. Je kiffe, je me lâche, un brin moralisateur, vous ne trouvez pas ? Mais j’assume…
« Israël n’est pas un pays normal, commence à me dire M qui se bat aux côtés des Palestiniens depuis quarante ans, c’est pour ça qu’il doit être traité comme un pays anormal ». Comme un état-voyou. Selon sa constitution, Israël est un Etat Juif, se définir en tant que tel, donne à ce pays un prétexte pour une discrimination à l’égard de tous ses citoyens non juifs. L’ambiguïté qui entoure la question de la citoyenneté ne s’arrête pas sur le plan légal, elle est présente dans toutes les manifestations de la vie quotidienne, les droits des citoyens arabes ne sont pas les mêmes que ceux des citoyens juifs. Un Juif devient un citoyen israélien de fait, ce qui n’est pas le cas pour les « autres » qui doivent batailler ferme pour obtenir la nationalité.
Avec les lois sur le foncier, la terre appartient aux Juifs, « pas aux Israéliens », dénonce M. Les autres peuvent aller se rhabiller. Ses mots me font du bien, des semaines à me taper les Colons, les keufs, les touristes de merde qui viennent ici, sourire aux lèvres, appareil photo en bandoulière, pendant que de « l’autre côté », l’apartheid est sur son 31. Le militant anticolonialiste est optimiste et pessimiste à la fois. Mi chèvre-mi chou, mi ange-mi démon. Pessimiste parce qu’à chaque manif, ils sont de moins en moins nombreux. Optimiste, parce que pour lui la société israélienne est une société fatiguée, gâtée, engraissée, relativement en sécurité (ça n’a jamais été aussi calme depuis 1948, le dernier attentat suicide a eu lieu en 2006) et « qu’en face » la plupart n’ont rien à perdre et qu’il faudra bien un jour ou l’autre faire la Paix, de gré ou de force. Surtout, il est persuadé qu’on ne peut pas « jouer les voyous des quartiers indéfiniment, ça finira par nous retomber dessus ».
Pessimiste aussi parce que la Communauté Internationale n’a jamais été aussi gentille avec Israël : « Kouchner passe par exemple nous faire un petit coucou tous les mois et les Etats-Unis, même si Obama est moins pro-israélien que Bush, soutiendra toujours notre gouvernement ».
Pessimiste encore parce qu’en massacrant la population de Gaza, son pays a montré qu’il en avait rien à foutre de ce que les autres peuvent penser. Il peste contre le projet sioniste, si vanté dans nos beaux-pays de l’Occident, qui « vise en réalité à créer un état ethnique pour les Juifs par la Colonisation de la Palestine » et rappelle que ce n’est pas anodin si Israël n’a pas encore défini ses frontières (aucun texte à ce jour précise quelles sont les frontières de « l’Etat hébreu » où vivent beaucoup, mais beaucoup de Non-Juifs, c’est hallucinant, non ?).
Toujours prêt à gratter un peu plus chaque année, ces raclures. C’est le genre de gars que tu peux écouter des plombes, le genre de type que tu aimerais entendre plus souvent à la télé. Malgré son moral rikiki, il continue à se battre et ne lâchera jamais. Il le fait pour ses enfants, pour qu’ils ne deviennent pas des réfugiés (il pense qu’à long terme, les Juifs seront chassés) et promet qu’il leur donnera « un maximum de chances pour qu’ils vivent ici normalement avec leurs frères Palestiniens ». Il dit beaucoup de choses intéressantes, je retiens ce truc qui est tellement vrai, qu’il faudrait l’écrire avec un marqueur indélébile sur tous les murs du monde, une phrase, un appel pour tous ses frères Juifs : « vous croyez que défendre aveuglément l’Etat d’Israël sert à lutter contre l’antisémitisme, et bien vous vous trompez, et c’est le contraire qui risque d’arriver ».
A suivre...
La vie au check-point (8)
La prison pour les Palestiniens (9)
L'eau, nerf de la guerre en Palestine (10)
Le temps des adieux (11)
Le temps du retour (12)
Les villes ressemblent aux gens, le temps les fait changer. Parfois en bien, souvent en mal. A Jérusalem, capitale convoitée par les trois religions monothéistes, le temps est trop pressé pour s’arrêter. Sept années se sont écoulées depuis ma dernière visite. Arafat était coincé dans son palais, les chars israéliens encerclaient sa demeure et la partie arabe de la ville sainte retenait son souffle. On arrive par l’aéroport de Tel-Aviv et dès le début, on sait qu’avec sa gueule de métèque et son patronyme bien muslim, on va devoir passer de bureau en bureau pour subir un interrogatoire.
L'agriculteur de Qalqilia (voir ci-dessous "A Qalquilia, l'eau coule en sanglots" (photo N. Dendoune)
On essaie tout de même d’afficher son meilleur sourire quand on présente son passeport à la nana de la douane. Elle vous demande votre prénom et votre nom, elle oublie le bonjour, elle ne sait pas lire, je me mets à penser, mais je réponds Nadir Dendoune, j’ajoute je suis né à Paris, histoire de brouiller les pistes et pour qu’elle croit que je suis un digne héritier de Charlemagne. Le nom de mon père ? La filiation, elle veut savoir les origines. C’est Mohand, je réponds, immigré algérien analphabète, venu prêter main forte à la France dans les années 50. Elle sourit, c’est un sourire de façade pour mieux attaquer derrière. « Va attendre dans la pièce là-bas », qu’elle me lance, en montrant avec son index une sorte de salle d’attente plantée sur le côté gauche de l’aéroport.
