Traditionnellement,
la capitale du Septième art est plutôt frileuse, politiquement
s’entend. Enfin, frileuse, tout dépend de quoi et de qui. Là-bas, le
“méchant” y est traditionnellement français, ou russe, ou arabe et/ou
musulman – pas toujours dans cet ordre, mais il y a de ça. Petit détail,
le “méchant” fume ; ce qui tombe bien, le Français, le Russe, l’Arabe
et le musulman ayant le droit de tirer sur l’herbe à Nicot
De temps à autres, il arrive pourtant que
le microcosme hollywoodien puisse se risquer à penser hors des clous.
Des fois, cela tourne mal, voyez le film, La Passion du Christ, de Mel
Gibson, qui a obligé ce dernier à prendre une retraite anticipée pour de
très fumeuses accusations « d’antisémitisme ». Là, devant le
cataclysmegazaoui, il fallait bien que quelques voix se lèvent. Elles le
firent, peu nombreuses et, surtout, pas n’importe lesquelles.
Ainsi, de manière assez logique, c’est la
petite communauté des acteurs, actrices et réalisateurs de confession
catholique et d’origine hispanique qui s’est dressée contre
l’interminable punition infligée par l’État hébreu vis-à-vis du réduit
gazaoui. Logique ? Oui, car si la communauté juive et protestante
hollywoodienne est en naturelle empathie avec le messianisme protestant
des Pères fondateurs de la puissante Amérique (Dieu nous a donné la
Terre promise et toute ces fadaises), la minorité catholique locale,
même si ayant un temps volé la terre aux Indiens, sait ce qu’il en coûte
de se sentir étrangère en son propre pays. Voyez ne serait-ce qu’une
simple carte routière pour comprendre que les noms des villes – San
Francisco, Los Angeles– celui des États, – Californie, Nouveau-Mexique
et Arizona – portent, ne serait-ce que par leur intitulé, une trace
identitaire n’ayant que peu à voir avec les dingues messianiques du
Mayflower… Trace identitaire qui leur fut volée, terre dont ils furent
expulsés, terre dans laquelle ils reviennent aujourd’hui par le biais de
tunnels plus ou moins clandestins ; ça ne vous rappelle rien ?
Fin juillet donc, dans les colonnes du
quotidien hispanophone,El Diario, une centaine d’autres artistes
espagnols, dont le réalisateur PedroAlmodovar, ont exprimé leur critique
de l’agression sioniste à Gaza, dans une tribune intitulée« Génocide ».
L’acteur Javier Bardem (le méchant dans le
James Bond Skyfall) y déclarait notammant :« Dans l’horreur qui se passe
en ce moment à Gaza, il n’y a pas de place pour la distance ou la
neutralité… Je necomprends pas cette barbarie, encore plus brutale et
incompréhensible compte tenu de toutes les choses horriblesque le peuple
juif a vécu dans le passé. »
Ces propos, bien que mesurés, ont rendu
fous de rage les nababs de l’industrie cinématographique
d’outre-Atlantique.C’est dans le Hollywood Reporter qu’un certain nombre
de courageux producteurs ont déclaré anonymement, que le couple
d’acteurs
serait désormais blacklisté et que les portes des studios leur seraient fermées.
L’acteur John Voight (passé du soutien à JFK à celui de Bush, de la lutte contre la guerre du Vietnam, au soutien à Tsahal)
a même désigné à la vindicte d’Hollywood,
ses confrères en les accusant de « promouvoir l’antisémitisme dans le
monde », tout en ajoutant :« Vous avez pu devenir célèbres et faire
fortune grâce à un pays démocratique : l’Amérique. Pensez-vous que vous
auriez puaccomplir tout cela en Iran, en Syrie, au Liban ? Votre
célébrité vous donne la responsabilité de l’utiliser pour faire le bien.
Au lieu deça, vous avez diffamé le seul pays démocratique et de bonne
volonté au Moyen-Orient : Israël. »
Dans le même temps, Roger Waters, bassiste
du mythique groupe Pink Floyd, adressait récemment une lettre à « ses
collègues du rock and roll » :
« Lors de la récente édition des «
Promenade Concerts » au Royal Albert Hall àLondres, Nigel Kennedy,
virtuose violoniste britannique, a mentionné la politique d’apartheid
d’Israël.Rien de bien nouveau, vous pensez.Et puis une certaine baronne
Deech a contesté cette affirmation et demandé à la BBC de censurer la
performance de Kennedy encoupant sa déclaration. La baronne Deech n’a
fourni aucune preuve pour étayer son argument et pourtant la BBC,
supposée être unechaine politiquement neutre, a accepté sa requête, nous
jouant un tour orwellien.Bon ! Il est temps pour moi de m’insurger à nouveau, au côté de mon frère Nigel Kennedy.Et d’ailleurs, Nigel, bravo. »
De son côté, Nigel Kennedy, prodige du
violon, allant jusqu’à dynamiter Vivaldi et Jimi Hendrix, a tenu à
déclarer, le plus officiellement du monde : « Il est incroyable, et
assez effrayant, qu’au XXIe siècle, il y ait toujours un tel problème
insurmontable pour dire leschoses comme elles sont. »
Et le même de rappeler, dans ce même
communiqué, signé à la troisième personne : « Sa première réaction à la
censure par la BBC et à son manque impérial d’impartialité a été de
refuser de jouer pourun employeur qui est influencé par des forces
extérieures si contestables.M. Kennedy a toutefois rappelé que son
principal objectif est de donner au public la meilleure musique qu’il
peut produire. Retirer sesservices ce serait comme si un chauffeur de
taxi refusait de conduire ses clients parce qu’ils seraient
politiquement incorrects. Parconséquent, il ne retire pas les services
qu’il doit au public, mais il s’attend à moitié à être remplacé par
quelqu’un jugé plus conforme envertu de son opportunisme débordant et de
ses ambitions professionnelles.Cependant, M. Kennedy est heureux que,
en le censurant, la BBC ait créé une si immense plate-forme pour
débattre de sa propreimpartialité, de son respect (ou non-respect) de la
liberté d’expression et pour débattre du lamentable apartheid imposé au
peuplepalestinien par le gouvernement israélien soutenu par tant de
gouvernements du monde extérieur. »
Entre-temps, Roger Waters, des Pink Floyd,
exhortait ses amis des Rolling Stones de renoncer à leurs concerts,
pourtant programmés de longue date, à Tel Aviv.
Les artistes, on le sait, n’ont que peu
d’influence sur la marche du monde. Pourtant, il peut leur arriver
qu’ils sauvent l’honneur, à leur façon. Cela méritait d’être salué.
Jean FRANCE-MARTIN