Par Christian Merville | 15/09/2009
LE POINT
Dix petites secondes lui avaient suffi pour entrer dans la légende, ce fameux « hall of fame » dont rêve tout homme et qui fit dire, un jour, à Andy Warhol que dans l'avenir, chacun pourra avoir ses quinze minutes de célébrité. Un sixième de minute, le temps nécessaire pour lancer une première puis une seconde chaussure à la face de l'homme le plus puissant du monde, George W. Bush. Tous ses concitoyens sont capables aujourd'hui de citer les quelques mots qui accompagnaient le geste : « Ceci est votre baiser d'adieu, chien. Pour les veuves et les orphelins d'Irak. »
Mountazer al-Zaïdi, qui s'apprête à retrouver la liberté, est un héros malgré lui, avec quelques dents en moins, des côtes brisées et mal ressoudées, des fractures restées sans soins à la jambe et à l'avant-bras, souvenir de son arrestation mouvementée, quand les gardes du Premier ministre, Nouri el-Maliki, se sont acharnés sur lui, histoire d'être bien vus par le maître. L'image du président des États-Unis esquivant le lancer figure sur les murs de Bagdad, un nombre incalculable de tee-shirts et dans un jeu vidéo qui fait la joie des enfants turcs. À sa sortie de prison, il trouvera, attendant son bon plaisir, un appartement de quatre chambres à coucher, don de son ancien employeur, une automobile flambant neuve, une flopée de contrats d'assurance-maladie et des propositions émanant d'Arabes des quatre coins de la région d'épouser leur fille. Un richissime Saoudien propose même 10 millions de dollars pour l'achat du corpus delicti et un Marocain voudrait lui faire parvenir un pur-sang doté d'une selle en or.
Témoignage d'un vieux fermier de Cisjordanie qui a mobilisé sa famille pour aider à payer les avocats : « Ce qu'il a fait, il l'a fait pour tous les Arabes et pas seulement pour les Irakiens. Par la faute de la Maison-Blanche, nous avons tous connu les affres de l'occupation et cela, nous ne pouvons l'oublier. » Comment jeter la pierre à un peuple qui, à l'instar de tant d'autres dans cette partie du monde, a tant souffert ? Et comment, face au responsable de tous vos maux, contrôler vos réactions ? Sans doute que le choix de l'« arme du crime » n'était-il pas voulu, mais le journaliste de la chaîne Baghdadiya ne pouvait porter sur lui une arme à feu ou un bâton de dynamite, sachant que les reporters chargés de couvrir la conférence de presse feraient l'objet d'une fouille minutieuse. De plus, on ne pouvait rêver d'objet plus insultant, surtout dans le monde arabe, que cette chaussure, rapidement devenue « the Bush shoe » puis « the bye-bye Bush shoe ». Toujours est-il que, quatre jours après l'incident, les services de sécurité américains et irakiens avaient détruit les souliers incriminés en recherchant des explosifs qui auraient pu s'y trouver...
Il est étonnant que passé le moment d'intense surprise suscitée à travers le monde, bien rares sont les commentateurs qui ont tenté d'en tirer les leçons ou encore cherché à se poser la question de savoir comment une grande nation, partie en guerre contre un tyran abhorré par la communauté internationale et pour l'établissement d'une démocratie qui aurait servi de modèle à tous les pays voisins, s'était laissé entraîner à commettre des abus qui avaient fini par inspirer une haine telle que certains commençaient à regretter l'ère de Saddam Hussein. Comment aussi peut-on entamer l'opération de retrait, jugeant que l'entreprise avait été menée à son terme - rappelez-vous la banderole tendue sur le pont du porte-avions USS Abraham Lincoln, annonçant fièrement : « Mission accomplished » - ? On était encore au 1er mai 2003, soit exactement 31 jours après le déclenchement de l'opération « Shock and Awe » et des années avant que le monde ne désespère d'entrevoir la fin d'une guérilla qui ensanglante le pays et a coûté jusqu'à présent à l'Oncle Sam la bagatelle de 682 milliards de dollars ainsi que des milliers de vies. Au départ, le Pentagone avait calculé que l'entreprise de pacification et de mise sur rails ne prendrait que quelques semaines, pour un coût global d'une cinquantaine de milliards de dollars. Nul n'avait vu venir la résistance face à des sauveurs devenus des occupants. La révolte de Mounzer al-Zaïdi, dérisoire en d'autres temps et sous d'autres cieux, illustre parfaitement le sentiment, ou plutôt le ressentiment de millions d'êtres, poussés dans leurs derniers retranchements, incapables de s'exprimer sinon par l'insulte.