Ils finiront par me laisser entrer, je suis Français, même si j’ai trop pris le soleil, je suis également journaliste, carte de presse 106731, document installé sagement à l’intérieur de la poche de mon pantalon. Je ne suis pas seul à être suspecté de quelque chose. Beaucoup de « têtes cramées » attendent sagement sur un fauteuil confortable mais il y a aussi quelques hippies à la peau blanche, sans doute des gauchistes. Une télé crache un programme en hébreu. Les gens n’osent pas parler. Il y a une caméra cachée juste derrière la machine à café, je l’ai vue en arrivant, certains ne l’ont pas aperçue, mais tout le monde doit savoir que quelqu’un nous filme. On t’appelle, ils écorchent les noms, alors personne n’est certain que c’est bien soi qu’on vient chercher. On nous emmène dans une pièce, et on redemande le prénom, le nom, et le nom du père, amen ! On veut savoir pourquoi on vient en Israël, ils trouvent étrange que des personnes veulent juste visiter et que le tourisme c’est international.
Ils ont besoin de deux adresses email, une professionnelle et une personnelle, et comme on a qu’une seule envie : c’est de sortir de ce putain d’aéroport, on finit par abdiquer. Ils gardent votre passeport et vous demandent de revenir dans la salle d’attente.
L’horloge tourne. Ils ont le temps. Tic-Tac, Tic-Tac. Une nana, une blonde pétillante, semble contrariée. J’engage la conversation avec elle. Elle me reconnait : on était ensemble en business class avec la Swiss Air, on avait un billet en classe éco et on nous avait tous les deux, « upgraded ». Elle est Belge. Elle a voulu jouer l’honnêteté avec les douaniers, elle leur a dit qu’elle allait en Cisjordanie. Il ne faut jamais dire qu’on va rendre visite aux Palestiniens. Beau contact, on se raconte nos vies, pas de problème de branchement.
D’autres filles sont assises à côté, des Bougnoules-Américaines. Pour les Israéliens, des Américains de seconde classe.
L’une d’entre elle n’a pas 13 ans. C’est ridicule. Je balance une vanne. Tout le monde explose de rire. Je suis de nouveau appelé. La même putain de question : le prénom, le nom et le prénom de mon père. Je pense qu’il vaut mieux éviter de venir en Israël, si on vient juste de perdre son daron, imaginez : avoir à dire plusieurs fois le prénom de son papa qui vient de partir …Le gars a l’air sympa : good cop-bad cop, vieille ruse à deux shekels, la monnaie locale. On se détend. Les raisons de mon voyage en Israël ? Du tourisme, je réponds, et puis si j’ai le temps, peut-être un, ou deux reportages, faut voir. Je voyage avec une mini-caméra, et comme elle fait pro, il se doute bien que je vais m’en servir. Il me demande dans quelles villes je compte me rendre, si j’ai déjà un numéro de téléphone israélien, si j’ai de la famille ici ou des amis, tu me fais chier, j’aimerais lui balancer à la figure. J’attends déjà depuis près de deux heures et c’est pas tout Simone, mais j’ai un autre bus à prendre pour aller à Jérusalem. « Bon, je finis pas lui dire, google mon nom, et tu verras qui je suis». « C’est déjà fait, me réponds-il, tu peux partir ».
Jérusalem n'est plus la même (2)
Dans quelques années, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Jérusalem n’est plus la même. Elle est toujours aussi belle, avec ses mosquées, ses synagogues et ses églises, ses souks et ses cafés, mais elle est devenue méchante. L’est de la ville, la partie arabe, se judaïse en accéléré. Sans complexe, les colons débarquent, munis de titres de propriété certifiés par un juge, donc, par l’État et brisent des foyers, pour ne pas dire des vies. Sans honte, avec l’aide de la police, ils viennent a l’aube, se saisir des maisons des familles palestiniennes, installées parfois depuis plus de cinquante ans.
L’Etat ’hébreu’ (des Chrétiens, des Musulmans et des Athées vivent dans ce territoire) rappelle que « Jérusalem est la capitale une et indivisible d’Israël » (même si aucun pays au monde ne reconnaît l’occupation de la partie orientale de la ville), une façon pour le gouvernement de faire ce qu’il veut, quand il le veut.
Dans le quartier de Sheikh Jarrah, la famille Hanoune est installée depuis 1952. A l’aube, la police a débarqué chez eux, les colons, tels des rapaces, suivaient derrière. Ils se sont retrouvés dehors, à peine le temps d’emmener leurs affaires, ils avaient reçu un avis d’expulsion en bonne et du forme. Le juge avait tranché : cette maison appartient à des Juifs, ils doivent quitter les lieux. Je rencontre la maman, elle rode autour de chez elle, sa fille l’accompagne. Des manifestants arrivent au compte-goutte. La police laisse passer, on peut même s’approcher de la maison violée. Merci pour son zeste de démocratie. Scène surréaliste quand un colon rentre chez sa nouvelle demeure avec un pack d’eau dans les bras. Comme s’il avait toujours vécu ici. Je me dis comment va-t-il pouvoir dormir ici ce soir, comment arrive-t-il à respirer dans une maison qui n’est pas la sienne ? Il croise le regard de l’ancienne propriétaire et il continue à avancer.
L’humanité a été licenciée chez cet homme et je ressens un profond dégout pour lui. Les slogans fusent. La pression monte. Il y a beaucoup d’occidentaux mais aussi des Israéliens, des "traîtres", pour la plupart des gens. 200.000 Israéliens vivent désormais dans une douzaine de quartiers de colonisation à Jérusalem-Est. Un chiffre qui augmente tous les ans. Et rien ne semble les arrêter. Surtout pas les États-Unis : Hillary Clinton, le ministre des Affaires Étrangères américain vient de demander du bout des lèvres le gel des colonisations pendant un an. Belle farce. Elle aurait dû fermer sa gueule !
