Le danger pour le mouvements islamiques qui n’adhèrent pas à
une idéologie extrémiste, c’est qu’ils ne sont pas faciles à rejeter
comme « extrémistes », « terroristes », etc. En fait, ils semblent
quelquefois plus enclins à jouer le jeu démocratique que des mouvements
arabes auto-proclamés « laïques », « libéraux », et « socialistes ».
- Des Palestiniens brandissent leurs drapeaux lors d’une manifestation de solidarité avec les habitants de Gaza, à Hébron, Cisjordanie, le 22 août dernier - Photo : AA
Que l’on pose la question à n’importe quel dirigeant arabe, il vous racontera les grands sacrifices que son pays a consentis pour la Palestine et les Palestiniens ; pourtant la réalité de l’Histoire comme celle du présent sont des témoignages, non seulement de l’échec arabe à jouer le rôle attendu d’eux et à rester solidaires de leurs propres frères opprimés, mais aussi de la trahison arabe officielle de la cause palestinienne.
La guerre actuelle menée contre Gaza et le rôle douteux joué par l’Égypte dans les pourparlers de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël sont des cas d’espèce.
Lisez ces commentaires d’Aaron David Miller, un universitaire du Wilson Centre à Washington, pour apprécier la profondeur de l’indubitable trahison arabe : « Je n’ai jamais vu une situation comme celle-ci, où on a tant d’états arabes qui acquiescent à la mort et à la destruction de Gaza et à la rossée infligée au Hamas » dit Miller dans le New York Times. « Le silence est assourdissant ! ».
Miller explique le silence arabe en relation avec leur exécration de l’Islam politique qui a pris de l’importance suite au « printemps arabe ». Cette montée avait vu l’arrivée aux centres du pouvoir de mouvements comme les Frères Musulmans en Égypte et al-Nahda en Tunisie. Le « printemps arabe » a défié et gêné, au moins temporairement, l’hégémonie du pouvoir corrompu des élites pro-occidentales, déchaînant les énergies des sociétés civiles qui avaient été historiquement marginalisées.
L’Islam politique, en particulier celui qui adhère à une idéologie islamique modérée et qui est connu sous l’appellation d’al-Wasatiyyah (grossièrement traduite par « modération »), a engrangé les votes dans plusieurs élections démocratiques. Comme la victoire du Hamas aux élections palestiniennes de 2006, d’autres mouvements islamiques en ont fait autant dès que le « printemps arabe » eut ouvert une petite marge pour la démocratie et la liberté d’expression.
Le danger pour les mouvements islamiques qui n’adhèrent pas à une idéologie extrémiste comme celle de l’État Islamique (EI) et d’al-Qaeda, par exemple, c’est qu’ils ne sont pas faciles à rejeter comme « extrémistes », « terroristes » etc. En fait, ils semblent quelquefois plus enclins à jouer le jeu démocratique que des mouvements arabes auto-proclamés « laïques », « libéraux », et « socialistes ».
La récente guerre contre Gaza, lancée le 7 juillet, est arrivée à un moment où l’Islam politique avait été rejeté en Égypte et criminalisé dans d’autres pays arabes. C’était la première grande attaque militaire d’Israël contre Gaza depuis le renversement du Président démocratiquement élu des Frères Musulmans, Mohammed Morsi, le 3 juillet 2013.
Bien qu’en quelques jours la guerre d’Israël se soit muée en un génocide (avec des milliers de tués, de blessés et près d’un quart de la population de Gaza laissée sans abri), la plupart des pays arabes sont restés à peu près silencieux. Ils ont lâché quelques condamnations au hasard, qui ne signifiaient pas grand-chose.
L’Égypte, elle, est même allée plus loin. Peu après le début de l’opération Bordure Protectrice, l’Égypte proposait un cessez-le- feu des plus suspects, que même le Times a trouvé bizarre. « Le gouvernement du Caire a surpris le Hamas en proposant publiquement un accord de cessez-le-feu qui répondait à la plupart des demandes d’Israël et à aucune de celles du groupe palestinien (Hamas) » écrivait David Kirkpatrick le 30 juillet.
Le Hamas, la principale partie palestinienne du conflit, que le gouvernement égyptien qualifie lui aussi de « terroriste », n’avait pas été consulté et n’a eu connaissance de la proposition qu’à travers les médias.
