Othman, 15 ans, est assis en haut d'un escalier étroit sur le perron de la maison de sa famille, dans la Vieille Ville, à Jérusalem. Il ne sourit ou rit presque jamais, et il ne parle pas beaucoup. Il est en résidence surveillée depuis 11 mois, période pendant laquelle il n'a pu quitter la maison que de temps en temps avec sa mère ou son père. Récemment, il a eu l'autorisation d'aller à l'école accompagné par un parent. "Ça aide. Un peu," dit-il.
Othman a été arrêté à 14 ans, avec son frère Obaid qui avait alors 16 ans, le 25 novembre 2013. Des soldats israéliens ont surgi chez eux à l'aube et ont emmené les deux garçons au centre de détention Mascobiyya, où ils ont été interrogés. Obaid est toujours en détention ; les deux jeunes ne se sont pas vus depuis leur arrestation.
Le père des adolescents dit qu'il n'avait pas réalisé à quel point l'interrogatoire avait été traumatisant pour son plus jeune fils. "Il n'en a pas parlé au début, donc nous ne savions pas. Ce n'est que quelques mois plus tard que nous avons découvert que les enquêteurs avaient été physiquement violents, et l'avaient menacé de le violer. Il était seul, donc personne ne savait combien cela avait été dur."
Othman n'est pas le seul dans son cas. Selon le groupe de défense des droits des prisonniers palestiniens Addameer, une vague d'interrogatoires suivis d'assignations à résidence a été enregistrée au cours de l'été, tous impliquant des enfants de Jérusalem-Est et de la Vieille Ville. Entre juin et septembre 2014, au moins 16 enfants ont été assignés à résidence pour des périodes allant d'une à trois semaines. La plupart d'entre eux sont des adolescents, mais le plus jeune a seulement 12 ans.
Alors que la plupart des assignations durent un temps relativement court, certaines, comme celle d'Othman, dure plusieurs mois. Quand un enfant est en résidence surveillée, sa famille est soumise à deux visites quotidiennes des soldats israéliens, à n'importe quelle heure du jour, pour vérifier que l'enfant est bien à la maison. La situation peut avoir un impact grave sur la santé mentale de l'enfant.
"Plus l'assignation à résidence dure, plus l'impact psychologique est important," dit Hassan Faraj, un psychologue qui travaille avec l'ONG Médecins sans Frontières. "La famille est obligée de jouer en même temps le rôle de gardiens de prison et de parents. Cela engendre une situation très difficile." En plus, dit Faraj, "l'enfant et sa famille sont dans un état d'alerte permanent parce qu'ils ne savent pas quand la police va arriver chez eux."
Dans les cas documentés par DCI-Palestine, l'utilisation de l'assignation à résidence n'est pas reliée à l'exécution d'une peine quelconque : les enfants n'ont pas été officiellement inculpés d'une infraction. Ils sont remis en liberté à condition qu'ils acceptent de rester en résidence surveillée avant le procès. Cela a aussi des conséquences pour la scolarité d'un enfant. "Souvent, l'assignation à résidence conduit à un décrochage scolaire de l'enfant soit à cause du choc dû aux interrogatoires, soit en raison d'une perte de la concentration ou de forts sentiments d'anxiété liés à la période d'assignation à résidence," dit Faraj.
Le cas d'Othman est typique : les autorités israéliennes l'ont d'abord arrêté et l'ont interrogé sur des soupçons de jets de pierres, puis elles l'ont détenu pendant un mois avant qu'il soit traduit devant le tribunal. Là il a été libéré à condition qu'il reste en résidence surveillée pendant que d'autres accusations étaient portées contre lui.
Ces assignations à résidence sont survenues dans le contexte d'une répression intense des forces israéliennes contre les jeunes palestiniens àJérusalem-Est suite au meurtre de trois jeunes colons israéliens en juin, et le meurtre ultérieur de vengeance de Mohammad Abu Khdeir, jeune Palestinien de 16 ans. En septembre, Ha'aretz a rapporté que des centaines d'enfants de Jérusalem-Est avaient été arrêtés au cours des mois précédents, et nombre d'entre eux emprisonnés pendant de longues périodes sur des accusations mineures.
Les confrontations entre les résidents de Jérusalem-Est et les forces israéliennes ont encore augmenté pendant l'offensive militaire d'Israël sur la Bande de Gaza en juillet et août. L'attaque a tué plus de 2.000 Palestiniens, dont 480 enfants, selon les chiffres de DCI-Palestine.
Bien qu'un cessez-le-feu a été conclu le 26 août, l'atmosphère à Jérusalem-Est est restée tendue, exacerbée par une amplification de la présence et de la brutalité des forces israéliennes.
Les résidents de Jérusalem-Est accusent également les forces israéliennes de rechercher le conflit. Le 24 septembre 2014, l'école Aytam, dans la vieille ville, a été attaquée par des soldats israéliens, qui ont prétendu que les collégiens lançaient des pierres par les fenêtres de l'école : une accusation niée avec véhémence par le directeur de l'école, Munther al-Natsheh. "Les fenêtres par lesquelles les étudiants jetaient soi-disant des pierres, selon les policiers israéliens, sont en fait fermées par des moucharabiehs, au travers desquels vous ne pouvez rien jeter," dit-il.
Al-Natsheh indique également que, dès réception d'un avertissement des forces israéliennes, les écoliers ont été déplacés de ces salles de classe pour empêcher tout affrontement potentiel. Trois garçons, de 5ème et 6ème, ont été blessés par des balles caoutchouc-acier dans l'attaque.
Ce type de violence, ainsi que des cas comme celui d'Othman, souligne un mépris institutionnalisé pour les droits des enfants au sein de l'armée israélienne, qui bafoue les normes internationales de la justice pour les mineurs. Le droit international exige que dans toutes les actions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. Les normes internationales de la justice pour les mineurs exigent également que les enfants ne soient privés de leur liberté qu'en dernier ressort et pour la période la plus courte possible.
En signant la Convention des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant en 1991, Israël s'est astreint à mettre en œuvre ces normes internationalement reconnues. Même si l'assignation à résidence est préférable à la détention préventive selon le droit international, elle peut encore donner lieu à des violations du droit à l'éducation d'un enfant et être contre l'intérêt supérieur de l'enfant.
Les tactiques des forces israéliennes qui consistent à utiliser l'assignation à résidence prolongée pour restreindre les mouvements d'un enfant ont eu un impact direct sur les vies de garçons comme Othman, qui reste en résidence surveillée en attendant son procès. Interrogé sur ce que pourrait être l'issue de celui-ci, il reste silencieux.
Source : DCI-International
Traduction : MR pour ISM