"La prison, ça a la même gueule partout" (3)
La prison, ça a la même gueule partout. C’est juste le goût qui change. En Israël, dans la seule démocratie du Moyen-Orient (ne rigolez pas !), la zonzon ressemble, à première vue, aux geôles des pays « civilisés » : un passage dans un commissariat, une GAV (garde à vue), la possibilité de passer un coup de fil, de boire un verre d’eau, de bouffer un bout de pain, on vous lit même vos droits, et on peut aussi plaisanter avec les officiers sans se prendre une baffe dans la tronche.
C’était un mardi, soleil toujours au zénith, une chaleur de réchaud à gaz. Une famille de Palestiniens du quartier de Sheik Jarrah, à Jérusalem-Est, venait de se faire chourer leur maison. Leur expulsion était légale puisque le juge avait donné son accord. Les Colons, (cœur de pierre), certain que la Terre d’Israël leur appartient, n’avaient pas perdu une minute et on les voyait regarder les news, sagement installé sur leur canapé-lit. Quelques journalistes étaient présents. Pas la foule des conseils de ministres. Les policiers étaient postés devant la maison des nouveaux propriétaires.
On a vu le bras armé de l’Etat partir quelques minutes en direction de leurs voitures garées plus haut, une feinte pour nous piéger. On s’est approchés sans se méfier et on a profité de leur absence pour mitrailler la maison maudite. Les flics sont revenus très vite en petit groupe, ont bloqué toutes les entrées-sorties. L’un d’eux a voulu arracher mon appareil-photo. J’ai vu dans ses yeux qu’il était la réincarnation du vice. Je l’avais déjà croisé il y a quelques jours et on ne s’aimait pas, il m’avait foutu des coups de latte dans le pied pour que je dégage, je l’avais photographié de près et plus si affinités.
C’était du passé. Je me suis reculé et j’ai donné mon appareil à une autre collègue. Je me suis retourné, j’ai vu une ombre derrière. D’autres policiers sont arrivés en courant : des rhinocéros qui devenaient loufoques et qui se mettaient à charger. J’ai arrêté tout mouvement, j’ai mis mes mains vers le ciel, de peur d’être massacrés.
Les flics sont sanguins, certains font ce métier pour cogner sur les gens, ça les rend tout dur au niveau de la braguette. Ils criaient en hébreu, cette langue est déjà assez agressive comme ça sans qu’on en rajoute dans les décibels. Ils m’ont saisi, on n’est pas au marché j’ai pensé, j’étais comme un sac de pommes de terre qu’on transporte sans ménagement. Ensuite, ils m’ont enfermé dans leur voiture pin-pon. Des coups de poings ont atterri sur mon ventre, et des insultes ont fusé : « On va te tuer, tu crois que tu peux faire ce que tu veux ici ». Ils ont pris mon passeport et ils ont insisté sur mon prénom : «T’es un Arabe, pas Français, un muslim ». Ils auraient pu dire un Palestinien. C’était ça l’idée.
Je suis resté silencieux, j’ai planté mon regard dans le vide pour chercher autre chose. Je voyais au loin mes collègues s’inquiéter de mon sort, je les voyais, ils étaient à distance, empêchés par l’armée d’avancer. La camionnette est partie, ça sentait le roquefort moisi.
Au commissariat, on m’a demandé mon prénom, mon nom et le nom de mon père. J’ai répondu, je suis relou comme mec mais je suis poli. Je me suis assis sur une chaise, je n’avais pas les menottes. A moitié libre. Un flic est arrivé, bonne gueule, un anglais parfait. C’était le policier gentil, comme on en trouve dans tous les commissariats du monde. On a rigolé, je ne voulais pas rire avec lui, parce que je les connais, ce sont tous des pourris.
Une heure est passée et il a voulu savoir mon prénom, mon nom et le nom de mon père. J’ai répondu. Un collègue a montré son corps et son sourire dans la pièce où nous étions, j’ai été surpris de le voir, les policiers l’avaient laissé entrer. Ca m’a rassuré, je n’étais pas perçu comme un criminel. Il est resté à mes côtés. Le flic-bonne-gueule nous a demandé de sortir et d’attendre sagement sur une chaise. On a parlé de la situation qu’on était en train de vivre. Le taxi avec lequel était venu mon confrère nous attendait en bas depuis un bon bout de temps. Le chauffeur est monté pour voir dans quel sens notre affaire se dirigeait, s’il y allait avoir un sens interdit ou si on allait pouvoir reprendre la route sur une autoroute cinq voies. Un vrai moulin ce commissariat, je me suis dit. Le policier bien gentil a demandé à mon acolyte de redescendre, il souhaitait vérifier quelque chose avec moi. Je ne me suis pas méfié, il avait été tellement sympa. J’avais même oublié un moment que j’étais un Arabe dans un commissariat israélien. Il a souri, ses mains sur ses hanches, il a dit, j’ai une mauvaise nouvelle, tu es arrêté, tu as le droit de garder le silence, tout ce que tu diras pourra être retenu contre toi, etc…Comme à Hollywood. J’ai pas cru à son histoire, j’ai répondu tu rigoles, c’est une farce, moi en prison ? Il avait l’air désolé, c’était pas sa faute. Il avait essayé de convaincre ses chefs, il leur avait dit c’est un bon gars ce Français-Arabe dont le père se prénomme Mohand. Il m’a dit dix fois je suis désolé, je t’aime bien, tu as l’air correct. Je me suis énervé, je lui ai dit ne me parle plus, tu m’as bien eu avec ta gentillesse à deux shekels.
