À Gaza et 
dans les médias, les jours se suivent et se ressemblent. Mornes, 
tristes, mortifères et désespérants. L’auteur de ces lignes revient d’un
 long périple en ex-Yougoslavie. Des belligérants de cette guerre civile
 ayant ensanglanté les Balkans à la fin du siècle dernier, j’ai entendu 
les doléances respectives. Certes, les Serbes orthodoxes ont causé plus 
de dégâts que les autres factions en présence ; logique : l’armée 
yougoslave était composée à plus de 70 % de Serbes orthodoxes, tandis 
que les Croates catholiques combattaient, coude à coude, avec leurs 
alliés Bosniaques musulmans, juste avant qu’une alliance de fortune, 
unissant orthodoxes et catholiques, ait décidé de dépecer la Bosnie 
musulmane. Ce retournement fut opérant à Mostar, ville dont le fameux 
pont – reconstruit depuis –, a été détruit par les catholiques. À 
Sarajevo, en revanche, là où durant un siège ayant duré plus de trois 
ans, catholiques, musulmans, ortodoxes, juifs et tziganes, tinrent bon 
leurs positions. Ils ne se battaient pas pour telle ou telle 
confession ; juste pour défendre femmes et enfants, maisons ayant vu 
naître leurs ancêtres et ville naguère modèle de pacifique coexistence 
religieuse. Au début, privés d’armes, ils se sont défendus, avec des 
couteaux, les autres avec des pistolets antiques remontant à la Première
 guerre mondiale. Le retournement d’alliance plus haut évoqué n’eut 
guère d’influence sur la cohésion de cette ville pas tout à fait comme 
les autres. Aujourd’hui, il y a moins de chrétiens à Sarajevo 
qu’autrefois, mais toujours assez pour que les cloches des églises 
viennent sonner entre deux appels de muezzins. 
À Gaza, le phénomène se répète, telle la 
réplique d’un tremblement de terre : ville assiégée et privée de tout ; 
toutes confessions confondues, une fois de plus, sachant qu’une bombe 
israélienne ne fait pas de différence entre un enfant chrétien et un 
nourrisson musulman. Construction de tunnels permettant de faire passer 
l’essentiel : nourriture pour survivre et armes pour se défendre… après,
 les violences… Insupportable aux yeux d’observateurs “occidentaux” pour
 lesquels “droits de l’homme” et “démocratie” font figure de religion 
ultime, à répandre de gré ou de force sur notre vaste monde : sorte 
d’EIIL à l’occidentale…  Comme quoi il puisse arriver que diverses 
tyrannies religieuses à prétentions eschatologiques puissent entretenir 
d’étroits et consanguins cousinages.
D’autres assiégés, d’autres victimes de 
cette même idéologie viennent de voler, de manière inattendue mais 
finalement assez logique, au secours des martyrs de Gaza : les Indiens 
des USA. Comparaison n’est certes pas raison, mais comment de pas 
comprendre que ces Amérindiens soient de plus en plus nombreux à 
ressentir de l’empathie pour le peuple palestinien et à établir un 
parallèle troublant entre ce qui est arrivé aux peuples natifs 
d’Amérique du Nord et aux Palestiniens du Levant.
Ainsi, l’Association des études des peuples
 indigènes américains s’est rendue célèbre en décembre 2013 pour avoir 
été un des trois groupes académiques d’Amérique du Nord à soutenir la 
campagne palestinienne pour un boycott académique et culturel d’Israël.
