Yotam Feldman et Uri Blau
Chaque semaine, une dizaine d’officiers du Bureau israélien de Coordination des Activités du Gouvernement dans les Territoires occupés (COGAT) se réunissent dans le bâtiment Templer du ministère de la défense à Tel Aviv, pour décider quels produits alimentaires apparaîtront sur les tables des 1,5 millions d’habitants de la bande de Gaza../.. Ces officiers ont, par exemple, décidé que les kakis, les bananes et les pommes étaient vitaux pour la subsistance de base et donc autorisés à entrer dans Gaza, alors que les abricots, les prunes, le raisin et les avocats étaient des produits de luxe non autorisables. Durant les dernières années, ces officiers ont été responsables de l’interdiction d’entrée dans la bande de Gaza de viande en boîte, sauce tomate, vêtements, chaussures et carnets de notes. Tous ces articles sont stockés dans les entrepôts géants loués par les fournisseurs israéliens près du point de passage de Kerem Shalom, en attendant un changement de politique.
“Notre politique n’est pas fixée mais sujette en permanence à des changements“, explique un officiel du COGAT. Ainsi, il y a environ deux mois, les officiels du COGAT ont autorisé l’entrée des citrouilles et des carottes, inversant une interdiction qui durait depuis de nombreux mois. L’entrée de “friandises“ telles que cerises, kiwis, amandes, grenades et chocolat est formellement interdite. De même que le halva, la plupart du temps. Selon des sources impliquées dans les activités du COGAT, les responsables au plus haut niveau, y compris le coordonnateur par intérim, Amos Gilad, surveillent quotidiennement la nourriture qui entre à Gaza et approuvent personnellement l’entrée de chaque variété de fruit, légume ou nourriture transformée demandée par les Palestiniens. Au cours d’une réunion, le colonel Oded Iterman, officier au COGAT, a expliqué comme suit leur politique : “ Nous ne voulons pas que les ravisseurs de Gilad Shalit se gavent de bamba (une nourriture rapide prisée en Israël) au-dessus de sa tête.“ ../..
Le document intitulé “ Lignes rouges“ explique : “ afin de rendre possibles les conditions de base de la vie à Gaza, le ministre adjoint de la défense a autorisé l’entrée dans la bande de Gaza de 106 camions de denrées humanitaires dont 77 d’aliments de base../..“ Après quatre pages remplies de tableaux détaillés sur le nombre de grammes et de calories autorisés à la consommation pour les résidents de Gaza (décomposés selon le genre et l’âge), vient cette recommandation : “ il est nécessaire de négocier avec la communauté internationale et le Ministère de la Santé palestinien pour fournir des suppléments nutritionnels (seule une partie de la farine à Gaza est enrichie) et une éducation pour une nutrition correcte.“ Imprimé en grosses lettres à la fin du document, figure cet avertissement : “ La stabilité de l’effort humanitaire est essentielle pour la prévention du développement de la malnutrition.“
Ces quantités permettent une très faible marge d’erreur ou d’incident. De plus, l’analyse du COGAT n’est exacte qu’à condition d’un partage égal des quantités minimum autorisées. “ Cette analyse ne prend pas en considération la distribution sur le terrain“ précise le document “Lignes rouges“../.. Si certains reçoivent plus, d’autres recevront nécessairement moins que le minimum requis. Il est donc difficile de concilier cette information avec les déclarations du ministre de la défense et des officiers du COGAT, selon lesquelles il n’y a pas de réelle pénurie alimentaire à Gaza.
Lors de leurs rencontres avec des officiels des organisations internationales, les officiers israéliens répètent cette phrase : “pas de prospérité, pas de développement, pas de crise humanitaire.“ Un officier supérieur du COGAT explique à Haaretz que ce n’est pas une politique de siège, mais plutôt la restriction de l’entrée des produits de luxe. Le choix des produits qualifiés “de luxe“ change de semaine en semaine et parfois de jour en jour.