J’ai attendu dans une autre salle et j’ai eu le droit aux menottes en ferraille. J’avais oublié quel goût elles avaient. J’étais dégoûté mais je devais garder le moral. Il y a eu un moment de flottement, où rien ne se passe, où tout se fige. Les policiers criaient, leurs voix me tapaient sur le système humain. Je ne les aime pas, je crois que je ne les aimerais jamais, je dis ce que je pense. Je n’ai rien à vendre.
On m’a fait sortir du magasin de police, menotté en haut et en bas, Guantanamo style. Je suis monté dans une fourgonnette, des gens m’ont regardé, je faisais terro. La nuit avait mis un coup de latte au jour quand je suis arrivé à la Prison, dans le quartier russe de la ville, une tôle connue pour les sévices infligés aux prisonniers palestiniens. J’ai redit mon prénom, mon nom et le nom de mon père : Mohand. J’étais fier du prénom de mon daron. J’ai rendu mes effets, mes thunes, vingt shekels, une ceinture en cuir acheté aux Puces de Clignancourt. Ensuite, on m’a mis tout nu, heureusement que je suis tout en muscle, je me suis senti moins humilié.
On m’a redemandé mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je me suis énervé et j’ai dit regarde sur mon passeport ! J’ai attendu dans une cage individuelle, à l’intérieur, un banc en pierre. J’avais toujours les menottes et les chaines autour des chevilles, comme au temps de la traite des Noirs, dans le pays le plus démocratique du Moyen-Orient. Je voulais dormir. Je somnolais, un type est entré. Mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je me suis rendormi. Il m’a tapoté l’épaule pour que je me réveille. J’ai pas répondu, faut arrêter de me prendre pour un con. Il est ressorti.
Une heure s’est écoulée et un autre gars m’a dit de le suivre. On a marché dans les corridors, les cages étaient remplies de prisonniers. J’ai croisé des taulards et je les ai salué en muslim, le maton a pas aimé et a commencé à s’exciter. Il m’a tiré par le bras pour me remettre dans son droit chemin. Ensuite, on m’a dit d’attendre devant une porte, le numéro 10 inscrit en grosses lettres dessus, le numéro de Zidane en équipe de France. Je suis entré.
Je n’étais pas seul, salaam alikoum j’ai dit, à l’intérieur, ils avaient tous des têtes de Bougnoules. La porte s’est refermée. Neuf Palestiniens m’ont regardé, j’avais un short à la mode et un t-shirt siglé 93, le département de la dignité. Ils m’ont demandé d’où je venais : j’ai menti à moitié : j’ai dit que j’étais Algérien. On m’a filé à boire, des choses à grignoter, mais on m’a surtout souri.
Mon lit était celui à gauche de la porte. On a ri, des blagues sur l’autre Sexe, ça marche toujours, désolé la gente féminine ! On est parti dormir, pas pour longtemps, la lumière s’est allumée. Une lumière collective, les matons peuvent l’actionner à tout moment. Un gardien est entré avec arrogance et les autres se sont levés. Je suis resté dans mon pieu : je ne connaissais pas encore les règles du jeu de la démocratie. Il m’a gueulé dessus, ou peut-être qu’il parlait toujours de cette façon. Nos prénoms, nos noms et le nom de nos pères. J’avais jamais dit Mohand autant de fois dans une soirée. Redodo. Puis, de nouveau, la lumière s’amuse…J’ai fermé les yeux pour les rouvrir une nouvelle fois. Cette fois-ci, je me suis levé en même temps que les autres prisonniers. Tournez manège. Ca a duré jusqu’au petit matin.
Le jour s’est levé sans les croissants, juste du pain sec et un œuf dur. Welcome to Israël, the only democracy in the Middle East. Une petite ballade dans une cour carrée pour détendre les muscles et pour se jauger entre prisonniers. Beaucoup de Palestiniens mais aussi des Juifs. Ils sont rarement dans les mêmes cellules. Les matons sont plus corrects avec les Juifs. L’heure du transfert chez le juge. Une heure pour sortir de la prison. Les chaines aux chevilles, menottes aux mains, on monte dans un camion.
Au palais de justice, on est quinze dans une cage de 15m², les plaintes pleuvent, faites en sortir, on en peut plus. On fume clope sur clope et la ventilation est en vacances au nouvel hôtel cinq-étoiles construit à Jérusalem-Est. On attend notre tour. Le mien arrive vers 10h20. Mes amis sont là, il y a également deux nanas du consulat français qui me sourient pour m’aider à tenir bon ; à l’étranger il n’y aucun doute sur notre francitude.
J’ai une avocate, une as du barreau, une Israélienne engagée. Le juge gueule. Enfin, il a pas l’air content. Pas d’interprète pour moi, heureusement la diplomate française se propose de faire les traductions. Le juge crie, j’aimerais pas être sa nana, lui et l’avocate, ils ne partiront jamais sur les bords de la Mer Morte passer des vacances. Le juge me libère : j’ai l’interdiction de me rendre à Sheik Jarrah pendant 181 jours. Pas d’amende, aucune charge retenue, un procès pour que dalle. Je suis libre. Enfin presque. J’ai toujours les chaines au pied et je repars en prison.
Il est 11h. On me change de cellule, m’emmène dans des bureaux, me demande encore et encore mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je réponds une fois sur trois. Ce petit jeu dure jusqu’à 19h. Torture psychologique. J’imagine un mois ici. J’imagine un Palestinien qu’on enferme deux mois. Je sors de prison. La nuit m’accueille. Mes amis sont là, accompagnés d’un journaliste palestinien. Il y a de l’émotion dans leurs mots, dans leurs gestes et dans leur regard. Moi, j’ai la rage. Ah oui, j’ai la rage.
