Irène Kaufer
Du 28 octobre au 4 novembre 2011, j’ai participé à un voyage en
Palestine. Savoir est une chose, voir, entendre, sentir en est une
autre.
Durant les semaines qui viennent, mon blog tentera de transmettre ce que
j’ai vécu. Je ne prétends pas à une quelconque objectivité, ni à
apporter des réponses sur une réalité d’une grande complexité. Rien de
plus qu’un témoignage d’une personne particulière, à un moment
particulier.
1. Du Mur des Lamentations au Mur lamentable (Jérusalem-Bethleem-Qalqilya)
Il court tout le long des routes, serpente sur les
collines, coupe des villages en deux, enclave des maisons, isole et
humilie : en Israël, le Mur de la Honte est bien plus visible, plus
concret et plus significatif que le Mur des Lamentations.
700 km de long de « barrière de sécurité », dont une
partie en béton surmonté de barbelés, érigée sous prétexte d’éviter les
attentats suicide. Mais aussi - surtout ? - une façon de faire
disparaître l’autre, le couper de ses terres et de l’accès à l’eau. Car
la barrière ne se contente pas de suivre la « ligne verte », frontière
reconnue par la communauté internationale ; elle empiète largement sur
le territoire palestinien et va même jusqu’à encercler complètement une
ville comme Qalqilya, 50 000 habitants coincés et coupés de leurs
champs, dans l’une des régions les plus fertiles de Palestine.
Un seul point de passage pour les véhicules, qu’Israël
peut bloquer à sa guise. Quant au check-point pour les piétons, la
tension y est palpable, bien que l’on soit arrivés à une période plutôt
calme. « No pictures ! » nous lance par haut-parleur une voix
courroucée, tandis que les Palestiniens qui attendent de passer nous
demandent de partir, notre présence rendant leur situation plus
difficile. Des syndicalistes belges ont aménagé le passage en installant
un lieu couvert et des toilettes, car les files et l’attente peuvent
être longues.
Ici comme en beaucoup d’autres endroits, la gestion du
check-point est sous-traitée à des compagnies de sécurité privées. C’est
tout juste si notre guide, responsable aux relations internationales à
la mairie, ne regrette pas le bon vieux temps de l’armée : avec
l’officier, en cas de problèmes, on pouvait essayer de trouver des
solutions. Rien de tels avec les « privés ». Avec eux, pas de quartier,
le règlement ne connaît pas d’exceptions, sinon celles de leur propre
arbitraire.
Le guide nous emmène vers l’un des coins du mur, situé
juste à côté d’une école. Quelle horrible expérience quotidienne pour
les enfants ! D’ici part aussi un boulevard qui auparavant, reliait
Qalqilya à son environnement. Aujourd’hui ce boulevard est mort. Entre
les rares voitures, on voit passer un attelage à cheval et un homme qui
apprend à sa petite fille à rouler à vélo. Mais cela n’a rien de
bucolique : ici, une ville est en train d’être asphyxiée.
Longer le mur sur des kilomètres donne une sensation
d’étouffement. Que dire alors des habitants de Bethléem et notamment de
ceux qui habitent le long du mur ? Une maison en particulier, autrefois
bien située sur la route vers Jérusalem, est désormais enfermée au bout
d’une impasse qui ne mène nulle part et où l’eau s’accumule rapidement
en cas de pluie, formant une mare peu ragoûtante, le mur bloquant toute
évacuation. Celle qui tient le commerce propose des objets artisanaux et
aussi des chambres d’hôtes avec petit déjeuner biologique. Mais il faut
avoir l’esprit militant bien accroché pour loger là, et se réveiller le
nez dans le mur...
Le mur court ensuite sur les collines et bloque l’accès
vers Jérusalem. Les Palestiniens qui n’ont pas les bons papiers n’ont
pas le droit de le franchir. On peut passer à pied, genre contrôle
d’aéroport avec obligation d’ôter ses chaussures, sauf qu’ici, il n’y a
pas de rapport humain, seulement une voix passant par un haut-parleur et
un tourniquet où on passe un par un. Quant au bus qui relie Bethléem à
Jérusalem, il doit aussi s’arrêter au check-point pour un contrôle
d’identité : on voit monter des gardes lourdement armés et les hommes
jeunes (moins de 45 ans) doivent descendre et passent à pied. Même si,
avec nos passeports belges et nos têtes de touristes innocents, nous
n’avons pas subi les mêmes contrôles soupçonneux que ceux que vivent
quotidiennement les Palestiniens, c’est une expérience désagréable.
Pourtant, ce mur-là ne retentit guère de lamentations.
Il accueille des slogans, des dessins, des peintures dont certaines sont
de vraies oeuvres d’art. Elles appellent surtout à la paix et imaginent
mille façons de traverser ce maudit mur, que ce soit par le saut à la
perche, l’envoi vers le ciel des cerfs-volants multicolores ou la charge
d’un rhinocéros faisant exploser le béton... Certains commerçants s’en
servent pour indiquer le chemin de leur boutique, un restaurateur a
choisi d’y afficher son menu.. L’imagination pallie le manque de
liberté. Le tenancier d’une boutique de souvenirs propose même une bombe
de peinture aux passants pour laisser la trace de sa propre colère.
Mais la palme de l’imagination est l’oeuvre des
Israéliens eux-mêmes : à l’entrée du check-point, où tous seront
arrêtés, certains fouillés et d’autres empêchés de passer, un grand
panneau proclame en trois langues : « Welcome in Jerusalem ». Bienvenue
chez les cyniques...
Féministe, syndicaliste, résolument à gauche, Irène
Kaufer pose son regard et sa langue acérés sur l’actualité, et de
préférence les sujets orphelins. Elle a vécu enfant en Israël et voulait
aller voir sur place, pour mieux témoigner, la vie des Palestiniens".
09/11/2011