Omar Barghouti - Mediapart
« La conquête peut représenter le mal autant que le bien
pour l’humanité, selon la valeur comparative des peuples conquérant et
conquis. »
Théodore Roosevelt
ISRAËL : réflexions "anciennes" mais toujours d’actualité
Une humanité relative
1. Introduction
Bon débarras ! La solution à deux États au conflit
israélo-palestinien est finalement morte. Cependant, il faut que
quelqu’un émette un certificat de décès officiel avant que le corps en
décomposition ait droit à un enterrement adéquat et que l’on puisse
continuer et examiner l’alternative plus juste, morale et donc plus
durable, pour une coexistence pacifique entre les Juifs et les Arabes
dans la Palestine mandataire : la solution à un État.
Omar Barghout
Aveuglé par l’arrogance du pouvoir et le confort
éphémère de l’impunité, Israël, à l’encontre de ses intérêts
stratégiques sionistes, n’a pas réussi à contrôler son appétit
expansionniste insatiable et est allé de l’avant en dévorant la toute
dernière parcelle de terre qui devait former la fondation matérielle
d’un État palestinien indépendant.
Depuis l’émergence de la seconde Intifada palestinienne,
Israël est entré dans une nouvelle phase critique, dans laquelle sa
répression militaire contre les Palestiniens en Cisjordanie et dans la
Bande de Gaza occupées a atteint de nouveaux fonds et son mépris pour
les résolutions de l’ONU atteint de nouveaux sommets, où ses incessantes
confiscations de terres l’ont mené à ériger un mur entourant les
centres de population palestiniens, séparant les Palestiniens de leurs
terres - les dépossédant ainsi de nouveau - et où la corruption morale
et la discrimination raciale ont plus clairement effrité la cohésion
interne de la société israélienne, tout comme son image fabriquée de
« démocratie ».
Par conséquent, la perception d’Israël dans l’opinion publique mondiale a plongé, l’amenant plus près du statut d’État paria.
Cette phase comporte toutes les caractéristiques
symboliques de ce qui peut être considéré comme le chapitre final du
projet sioniste. Nous assistons à la mort rapide du sionisme et rien ne
peut être fait pour le sauver, puisque le sionisme est condamné à
s’autodétruire. Pour ma part, je favorise l’euthanasie. Pour revenir à
la solution à deux États, elle n’a jamais constitué en soi une solution
morale, sans compter que la date d’expiration est passée. Dans le
meilleur des cas, c’est-à-dire par l’application méticuleuse de la
résolution 242, elle aurait répondu à la plupart des droits légitimes de
moins d’un tiers du peuple palestinien sur moins d’un cinquième de leur
terre ancestrale. Plus de deux tiers des Palestiniens, les réfugiés et
les citoyens palestiniens en Israël, ont été, de façon douteuse et
bornée, effacés de la définition de l’appartenance palestinienne. Une
telle exclusion ne peut que garantir la perpétuation du conflit.
Qui donc offre ce « meilleur des cas » ? Personne à vrai
dire. La meilleure offre à date n’approche même pas de la 242 - sans
parler des principes élémentaires de la moralité. Après avoir essayé
pendant des décennies de convaincre les Palestiniens d’abandonner leur
droit aux propriétés qu’ils ont perdues lors de la Naqba (catastrophe de
1948, la dépossession et l’exil) en échange d’un État souverain et
entièrement indépendant sur l’ensemble des terres occupées en 1967, y
compris Jérusalem-Est, Israël a prouvé qu’il n’a jamais réellement eu
l’intention de retourner toutes ces terres acquises illégalement. De
Camp David II à Genève en passant par Taba, l’offre israélienne la plus
« généreuse » a toujours été bien en deçà des exigences minimales des
diverses résolutions des Nations unies et des principes élémentaires de
la justice. Reconnaissant que la justice n’était pas complètement servie
par l’offre de son gouvernement à Camp David, le ministre israélien des
Affaires étrangères, Shlomo Ben-Ami, a donné aux Palestiniens le choix
entre « la justice ou la paix ».
