dimanche 5 juillet 2009 - 08h:00
Jonathan Cook
The National
L’organisme israélien chargé de surveiller le respect de l’éthique médicale n’a pas enquêté sur les médecins qui travaillent dans les centres de détention et qui ferment les yeux dans les cas de torture, affirment des organisations israéliennes pour les droits humains.
L’’Association médicale israélienne’ (AMI) a ignoré les requêtes successives lui demandant d’enquêter sur de tels témoignages, indiquent les organisations, bien qu’il lui ait été présenté des cas de médecins israéliens qui n’avaient pas respecté leur devoir légal et éthique s’agissant des soins aux Palestiniens.
Les accusations vont alimenter la campagne soutenue par des centaines de médecins à travers le monde pour obliger Yoram Blachar, qui dirige l’AMI, à renoncer à sa récente nomination à la présidence de l’’Association médicale mondiale’ (AMM).
Plus de 700 médecins ont signé une pétition affirmant que le Dr Blachar s’était lui-même disqualifié poure la direction de l’AMM - un organisme qui régit l’éthique de la profession médicale - en tolérant de façon efficace la torture en Israël.
La campagne contre le Dr Blanchard a rapidement gagné du terrain depuis la désignation de celui-ci à la présidence en novembre dernier. Les critiques ont déclaré que sa complicité alléguée dans l’usage de la torture dans les centres de détention israéliens pouvait remonter à 1995, quand il a été nommé président de l’AMI.
Jusqu’en 1999, où une décision de la Cour suprême d’Israël a limité l’usage de la torture, les médecins israéliens supervisaient régulièrement le traitement médical des détenus maltraités, la plupart du temps des Palestiniens des Territoires occupés.
Au cours de cette période, le Dr Blanchard a étonné nombre de ses confrères en exprimant son soutien à l’usage, par les interrogateurs israéliens, de « pressions physiques modérées », dans une lettre adressée au Lancet, une revue médicale britannique. L’expression recouvre un large éventail de pratiques qui vont depuis les coups et l’enchaînement des prisonniers dans des positions douloureuses jusqu’à la privation de sommeil. Elle est considérée par les organisations des droits humains comme un euphémisme pour le mot torture.
En dépit de la décision de la Cour de 1999, une union de 14 groupes israéliens de défense des droits humains, connue sous le nom de ’Unis contre la Torture’, a fait le constat dans son dernier rapport annuel, en novembre, que les centres de détention israéliens employaient toujours systématiquement la torture. Et qu’on y comptait aussi sur les médecins israéliens pour traiter les blessures résultant de la torture.
La semaine dernière, les organisations ’Médecins pour les droits humains’ et ’Comité public contre la Torture en Israël’ ont publié un rapport commun examinant des centaines de cas d’arrestations où les Palestiniens ont été attachés dans des positions « contorsionnées et non naturelles » dans le but d’infliger « une douleur et une humiliation », ce qui est assimilable à la torture.
Le rapport note des cas où les prisonniers, dont une femme enceinte et un homme à l’agonie, ont été mis aux fers pendant que des médecins appliquaient les procédures des urgences dans un hôpital.
Selon le rapport, les médecins violaient la Déclaration de Tokyo, code de l’éthique médicale adopté par l’AMM en 1975, qui interdit aux médecins d’avoir recours à des traitements cruels, humiliants ou inhumains.
Ishai Menuchin, responsable du ’Comité public contre la Torture en Israël’, a déclaré que son groupe avait vigoureusement fait pression contre la complicité des médecins israéliens dans l’usage de la torture depuis la publication de son rapport, Ticking Bombs, arguant que la torture était courante en Israël.
Le ’Comité public’ a mis en avant les témoignages de neuf Palestiniens qui ont été torturés par des interrogateurs. Le rapport note aussi que dans la plupart des cas, des médecins israéliens qui traitaient les détenus « rendaient leurs malades pour de nouvelles séances de torture, et gardaient le silence ».
En juin de l’année dernière, ’Médecins pour les droits humains’ a attiré l’attention de l’AMI sur deux cas de médecins qui n’avaient pas signalé les traces de torture sur un Palestinien qu’ils suivaient.
Anat Litvin, de ’Médecins pour les droits humains’, a déclaré à l’AMI : « Nous pensons que les médecins sont utilisés par les tortionnaires comme un filet de sécurité - en les retirant du système, il serait beaucoup plus difficile de décider la torture. »
Les groupes ont accentué leur pression en février, en écrivant à Avinoam Reches, président du comité d’éthique de l’AMI. Ils ont exigé que son association enquête sur six cas de médecins qui n’avaient pas déclaré des traces de torture.
Dans l’un de ces cas, un médecin pénitentiaire, sous la pression des interrogateurs, a accepté de retirer une recommandation écrite pour qu’un détenu soit immédiatement hospitalisé pour être soigné.
Le Professeur Reches avait promis de mener une enquête. Cependant, le mois dernier, les deux organisations pour les droits humains lui ont reproché de ne pas avoir enquêté sur leurs allégations, l’accusant de n’avoir eu que des conversations « amicales et non officielles » au téléphone avec quelques-uns des médecins concernés.
« Nous avons envoyé à l’AMI de nombreux témoignages de victimes de torture qui avaient été dirigées vers des médecins pour être traitées, » indique le Dr Menuchin.
« Mais l’AMI n’a encore rien fait à ce sujet.
« Un nombre important de médecins en Israël, dans les centres de détentions et dans les hôpitaux publics, savent que la torture est pratiquée, mais ils préfèrent détourner les yeux. »
Ce mois-ci, ’Defence for Children International’ a publié un rapport sur la torture sur les enfants palestiniens, notant que dans plusieurs des cas cités par le groupe, les médecins israéliens ont fermé les yeux. Un garçon de 14 ans qui a été frappé à maintes reprises sur son bras cassé l’a signalé à un médecin qui, dit l’enfant, lui a seulement répondu : « Je n’ai rien à voir avec ça. »
Le rapport indique que le groupe « n’a pas rencontré un seul cas où un adulte en position d’autorité, tel qu’un soldat, un médecin, un officier de justice ou du personnel pénitentiaire, est intervenu au nom d’un enfant qui avait été maltraité. »
Ceux qui mènent campagne contre la nomination du Dr Blachar au poste de directeur de la AMM disent que l’inaction de son association/sœur israélienne (AMI) à propos de la torture n’est pas surprenante étant donné la position publique de son président.
Derek Summerfield, de l’’Institut de psychiatrie’ au Royal Collège de Londres, a déclaré : « L’AMI sous le Dr Blachar est de connivence avec la politique de torture de l’Etat israélien. Son rôle est d’adoucir le visage de l’occupation. »
Le Dr Blachar a déclaré au site israélien Ynet, la semaine dernière, que de telles critiques étaient « diffamatoires », disant que lui et l’AMI avaient dénoncé toutes les formes de torture.
L’AMM, avec neuf millions de membres dans plus de 80 pays, a été créée en 1947 en réaction aux mauvais traitements autorisés par les médecins allemands et japonais durant la Seconde Guerre mondiale.
En 2007, l’assemblée générale de l’AMM a appelé les médecins à apporter des informations sur tous les cas où l’on soupçonne l’usage de la torture et à les signaler.
Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books).
Son site : http://www.jkcook.net/
Nazareth, Israël, le 29 juin 2009 - J. Cook - traduction : JPP