Dans le gouvernorat de Salaheddine, un monument avait remplacé le 30 janvier dernier la statue de Saddam. Il représente une gigantesque chaussure, œuvre d'un groupe d'orphelins, victimes du dictateur déchu. Triste témoignage d'une cause pourtant noble, à une époque où de pathétiques héros en sont réduits à ne brandir qu'une chaussure.
Mountazer al-Zaïdi, qui s'apprête à retrouver la liberté, est un héros malgré lui, avec quelques dents en moins, des côtes brisées et mal ressoudées, des fractures restées sans soins à la jambe et à l'avant-bras, souvenir de son arrestation mouvementée, quand les gardes du Premier ministre, Nouri el-Maliki, se sont acharnés sur lui, histoire d'être bien vus par le maître. L'image du président des États-Unis esquivant le lancer figure sur les murs de Bagdad, un nombre incalculable de tee-shirts et dans un jeu vidéo qui fait la joie des enfants turcs. À sa sortie de prison, il trouvera, attendant son bon plaisir, un appartement de quatre chambres à coucher, don de son ancien employeur, une automobile flambant neuve, une flopée de contrats d'assurance-maladie et des propositions émanant d'Arabes des quatre coins de la région d'épouser leur fille. Un richissime Saoudien propose même 10 millions de dollars pour l'achat du corpus delicti et un Marocain voudrait lui faire parvenir un pur-sang doté d'une selle en or.
Témoignage d'un vieux fermier de Cisjordanie qui a mobilisé sa famille pour aider à payer les avocats : « Ce qu'il a fait, il l'a fait pour tous les Arabes et pas seulement pour les Irakiens. Par la faute de la Maison-Blanche, nous avons tous connu les affres de l'occupation et cela, nous ne pouvons l'oublier. » Comment jeter la pierre à un peuple qui, à l'instar de tant d'autres dans cette partie du monde, a tant souffert ? Et comment, face au responsable de tous vos maux, contrôler vos réactions ? Sans doute que le choix de l'« arme du crime » n'était-il pas voulu, mais le journaliste de la chaîne Baghdadiya ne pouvait porter sur lui une arme à feu ou un bâton de dynamite, sachant que les reporters chargés de couvrir la conférence de presse feraient l'objet d'une fouille minutieuse. De plus, on ne pouvait rêver d'objet plus insultant, surtout dans le monde arabe, que cette chaussure, rapidement devenue « the Bush shoe » puis « the bye-bye Bush shoe ». Toujours est-il que, quatre jours après l'incident, les services de sécurité américains et irakiens avaient détruit les souliers incriminés en recherchant des explosifs qui auraient pu s'y trouver...
Il est étonnant que passé le moment d'intense surprise suscitée à travers le monde, bien rares sont les commentateurs qui ont tenté d'en tirer les leçons ou encore cherché à se poser la question de savoir comment une grande nation, partie en guerre contre un tyran abhorré par la communauté internationale et pour l'établissement d'une démocratie qui aurait servi de modèle à tous les pays voisins, s'était laissé entraîner à commettre des abus qui avaient fini par inspirer une haine telle que certains commençaient à regretter l'ère de Saddam Hussein. Comment aussi peut-on entamer l'opération de retrait, jugeant que l'entreprise avait été menée à son terme - rappelez-vous la banderole tendue sur le pont du porte-avions USS Abraham Lincoln, annonçant fièrement : « Mission accomplished » - ? On était encore au 1er mai 2003, soit exactement 31 jours après le déclenchement de l'opération « Shock and Awe » et des années avant que le monde ne désespère d'entrevoir la fin d'une guérilla qui ensanglante le pays et a coûté jusqu'à présent à l'Oncle Sam la bagatelle de 682 milliards de dollars ainsi que des milliers de vies. Au départ, le Pentagone avait calculé que l'entreprise de pacification et de mise sur rails ne prendrait que quelques semaines, pour un coût global d'une cinquantaine de milliards de dollars. Nul n'avait vu venir la résistance face à des sauveurs devenus des occupants. La révolte de Mounzer al-Zaïdi, dérisoire en d'autres temps et sous d'autres cieux, illustre parfaitement le sentiment, ou plutôt le ressentiment de millions d'êtres, poussés dans leurs derniers retranchements, incapables de s'exprimer sinon par l'insulte.
Dans le gouvernorat de Salaheddine, un monument avait remplacé le 30 janvier dernier la statue de Saddam. Il représente une gigantesque chaussure, œuvre d'un groupe d'orphelins, victimes du dictateur déchu. Triste témoignage d'une cause pourtant noble, à une époque où de pathétiques héros en sont réduits à ne brandir qu'une chaussure.
L'orient le jour