Certains de ces changements sont le résultat de pressions internationales. Par exemple, durant sa visite de Gaza en février dernier, le sénateur US John Kerry fut stupéfait de découvrir qu’Israël n’autorisait pas les Palestiniens à faire entrer des camions de pâtes. A la suite de pressions américaines, le 20 mars, le cabinet israélien décidait d’autoriser le transfert sans restrictions de produits alimentaires. Mais, fait incroyable, le personnel du COGAT ne voit aucune contradiction entre cette décision et les importantes restrictions qui continuent néanmoins d’être imposées à l’entrée de nourriture../..
... Depuis le début du blocus, aucune liste des articles autorisés et interdits n’a été communiquée à la partie palestinienne. Le porte parole du DCO ( district coordination office) dit qu’une telle liste n’existe pas et que “les Palestiniens savent ce qui est autorisé.“
“Si on se reporte 2 ans en arrière, on se rend compte que c’était de la folie pure“ dit un officier supérieur qui servait au COGAT quand le blocus fut imposé. “Il y avait une politique vague, peu claire, influencée par les intérêts de certains groupes, par tel ou tel lobby, sans rapport avec les besoins de la population. Par exemple, les producteurs de fruits ont un lobby puissant qui pouvait faire en sorte que, certains jours, 20 à 25 camions de fruits entrent à Gaza../.. Ce n’était pas ce dont les Gazans avaient besoin, mais les intérêts israéliens prenaient le pas sur les besoins de la population../..
Les auteurs citent un producteur et transporteur de fruits (Avshalom Herzog) : “… il est clair comme le jour que celui qui détermine la nature des chargements de fruits est le directeur de l’organisation des producteurs en lien avec un officier chargé de l’agriculture au DCO de Gaza. Aujourd’hui, on peut faire entrer des pêches, bananes, pommes dates. Les kumquats étaient autorisés jusqu’à hier, mais il n’y a ni prunes, ni citrouilles, ni melon ni oignon. C’est simplement incroyable.“
Autre citation du ministre adjoint de la défense Vilnai après avoir décidé de faire entrer 3 camions de melons par semaine : “ pour éviter la chute du marché en Israël.“
Selon un autre document de la fin avril signé par un adjoint de Vilnai : “ la politique d’Israël aux points d’entrée répond à diverses considérations… des considérations économiques, y compris la filière agricole, sont à la base de cette politique.“
Meir Yifrah, secrétaire de l’organisation des producteurs de légumes, essaie aussi d’influencer le COGAT et le ministère de la défense. “Une fois par mois, j’envoie un texto au ministre de l’agriculture Simhon Shalom pour l’informer que la situation du marché est tendue, les producteurs ont besoin d’envoyer leurs produits à Gaza, voyez cz que vous pouvez faire avec le ministre de la défense… Il me semble bizarre que la citrouille soit définie comme un produit de luxe. On l’utilise plus pour nourrir les animaux que les personnes… L’an dernier, nous étions en mauvaise situation avec les oignons, beaucoup de producteurs étaient encombrés de stocks. Nous avons fait pression sur le ministère de l’agriculture et ils ont augmenté le quota d’oignons de 5 à 8 camions..
Le ministère de l’agriculture déclare qu’il se soucie aussi des intérêts des Palestiniens : “ quand une décision doit être prise sur le type de produits à autoriser, le ministère prend en considération les besoins des Palestiniens, la capacité à y faire face et les intérêts des producteurs israéliens, et spécialement le consommateur israélien, de façon à maintenir des prix raisonnables sur le marché local…“
Le document “Lignes rouges“ .../.. précise que les Gazans ont besoin pour se nourrir de 300 veaux par semaine, 200 de moins qu’avant le blocus. Néanmoins, pendant les six derniers mois depuis l’opération “Cast lead“ Israël n’a autorisé l’entrée d’aucun veau vivant, seulement de la viande et du poisson congelés. Pendant la période précédant la guerre où l’importation de veaux était encore autorisée, elle était limitée aux veaux venant d’Israël et non d’autres pays comme auparavant. Eyal Erlich –un importateur qui vendait 50 000 veaux par an en provenance d’Australie- pense que le ministre de l’agriculture… a exploité la situation pour contraindre le marché local à acheter israélien, et ainsi favoriser les éleveurs locaux. .....
La suite de l’article évoque les transitaires, les pots de vin, la revente d’autorisations etc.
article complet publié par Haaretz