Audrey DESTOUCHES
TÉMOIGNAGE
En poste à Gaza depuis le début de l'opération israélienne «bordure protectrice», le 8 juillet dernier, le photographe de l'AFP Thomas Coex décrit les conditions extrêmes dans lesquelles les journalistes couvrent ce conflit.
En poste à Gaza depuis le début de l'opération israélienne «bordure protectrice», le 8 juillet dernier, le photographe de l'AFP Thomas Coex décrit les conditions extrêmes dans lesquelles les journalistes couvrent ce conflit.
«Nous sommes issus de pays différents mais tout le monde partage ce
sentiment de peur», explique Thomas Coex à propos de ses collègues
journalistes à Gaza. Bien qu'il soit conscient de bénéficier d'un
certain confort dans sa chambre d'hôtel, il raconte que personne ne se
sent en sécurité nulle part dans l'enclave palestinienne. «Il n'y a
aucun endroit dans la bande de Gaza où nous soyons sûrs qu'aucun missile
ne sera tiré», explique-t-il, se remémorant la mort de quatre enfants,
tués par un missile alors qu'ils jouaient sur la plage, à cent mètres à
peine de l'hôtel des journalistes étrangers.
Il ne reste plus que des villes fantômes à Gaza. Toutes les rues
sont vides et cela complique considérablement les déplacements : «le
moindre véhicule qui circule – qu’il porte le badge télé ou non – est
immédiatement repéré par les drones israéliens et devient une cible
potentielle», explique le journaliste. Difficile, en effet, de couvrir
pleinement un conflit sans pouvoir se déplacer. «Même en circulant à
bord de la voiture blindée de l’AFP nous prenons des risques. Si un
missile lui tombe dessus, elle s’ouvre comme une boîte de conserve»,
ajoute-t-il. Face aux armes lourdes utilisées, obus et mortiers, les
gilets pare-balles que portent les reporters sont bien dérisoires.
«Même un cimetière n'est pas une zone sûre»
Thomas Coex confirme que «chaque partie a sa vision du conflit».
Tsahal ayant renforcé la sécurité à la frontière avec Gaza, impossible
désormais pour les journalistes de photographier les soldats israéliens
depuis l'intérieur du territoire : «Il faudrait s’approcher des chars
pour les photographier mais on est sûrs de ne pas revenir». De l'autre
côté, les journalistes israéliens sont confrontés au même problème. Ils
voient de loin des maisons exploser mais jamais aucun habitant de
l'enclave. «On ne peut pas tout voir», déplore le journaliste, qui
explique qu'il est impossible de parcourir les vingt kilomètres qui
séparent la ville de Gaza de Rafah, à la frontière égyptienne.
Ensemble, les journalistes étrangers qui couvrent le conflit se
sont fixés quelques règles. Ils s'interdisent de sortir la nuit «quoi
qu'il arrive» et ils ne restent jamais trop longtemps au même endroit
pour minimiser les risques. A Beit Lahia, lorsqu'une famille entière a
péri dans un bombardement, Thomas Coex s'est rendu sur place pour
photographier les funérailles, le lendemain. Tandis que les proches de
la famille marchaient de la mosquée au cimetière en portant les corps,
des bombardements ont éclaté tout autour. «Même un cimetière n’est pas
une zone sûre. Nous avons fait quelques images mais nous n'avons pas
traîné : un obus tombait toutes les 3 secondes dans la zone.»
«Le Hamas n’a pas de stratégie médiatique, Israël s’en charge»
Dans ce conflit, le manque d’images représentant les combattants du
Hamas donne trop souvent l’impression que cette guerre oppose
uniquement des civils palestiniens à des soldats israéliens. «Ils ont
disparu», remarque le photographe qui vient régulièrement à Gaza depuis
quelques années, «soit il se mêlent à la population, soit ils se terrent
dans les tunnels, je ne sais pas, mais on ne les voit pas». Depuis le 8
juillet, Thomas Coex ne les a vus qu'une seule fois pendant une trêve
de deux heures. Armés et masqués, ils patrouillaient à plusieurs dans le
quartier et les journalistes ont rapidement pris la poudre
d'escampette. «On ne peut pas rester dans les parages quand ils sont là :
la zone a été bombardée juste après.»
Thomas Coex n'a jamais subi aucune pression de la part du Hamas. En
revanche, un de ses collègues s'est fait sermonner jusque dans sa
chambre d'hôtel car il avait photographié un membre important du Hamas
sans son masque. «Ils l'ont menacé et lui ont dit de foutre le camp mais
quarante-huit heures plus tard, ils sont revenus s'excuser et lui ont
dit qu'il était le bienvenu !» raconte-t-il, sans pouvoir expliquer ce
revirement.
Pour Patrick Baz, responsable photo de l'AFP au Moyen-Orient, le
fait que les militants du Hamas soient quasiment invisibles depuis le
début du conflit n'est pas une nouveauté. «C’est exactement la même
stratégie que celle utilisée par le Hezbollah en 2006 dans le conflit
avec Israël. Le Hamas procédait déjà ainsi en 2009 et en 20121»,
rappelle-t-il. Plus qu'une réelle stratégie médiatique, il parle plutôt
d'une stratégie militaire : «le Hamas n'a pas besoin de stratégie
médiatique, Israël s'en charge en bombardant des zones résidentielles
dans des frappes qui n'ont rien de chirurgical.»
Sur la dangerosité de couvrir ce conflit depuis Gaza, Patrick Baz
est catégorique : «C’est du journalisme kamikaze de photographier ce
conflit». Et d'ajouter que, si les journalistes ne respectent pas
rigoureusement certaines règles de sécurité, «les chances de revenir
vivant pour un photographe sont d’une sur cent».