Le jour où j'ai pris une pierre… (4)
A Ramallah, les portraits d’Arafat sont visibles partout, dans les salons de coiffure et les kébabs, à l’intérieur des chaumières, sur les murs de la ville où les images de l’ancien raïs vieillissent avec le temps mais restent toujours intactes. Les citoyens lambda disent de lui que c’était quelqu’un d’abordable, qu’on pouvait venir le déranger à tout moment.
En 2002, je m’étais pointé devant son palais, les chars israéliens encerclaient son QG. Une bande de gamins refaisaient l’intifada, mimant leurs ainés en balançant des pierres sur les soldats. Je m’étais approché, David contre Goliath. Je voulais les prendre en photo, ils n’étaient pas d’accord, je pouvais être un espion. Ils m’ont montré des pierres, j’en ai pris une, ils ont été surpris. J’en avais trop envie, j’en avais tellement rêvé en fait. J’ai grandi dans une cité en Seine-Saint-Denis et même si la situation en Palestine ne peut être comparée aux conditions des quartiers impopulaires, en les voyant se battre contre l’occupant, je me suis revu enfant. Leur histoire me bouleverse, elle devrait bouleverser tous ceux qui ont subi l’injustice à un moment de leur vie. J’ai pris de l’élan et j’ai lancé le caillou avec toute la force qu’il me restait.
J’en ai ramassé d’autres en m’approchant toujours de plus près. Ce n’était pas un soldat israélien que j’avais en face mais un CRS, un policier français, le même mépris pour ces enfants de Palestine, la même violence, la même arrogance, pour les jeunes des banlieues. Un soldat est sorti de son char et a fait mine de nous viser. Les mômes ont compris que j’étais avec eux et m’ont demandé de les prendre en photo en action. Je n’avais pas peur. J’aurais pu mourir ici, vraiment, je ne pouvais pas faire autrement, il y a un moment dans la vie où il ne faut pas réfléchir, aller à fond dans l’émotion, laisser le cœur dicter nos actes. Les chars se sont avancés, les enfants ont reculés, les soldats ont reculés, nous nous sommes approchés. Je me suis senti Palestinien. J’ai du partir, l’après-midi souhaitait faire une sieste. Je les ai quittés en frères d’armes. Je suis retourné devant le Palais. J’ai attendu plusieurs heures et j’ai pu finalement m’entretenir avec Yasser Arafat pendant quelques minutes. Je n’ai même pas été fouillé.
J’ai vu un résistant fébrile mais sa volonté était intacte. Je lui ai parlé de mes deux pays, il m’a dit je les aime tous les deux. La France et sa politique étrangère « pro-arabe ». L’Algérie et son soutien inconditionnel à son parti l’OLP. Je l’ai enlacé, je tremblais de tous mes membres. Arafat est mort, mais ne le dites pas trop fort parce qu’ici on parle toujours de lui au présent. Pour les Palestiniens, c’était Abou Amar, parce que même entré en politique, il restait aux yeux de ses frères un guerrier. Il est enterré dans la cour à la Mouqaata, l’ancien quartier général de l’Autorité palestinienne, où depuis sa disparition, un mémorial blanc a été construit en son honneur, un magnifique lieu à la forme de la Kaaba (la pierre de la Mecque). Deux gardes se tiennent au garde à vous, ne bougent pas d’un orteil même sous les flashs des appareils-photos. Ils font face au tombeau. Sur la gauche, une mosquée moderne à l’image de la personnalité de l’ancien président. Arafat avait exprimé le souhait d’avoir sa sépulture sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est. Israël lui a refusé ce droit, le ministre de la Justice de l’époque avait déclaré : « Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem parce que c’est une ville où sont enterrés les rois des Juifs et non pas les terroristes arabes ». Ariel Sharon, son ennemi de toujours, alors premier ministre, avait ajouté : « Tant que je serai au pouvoir, et je n’ai pas l’intention de le quitter, Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem ». Israël craignait surtout que sa tombe ne se transforme en un lieu de pèlerinage pour les Palestiniens. Arafat est mort, emportant avec lui le maigre espoir de voir un jour une Palestine libre.
Mahmoud Darwich, considéré comme l’un des plus grands poètes palestiniens, a écrit un poème en hommage à Yasser Arafat. Ce texte est gravé sur une stèle à l’entrée du mémorial.
Yasser Arafat était le chapitre de le plus long de nos vies et son nom était l’un des noms de la Palestine nouvelle, renaissante des cendres de la Naqba (la catastrophe pour les Palestiniens, quand ils ont été chassés de leur terre en 1948), en passant pour la flamme de la résistance jusqu’à l’idée de l’Etat et en chacun de nous, il y a quelque chose de lui.
A Bil’in, cinq ans de manifestations (5)
Une manif’, si ça part pas en cacahuète, ce n’est pas vraiment une manif’. A Bil’in, village agricole à quelques kilomètres de Ramallah, chaque vendredi, en plus de la grande prière hebdomadaire, quelques centaines de personnes (le chiffre varie en fonction de l’actualité), et parmi eux beaucoup d’Occidentaux, manifestent pacifiquement contre le Mur qui se trouve à quelques minutes du centre-village et contre la colonisation décomplexée de l’Etat d’Israël. C’est le Comité Populaire du Bil’in qui chapeaute le truc. Une équipe bien organisée qui met un point d’honneur depuis 2004 à ne rater aucun rendez-vous.