Mais bien sûr Netanyahou a accueilli favorablement la proposition égyptienne ; Mahmoud Abbas, le Président de l’AP, principal rival du Hamas et ferme opposant à la résistance armée (et sans doute à toute résistance palestinienne, en réalité), a salué le geste « fraternel » de l’Égypte ; d’autres dirigeants arabes se sont bousculés pour faire l’éloge de l’égyptien Abdul Fatah al-Sisi pour l’habileté de son leadership régional.
Il va de soi que tout cet exercice était une farce destinée en fin de compte à pouvoir accuser le Hamas et la résistance à Gaza de refuser de mettre fin au conflit (qu’ils n’avaient pas commencé et dont ils étaient les premières victimes), et à soutenir Sisi comme la nouvelle icône de la paix et de la modération dans la région. Le genre « d’homme fort » avec qui les États-Unis adorent faire des affaires.
Tout a échoué, bien sûr, pour une seule et unique raison : la résistance gazaouie a tenu bon, causant de sérieuses pertes militaires à Israël et suscitant sympathie et respect dans le monde entier.
Mais les gouvernements arabes traditionnels, eux, n’ont manifesté aucun respect, même ceux qui louent la légendaire ténacité - le sumoud - du peuple palestinien à chaque occasion, discours et sermon. Le succès renouvelé du Hamas, qui s’était quelque peu fait oublier après le renversement des Frères musulmans en Égypte et la rupture des liens avec Damas et Téhéran, a déconcerté et grandement frustré ces gouvernements.
Si le Hamas survit à la bataille de Gaza, la résistance va promouvoir son endurance face à l’armée dite la plus forte du Moyen-Orient comme étant une victoire. Netanyahou en subira les terribles conséquences chez lui. Les liens entre le Hamas et l’Iran pourraient être renoués. Le « camp de la résistance » pourrait en être revivifié. La victoire morale de la Fraternité et la défaite morale de Sisi (et du rôle régional qu’il cherche à jouer) seraient stupéfiantes.
Une sorte d’alliance s’est créée entre plusieurs pays arabes et Israël pour assurer le trépas de la résistance à Gaza – pas seulement de la résistance comme idée, et ses expressions pratiques, mais aussi ses manifestations politiques, lesquelles sont ressenties loin au-delà des confins de l’enclave assiégée.
Martin Indyk, l’ancien lobbyiste d’Israël et actuel vice-président du think tank ’Brooking Institution’ à Washington, a une explication : « Il y a alignement d’intérêts entre des nations qui ne sont pas alliées mais qui ont des adversaires communs » a dit Indyk sur Bloomberg TV. « Comme elles voient que les États-Unis sont moins engagés qu’auparavant, il est naturel qu’elle regardent l’une vers l’autre – discrètement, sous la table à beaucoup d’égards – pour trouver un moyen de s’aider l’une l’autre. »
Naturellement, la dernière session des pourparlers de cessez-le-feu au Caire a échoué parce que la partie qui accueille les pourparlers considère le Hamas comme « terroriste » et détesterait un scénario où Gaza l’emporterait sur Israël. Si la demande de la résistance, la levée du siège, est satisfaite, en particulier la demande de réactivation du port de mer et de l’aéroport de Gaza, l’Égypte serait privée d’un levier majeur contre à la fois le Hamas, la résistance et le peuple palestinien.
Et si la résistance gagne – en tenant l’armée israélienne à distance et en obtenant satisfaction pour certaines de ses demandes – le discours politique du Moyen-Orient a des chances de changer simultanément, et le faible osera, une fois encore, affronter le fort, en exigeant des réformes, la démocratie et en promouvant une résistance menaçante comme un moyen réaliste de parvenir à ces objectifs.
Fait intéressant, la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006 avait ravivé la possibilité qu’un Islam politique concrétise ses objectifs par les urnes, et ceci devint la marque de la montée de l’Islam politique dans toute la région à la suite du « printemps arabe ».
Toute victoire pour la résistance palestinienne peut aussi être considérée comme dangereuse pour ceux qui veulent maintenir le statu quo dans la région. Certains dirigeants arabes continuent à déclarer leur ferme soutien à la Palestine et à sa cause. Toutefois l’opération Bordure Protectrice a montré indubitablement qu’une telle solidarité n’est que vaines paroles et que, discrètement, certains arabes souhaitent voir Israël écraser tout semblant de résistance palestinienne, à Gaza et ailleurs.
* Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM