La journaliste de Libération Ondine Millot a été
écoeurée par ce qu’elle a vu mardi au tribunal de Paris où un jeune
homme a été iniquement condamné à 4 mois de prison ferme, au titre
évident de sa participation à la manifestation Barbès-Bastille, mais
pour de supposés faits n’ayant eux-mêmes strictement aucune relation
avec la manifestation. Une vengeance, en quelque sorte, de l’appareil
police-justice, qui avait reçu des instructions gouvernementales de
sévir pour complaire à Israël, et qui a pris le jeune Mohamed S. comme
bouc émissaire. A LIRE ABSOLUMENT
Un manifestant propalestinien condamné à quatre mois ferme pour rébellion
ONDINE MILLOT 16 JUILLET 2014 À 12:44
Mohamed S., 23 ans, a été condamné suite à un contrôle de police musclé après la manifestation parisienne de dimanche.
Un moment, on a cru à une caricature, un mauvais film. La présidente
du tribunal (blanche, la cinquantaine, fort accent bourgeois, coupe au
carré) harangue le prévenu (jeune, arabe, des marques des coups infligés
par la police encore sur le visage), lui coupant sans cesse la parole,
lui reprochant chaque mot qu’il tente : « Vous dites que le contrôle
d’identité était abusif, mais est-ce à vous d’en juger ? Vous n’êtes pas
ici pour vous exprimer, mais pour répondre à mes questions. »
De l’entrée en matière, où elle se moque de son nom de famille, à la
conclusion – une peine de quatre mois ferme avec mandat de dépôt
(incarcération immédiate) pour avoir refusé un contrôle d’identité et
s’être débattu – chaque minute de l’affligeante et courte scène qui
s’est jouée mardi devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de
Paris faisait croire à une triste farce.
Un petit groupe de journalistes était venu, ce mardi après-midi,
assister à l’audience des comparutions immédiates, pensant y retrouver
peut-être quelques-uns des hommes placés en garde à vue suite aux
affrontements devant la synagogue de la rue de la Roquette (1), pensant y
glaner quelques clés pour comprendre ces violences.
LOI ANTIBURQA
Mais le seul homme dans le box à avoir un rapport avec la
manifestation propalestinienne de dimanche a été arrêté bien loin de la
synagogue du XIe arrondissement, à la station de métro Barbès, et il n’a
la clé de rien, pas même de son propre malheur.
Le tort de Mohamed S., 23 ans, manutentionnaire, est d’avoir marché
en compagnie de son petit frère et d’un autre ami, Renaud, qui tous deux
avaient enroulé un keffieh autour leurs visages. Leurs traits étaient
masqués, et c’est donc au nom de la « loi antiburqa » que trois
policiers ont dit avoir arrêté leur véhicule à leur hauteur, et avoir
voulu interpeller le petit frère de Mohamed.
L’aîné a protesté : « Ils ne sont pas descendus de leur voiture en
mode contrôle, tente-t-il de décrire à l’audience. Ils sont descendus en
mode sauvage, ils nous ont poussés direct, à base de coups de pied et
de poing, c’était pas un contrôle normal. »
La présidente l’interrompt à nouveau. « Et vous alors, vous étiez en
mode comment en allant à cette manifestation ? » Mohamed essaie
d’expliquer qu’il a participé au cordon de sécurité visant à séparer
manifestants et gendarmes, que son rôle « était justement d’éviter les
violences », rien n’y fait, seule la version policière intéresse la
présidente. Lorsqu’il ose demander que l’on évoque les auditions de son
petit frère et de son ami « blanc » Renaud, qui lui n’a pas été
contrôlé, elle le coupe d’un ton sec : « Je lis les témoignages que je
veux. On n’est pas à la cour d’assises ici. » La présidente parle de la
djellaba que portait Mohamed dimanche en disant « accoutrement ».
CONTRÔLES AU FACIÈS
Absents à l’audience, les policiers ont déclaré sur procès-verbal que
Mohamed était « agressif » et « vociférait ». « Ce monsieur ne se
laissait pas menotter, il se débattait sans cesse », ont-ils affirmé.
L’un d’eux assure avoir reçu un coup de poing. Les constats faits par
les médecins des urgences médicojudiciaires de Paris indiquent plutôt
l’inverse : aucune trace de coups reçus et aucun jour d’ITT (incapacité
totale de travail) pour le policier, un visage encore tuméfié et un jour
d’ITT pour Mohamed. Il montre sa doudoune déchirée : « Ils m’ont plaqué
au sol, ils m’ont étranglé. Ils m’ont dit : tu n’as rien à faire en
France, si tu veux te battre pour la Palestine, va en Palestine. »
Dans les rares instants où il a pu aligner deux phrases, Mohamed a
expliqué qu’il subissait environ un contrôle d’identité au faciès par
semaine. Le procureur en profite pour rebondir et lui reprocher d’avoir
osé protester. « S’il subit régulièrement des contrôles, il sait très
bien comment ça peut se passer, et que ça peut déraper rapidement. » Il
réclame cinq mois de prison ferme.
L’avocat de Mohamed, Nicolas Putman, retrace le parcours d’un jeune
homme, ancien délinquant, condamné à un an de prison ferme pour avoir
projeté un braquage, parfaitement réinséré et à la conduite exemplaire
depuis sa libération il y a un an. A peine dehors, il a trouvé un
emploi, et le patron le qualifie d’« employé modèle ». « Les trois
policiers ne s’en sont pris qu’aux personnes de type maghrébin, on a
l’impression d’une bavure policière, au racisme latent, plaide l’avocat.
Quand mon client vous dit qu’il est contrôlé toutes les semaines, ce
qu’on peut surtout retenir, c’est que malgré ces humiliations répétées,
c’est la première fois qu’il est arrêté pour rébellion. »
La présidente dit à Mohamed qu’il a la parole en dernier. Il se lève et ne dit rien. Il pleure.
(1) Quatre d’entre eux seront finalement jugés ultérieurement par le
tribunal correctionnel pour violences volontaires sur personne
dépositaire de l’autorité publique et rébellion, a-t-on appris mardi
soir. Deux autres ont fait l’objet d’un rappel à la loi du délégué du
procureur.
Ondine MILLOThttp://www.europalestine.com