« N’oubliez-pas de prendre des manches longues pour vous couvrir le visage et veillez à rester groupés le plus possible », prévient un homme moustachu, l’un des principaux leaders du groupe. Une jeune blonde de l’Occident, qui pourrait récolter un 10-10 pour son physique de science-fiction, lui demande si elle doit laisser son passeport ici ou si elle doit le prendre avec elle. Le moustachu lui répond que la semaine passée, plusieurs militants se sont fait arrêtés et que tous ceux qui pouvaient prouver leur identité ont été embarqués par la police du pays qui se croit tout permis, et pourquoi il se gênerait Simone ? puisque tout le monde ferme sa gueule.
Ici, comme dans de nombreux bleds en Cisjordanie, la construction de colonies menace l’activité économique des villages. « Je ne comprends pas pourquoi la communauté internationale ne dénonce pas ce qu’il se passe ici. Lors de l’apartheid en Afrique du Sud, il y avait un consensus, déplore un jeune Français, qui souhaite garder l’anonymat. Israël pourrait m’interdire de revenir». Le départ est fixé à 11h. La température ne plaisante pas. On se couvre comme on peut. La crème solaire passe de paluches en paluches. Les journalistes portent des gilets spéciaux pour être reconnaissable, pour ne pas être confondus avec les autres zinzins, à cause de la chartre du journalisme, qui insiste sur l’objectivité. D’autres confrères ont dans les mains un masque, un citron et un oignon. Des enfants se greffent au cortège et ils s’agitent comme si leurs parents les emmenaient à la foire du Trône.
Les slogans sont repris avec un sourire de départ en vacances. Après dix minutes de marche, on arrive devant les barbelés. On distingue à peine les soldats israéliens, recroquevillés à l’intérieur de leur bunker. Ils se tiennent prêts, me dit un Belge. Prêts à quoi au fait ? Les militants ressemblent à des agneaux dans une bergerie, mis à part trois locaux qui balancent des cailloux de la taille d’une couille et qui atterrissent 10 fois sur 10 dans le vide, j’ai du mal à voir OBJECTIVEMENT parlant pourquoi les soldats paraissent si nerveux.
Le moustachu s’empare du micro et s’adresse en anglais aux militaires : « Si vous voulez vivre en paix, comme nous le voulons, libérez la Palestine, et arrêtez la colonisation ». Un Israélien, un homme d’une soixantaine d’années le relaie, il s’exprime en hébreu, un Palestinien traduit dans la langue de Shakespeare : « J’ai honte d’être Juif en vous voyant agir de la sorte, les Palestiniens sont nos frères, nous devons cohabiter avec eux, et non pas les exclure ». Le groupe s’approche de la barrière. Un mouvement de troupes s’opère de l’autre côté. Le moustachu conseille à tout le monde de reculer. Les soldats envoient une série de gaz lacrymogène, une cinquantaine sur les manifestants.
Pris de panique, les pacifistes courent dans tous les sens, se masquent le visage et tentent de reprendre leur respiration. Quelques minutes plus tard, ils se frottent les visages avec un oignon ou un citron, au choix. Les journalistes avec ou sans carte de presse homologuée, positionnés à droite, mitraillent la scène, certains portent des masques à gaz, leur look est impressionnant.
Les soldats font demi-tour. Le moustachu revient à la charge : « il va falloir beaucoup plus que ça pour qu’on abandonne le combat ». Un Palestinien d’une vingtaine d’années ramasse des pierres et essaie d’atteindre sans succès le bunker des militaires israéliens, son bras n’est pas assez long.
Déterminée, la communauté de la Paix reprend chaque slogan scandé de plus belle la vie. Les soldats bougent de nouveau. Un autre Palestinien, un trentenaire, kéfié sur la tête, ne craignant pas d’être dégommé, s’avance toujours plus près, pierre à la main. Un autre le suit, et brandit avec fierté le drapeau de la Palestine. La scène est filmée, photographiée en long et en large. Tout le monde applaudit. Je me retourne et tente d’avoir une vision à 360 degrés.
Des Français de Marseille, arborant avec classe une magnifique banderole Bleu Blanc Rouge s’insurgent au micro du « manque de courage de la communauté internationale ». La chaleur est étouffante dans cet endroit privé d’ombre. Je vérifie le niveau de la batterie de ma caméra. Le vent n’existe pas, quel salaud, les gaz lacrymogènes squattent notre espace. Le temps s’arrête un moment. Un silence prélude à une bataille. Les soldats reviennent.
Je commence à enregistrer. Cette fois-ci, c’est sûr ils vont balancer le double de fumigène. Les manifestants reculent, chat échaudé craint l’eau froide. Je me tourne en direction des Israéliens. Ils arment. Le feu d’artifice va commencer. La presse est comme la Suisse, elle est neutre et donc protégée. Les lance-lacrymo sont bien bas, à cette hauteur, ils vont louper leur cible. Mon gilet « presse » est jaune flou, il me va comme un gant. Ma nuque fait des allers-retours sur elle-même. Ca va chauffer, si j’étais un manifestant, je serais déjà parti. Les soldats ont le bras tendu. C’est bizarre : j’ai l’impression qu’on nous vise. Pas possible : nous sommes dans l’exercice de notre profession. On n’est pas en Chine quand même ! The only democracy in the middle East ne tire pas sur les journalistes. Ah bon, depuis quand ?
A Qalquilia, l'eau coule en sanglots (6)
Il ne dira pas son prénom, trop peur qu’ils viennent lui retirer le peu qu’il lui reste. Il est né ici, à Qalquilia en 1930, une petite ville au Nord-Ouest de la Cisjordanie, pratiquement une vingtaine d’années avant la création d’Israël. Il n’a jamais voulu partir.