En janvier 2013, le Jérusalem Post a publié 
un article intitulé : « Les Amérindiens se retournent-ils contre Israël 
? »À la base de cet article, cette simple anecdote : « Joy Harjo, la 
diva poétesse et musicienne appartenant à la nation MuscogeeCreek, avait
 suscité une « tempête de protestation en annonçant sur Facebook qu’elle
 partait se produire en Israël. »Mais l’article qui explique le mieux 
l’ampleur de ce front inattendu demeure celui de Gyasi Ross, autre 
leader historique des premiers habitants de l’Amérique, en ces termes 
intitulé : “Pourquoi moi, un Amérindien, je soutiens le peuple 
palestinien. »
Ainsi : « En tant que membre du peuple 
autochtone de ce pays, je suis arrivé à la conclusion que je dois 
soutenir les Palestiniens et leur lutte pour un état palestinien 
autonome. Même si beaucoup pensent que ce qui relie les Indiens 
américains et les Palestiniens est le fait d’être des “peuples 
autochtones déplacés,” ce n’est pas la raison pour laquelle je me sens 
proche des Palestiniens. Ce qui suscite chez moi un sentiment de 
fraternité pour mes frères et sœurs de Gaza et de Cisjordanie, c’est un 
sentiment beaucoup plus primaire et viscéral : la peur ; une peur qui 
vient de la prise de conscience que ce qui arrive à un groupe d’opprimés
 va inévitablement arriver à d’autres. (…) Les peuples indigènes, comme 
d’autres groupes opprimés dans le monde sans distinction de race ou de 
religion, ont grandement intérêt à tirer les leçons des atrocités 
génocidaires commises par le gouvernement d’Amérique du Nord contre les 
peuples natifs d’Amérique. Tous ceux qui défendent l’humanité doivent 
aussi œuvrer à empêcher ces mêmes atrocités de se reproduire ailleurs, à
 une autre époque, contre d’autres peuples, et dans le cas présent 
contre les Palestiniens. » 
Gyasi Ross n’est ni chrétien ni musulman. 
C’est un adepte des religions naturelles, religions ayant précédé celles
 des Révélations, mais qu’il convient aussi de préserver, tel un trésor,
 puisque nous en disant beaucoup sur ce que nous fûmes, avant de 
rejoindre la foi d’Abraham.
Et le meilleur pour la fin : 
« Les Palestiniens, comme les Amérindiens 
sont prisonniers sur leur propre terre. Eux non plus n’ont nulle part où
 aller, personne ne veut les accueillir. Le Liban, la Syrie et l’Egypte 
se sont tous montrés insensibles aux épreuves des Palestiniens et ils 
les ont utilisés comme des pions contre Israël. Les Palestiniens, comme 
les Amérindiens, n’ont d’autre alternative que de continuer à être une 
épine dans le pied de ces gouvernements à la fois apathiques et 
oppressifs qui sont arrivés au pouvoir par tous les moyens. »
Dans le même temps, l’Occident ayant perdu 
ce qui lui demeurait d’honneur dans cette affaire, il fallait bien que 
la fierté de la France puisse être un brin sauvé. Ce qui fut fait par la
 bouche de Dominique de Villepin, ancien Premier ministre de Jacques 
Chirac et surtout, ministre français des Affaires étrangères qui, en 
2003, sut dire « Non » aux USA, à l’approche de la Seconde guerre du 
Golfe : « Par soumission à la voix du plus fort, la voix de la France 
s’est tue, celle qui faisait parler le général de Gaulle au lendemain de
 la guerre des Six jours, celle qui faisait parler Jacques Chirac après 
la deuxième Intifada. Comment comprendre aujourd’hui que la France 
appelle à la “retenue” quand on tue des enfants en connaissance de cause
 ? Comment comprendre que la première réaction de la France, par la voix
 de son président, soit celle du soutien sans réserve à la politique de 
sécurité d’Israël ? Oui, il y a une terreur en Palestine et en 
Cisjordanie, une terreur organisée et méthodique appliquée par les 
forces armées israéliennes, comme en ont témoigné de nombreux officiers 
et soldats israéliens écœurés par le rôle qu’on leur a fait jouer.»
Ite Missa Est, comme disent nos frères 
catholiques. Sitting Bull et Yasser Arafat ne sont plus ; leur esprit 
demeure, nonobstant, alliance du Sioux et du Palestinien. Alternative au
 Moloch des temps modernes ? Pourquoi pas…
 
 