D’une voix douce et posée, il dit : « Même si je dois manger de la paille et passer toutes mes nuits dehors, jamais je ne quitterai ma terre ». Je le rencontre par hasard, par chance je dirais, je me baladais le long du Mur, cette espèce de machin tout dégueulasse, qui m’a rappelé cet autre truc dégueulasse que j’avais aperçu au milieu des années 80 à Berlin. Il y avait un beau jardin qui lui faisait face, les deux n’allaient pas ensemble j’ai tout de suite pensé, la beauté et la cruauté.
J’ai vu un vieillard assis sur les genoux, je l’ai vu ramper à travers ses plantes. La scène m’a touché. J’ai tout de suite su que j’avais affaire à quelqu’un qui avait perdu beaucoup. Il était 16h et la lumière faisait la radine, cachée par cette haute « barrière de sécurité ». Je me suis approché avec une inhabituelle timidité. Je tenais la caméra dans les mains. Je me suis assis et il a commencé à me parler.
De son histoire, qui ressemblait à celles de milliers d’autres de ses frères, de mes frères de Palestine. De ses souffrances, une vie à souffrir. Il m’a tout dit, je le connaissais à peine mais il m’a tout dit. Il m’a donné sa confiance, c’est comme si qu’il savait que j’allais venir et m’a parlé avec une dignité de Seigneur. Je ne sais pas comment j’aurais réagi à sa place. Il avait été jusqu’au collège puis était parti travailler en Jordanie, une nécessité pour nourrir les siens, avant de revenir chez lui quelques années plus tard, son pays, sa famille lui manquaient trop.
Son jardin est beau, je vous le jure, le vieil homme l’aime comme on aime son enfant mais ses fruits manquent cruellement de lumière, et d’eau, parce que l’amour ça suffit pas toujours. Ses fruits bégaient, ils peinent à mûrir, ils peinent à grandir, ils sont aussi dur que le Mur de la honte. Son verger aurait besoin également de bras, mon ami a 79 ans et il s’occupe de tout, tout seul. Il parle et tu ne peux pas interrompre quelqu’un qui te donne autant.
Puis il se tait, un long silence s’abat. Il sourit et pousse péniblement sur ses bras pour hisser son corps vers le haut. Il se déplace à l’aide de béquilles et se repère dans son jardin peau de chagrin en tapotant les fruits qui pendent à ces arbres : je crois que sa vue est partie en même temps que ses terres. J’ai envie de le serrer dans mes bras, à la manière d’un fils qui retrouve son père, parti au combat.
Je le suis à bonne distance, avec pudeur. Il me montre avec fierté ses grenades, me dit d’en apporter une avec moi, ce sont de beaux fruits malgré tout, les raisins, eux, sont rachitiques, ils sont ridés de partout. Je le regarde beaucoup, je regarde ses mains, je croise son regard, c’est sûr : ce bonhomme a toujours été courageux. Il a perdu un œil, une maladie, il n’en dira pas plus. Il lui reste l’œil gauche. Il continue à vérifier les plantes de son potager, marche d’un pas laborieux et rien qu’à le voir, tu as les larmes qui te montent aux yeux.
L’eau coule en sanglots
Il s’empare d’un tuyau noir pour arroser sa terre, l’eau coule en sanglots. Il n’a pas les moyens d’en disposer davantage, l’Etat d’Israël fait la pluie et le beau temps quand il s’agit de l’approvisionnement de cette denrée essentielle. L’agriculteur sourit beaucoup, tant qu’on vit et tant qu’on aime, tout va bien. Un beau sourire de cinéma mais son œil gauche pleure. Je crois qu’il revoit sans cesse ces terres qu’on lui a dérobé, elles ne sont pas bien loin, elles vivent sans lui avec tristesse de l’autre côté du Mur. Je le regarde lui dans son jardin et je regarde le Mur. Les deux ne vont décidément pas ensemble.
J’ai envie de briser ce putain de Mur, j’ai envie de me battre avec un soldat de ce pays qui me fout tant les boules, lui défoncer sa tronche contre un rocher, le prendre par le col, et le ramener chez ce vieil homme et qu’il regarde droit dans les yeux. Je crois qu’Israël est allé trop loin, et qu’ils ne pourront jamais vivre avec tranquillité. Si j’étais né en Palestine…
Je vois revenir vers moi mon ami, il s’assied sur une sorte de table qu’il a aménagée. Se lave les mains, le visage, et les pieds plusieurs fois. Rituel du musulman. Il est prêt pour aller prier à la mosquée. Son petit-fils arrive. Une belle voiture. Pas surpris de nous voir le gamin. Son grand-père est une star. Je le connais pas tant que ça mais je l’aime profondément. Son visage s’est rallumé, il s’en va rejoindre Dieu. Il sourit beaucoup. J’avais raison, c’est un sourire de façade parce qu’il finit par m’avouer : « Sans mon amour pour Allah, je crois que j’aurais déjà tout abandonné ».
Au cœur de la Palestine, des Israéliens (7)
Des gens courageux, il en existe partout, même si, comme ailleurs ils ne courent pas les rues. L’être humain, en général, aime tourner la tête de l’autre côté, fermer les yeux, ou se boucher les oreilles. En Israël, les « braves » sont marginalisés, in the only democracy in the middle east, il ne fait pas bon de dénoncer le racisme d’Etat, la majorité de la société considère ces « valeureux » comme des traîtres, des vendus, des naïfs, des « à côtés de la plaque » parce qu’ils s’insurgent contre la politique raciste et colonialiste de leur gouvernement, parce qu’ils militent pour la Paix et parce qu’ils considèrent les Palestiniens comme des frères, ce qui est loin d’être une connerie Simone.
Menaces de mort, graffitis-insultes sur les portes de leurs maisons, des méthodes d’intimidation classiques, et pourtant ces vaillants israéliens continuent leur combat, certains d’avoir raison. A Sheikh Jarrah, dans la partie est de Jérusalem, où les enfoirés de Colons acquièrent gratis des villas palestiniennes, des pacifistes israéliens dotés de burnes énormes n’hésitent pas à aller jusqu’à l’affrontement physique avec la police.
Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été arrêtés et jetés en prison comme l’auraient mérité plusieurs proches de Sarkozy, le Président d’origine hongroise. Il y en a d’autres, qui travaillent à l’ombre du soleil, parcourant le globe, tentant de mobiliser la Communauté Internationale (toujours aussi lâche), conscients que la solution ne peut venir que de l’extérieur, bien au courant que la plupart des Israéliens soutiennent la politique fasciste de leur gouvernement. Je rencontre, quelque part en Cisjordanie, M, un Franco-Israélien. Il se définit comme un militant anticolonialiste car selon lui, il y a en Palestine, « une présence militaire qui opprime la population indigène et un rapport de pouvoir qui vise à étendre les frontières vers l’Est ».
Son visage m’est familier, une tête qui inspire la confiance, quand il me serre la paluche. Il vient souvent en Gaule moderne, notamment à la fête de l’Humanité qui a lieu tous les ans dans le plus beau département de France, si, si, ne rigolez pas la Seine-Saint-Denis est loin d’être ce que vous pensez, pour changer « notre image », on aurait besoin de journalistes qui franchissent le périph’ un peu plus souvent, pas seulement quand les voitures brûlent. Je kiffe, je me lâche, un brin moralisateur, vous ne trouvez pas ? Mais j’assume…
« Israël n’est pas un pays normal, commence à me dire M qui se bat aux côtés des Palestiniens depuis quarante ans, c’est pour ça qu’il doit être traité comme un pays anormal ». Comme un état-voyou. Selon sa constitution, Israël est un Etat Juif, se définir en tant que tel, donne à ce pays un prétexte pour une discrimination à l’égard de tous ses citoyens non juifs. L’ambiguïté qui entoure la question de la citoyenneté ne s’arrête pas sur le plan légal, elle est présente dans toutes les manifestations de la vie quotidienne, les droits des citoyens arabes ne sont pas les mêmes que ceux des citoyens juifs. Un Juif devient un citoyen israélien de fait, ce qui n’est pas le cas pour les « autres » qui doivent batailler ferme pour obtenir la nationalité.
Avec les lois sur le foncier, la terre appartient aux Juifs, « pas aux Israéliens », dénonce M. Les autres peuvent aller se rhabiller. Ses mots me font du bien, des semaines à me taper les Colons, les keufs, les touristes de merde qui viennent ici, sourire aux lèvres, appareil photo en bandoulière, pendant que de « l’autre côté », l’apartheid est sur son 31. Le militant anticolonialiste est optimiste et pessimiste à la fois. Mi chèvre-mi chou, mi ange-mi démon. Pessimiste parce qu’à chaque manif, ils sont de moins en moins nombreux. Optimiste, parce que pour lui la société israélienne est une société fatiguée, gâtée, engraissée, relativement en sécurité (ça n’a jamais été aussi calme depuis 1948, le dernier attentat suicide a eu lieu en 2006) et « qu’en face » la plupart n’ont rien à perdre et qu’il faudra bien un jour ou l’autre faire la Paix, de gré ou de force. Surtout, il est persuadé qu’on ne peut pas « jouer les voyous des quartiers indéfiniment, ça finira par nous retomber dessus ».
Pessimiste aussi parce que la Communauté Internationale n’a jamais été aussi gentille avec Israël : « Kouchner passe par exemple nous faire un petit coucou tous les mois et les Etats-Unis, même si Obama est moins pro-israélien que Bush, soutiendra toujours notre gouvernement ».
Pessimiste encore parce qu’en massacrant la population de Gaza, son pays a montré qu’il en avait rien à foutre de ce que les autres peuvent penser. Il peste contre le projet sioniste, si vanté dans nos beaux-pays de l’Occident, qui « vise en réalité à créer un état ethnique pour les Juifs par la Colonisation de la Palestine » et rappelle que ce n’est pas anodin si Israël n’a pas encore défini ses frontières (aucun texte à ce jour précise quelles sont les frontières de « l’Etat hébreu » où vivent beaucoup, mais beaucoup de Non-Juifs, c’est hallucinant, non ?).
Toujours prêt à gratter un peu plus chaque année, ces raclures. C’est le genre de gars que tu peux écouter des plombes, le genre de type que tu aimerais entendre plus souvent à la télé. Malgré son moral rikiki, il continue à se battre et ne lâchera jamais. Il le fait pour ses enfants, pour qu’ils ne deviennent pas des réfugiés (il pense qu’à long terme, les Juifs seront chassés) et promet qu’il leur donnera « un maximum de chances pour qu’ils vivent ici normalement avec leurs frères Palestiniens ». Il dit beaucoup de choses intéressantes, je retiens ce truc qui est tellement vrai, qu’il faudrait l’écrire avec un marqueur indélébile sur tous les murs du monde, une phrase, un appel pour tous ses frères Juifs : « vous croyez que défendre aveuglément l’Etat d’Israël sert à lutter contre l’antisémitisme, et bien vous vous trompez, et c’est le contraire qui risque d’arriver ».
A suivre...
La vie au check-point (8)
La prison pour les Palestiniens (9)
L'eau, nerf de la guerre en Palestine (10)
Le temps des adieux (11)
Le temps du retour (12)
Source : L'Humanité