Toutefois, séparer la paix de la justice est non
seulement moralement condamnable, mais aussi maladroit du point de vue
du pragmatisme. Cela peut subsister pendant un certain temps, mais
seulement après avoir été vidé de son sens, devenant ainsi une simple
stabilisation d’une oppression, ou ce que j’appelle la paix « maître
esclave », où l’esclave n’a pas de pouvoir et/ou de volonté de
résistance et se soumet aux diktats du maître, passivement, docilement,
sans un semblant de dignité humaine. Comme l’a déjà écrit Jean-Jacques
Rousseau : « L’homme le plus fort n’est jamais assez
fort pour être constamment le maître, à moins qu’il transforme la force
en droit et l’obéissance en devoir. (...) La force est un pouvoir
physique ; je ne conçois pas comment ses effets pourraient engendrer la
moralité. Céder à la force est un acte de nécessité, non pas de
volonté ; c’est au mieux un acte de prudence. Comment cela pourrait-il
être un devoir moral ? »
Eh bien, la « prudence » des Palestiniens s’épuise. Les
concessions de leur direction officielle devant la force ont simplement
entraîné plus de colonisation et la promesse d’une continuation.
2. L’humanité relative et le conflit
Dès le départ, les deux principales prétentions données
par les sionistes pour justifier leur colonisation de la Palestine
étaient : la Palestine était une terre sans peuple, un terrain vague non
civilisé ; les Juifs ont un droit divin pour concrétiser la
« rédemption » de la Palestine, en accord avec une promesse venant d’une
autorité non moindre que Dieu, et parce que, selon la Bible, les
Israélites avaient érigé leur royaume sur toute la terre de Canaan il y a
deux mille ans, leur donnant le droit historique sur cette terre.
Ainsi, toute dépossession des indigènes de la Palestine, s’ils
existaient, était un dommage collatéral acceptable pour la réalisation
de la volonté de Dieu. Si cela ressemble trop au jargon de Bush, ce
n’est que pure coïncidence. À ce jour, il a été démontré que tant les
arguments politiques que religieux ne sont rien de plus que des mythes
sans fondement, et ce en grande partie grâce au travail minutieux
d’historiens et d’archéologues israéliens. (1)
Supprimant la fabrication politique et la mythologie
biblique, Joseph Weitz, dirigeant du département de la Colonisation à
l’Agence juive en 1940, expliquait comment cette « rédemption » devait
être réellement mise en œuvre : « Il doit être clair
entre nous qu’il n’y a pas de place pour les deux peuples dans ce pays.
Nous ne pourrons pas atteindre notre but si les Arabes sont dans ce
petit pays. Il n’y a pas d’autre solution que de transférer les Arabes
vers les pays voisins, chacun d’entre eux. Pas un village, pas une tribu
ne doit rester. »
Au cœur même de la rationalisation d’une telle expulsion
repose une croyance coloniale bien établie dans l’impertinence, ou
l’absence de valeur comparée, des droits, des besoins et aspirations des
indigènes palestiniens. Par exemple, l’auteur de la Déclaration Balfour
écrivait : « Les quatre grandes puissances soutiennent
le sionisme. Et le sionisme, qu’il soit bien ou mal, est enraciné dans
des traditions anciennes, dans des besoins présents et des espoirs
futurs ayant bien plus d’importance que les désirs et les préjudices des
700 000 Arabes qui habitent présentement cette terre ancestrale. »
C’est là un cas classique de ce que j’appelle une humanisation relative.
Je définis l’Humanité relative comme la croyance, et
l’humanisation relative comme la pratique basée sur cette croyance,
voulant que certains être humains, partageant divers attributs
importants d’identité tels que la religion, l’ethnicité ou la culture,
sont dépourvus d’un ou de plusieurs des attributs nécessaires pour être
humains et ne sont donc en conséquence humains que dans un sens relatif
et non pas absolu et sans équivoque. Par conséquent, de tels humains
relatifs n’ont droit qu’à une partie de ce qui serait en d’autres
circonstances des droits inaliénables dus aux humains « réels ».
La perception des Palestiniens comme des humains
relatifs peut expliquer pourquoi Israël - soutenu par les États-Unis et
en maintes occasions par l’Europe également - a pu s’en tirer avec une
attitude allant de soi envers les Palestiniens, qui présume qu’ils ne
peuvent pas, en fait ne doivent pas, avoir des besoins, des aspirations
ou des droits égaux à ceux des Juifs israéliens. Ce facteur a joué un
rôle fondamental dans l’inhibition d’une évolution vers une solution à
un État unitaire, comme il sera démontré plus loin. À côté de
l’humanisation relative, il y a plusieurs obstacles sur le chemin de
cette solution moralement supérieure. Compte tenu du niveau actuel de
violence, de méfiance mutuelle et de haine entre les deux côtés, par
exemple, comment une telle solution pourrait-elle se réaliser ? D’autre
part, avec l’écart de puissance si vaste entre Israël et les
Palestiniens, pourquoi les Juifs israéliens accepteraient-ils cet État
unitaire où, par définition, les Juifs seront minoritaires ? Est-ce que
le consentement israélien est vraiment nécessaire en premier lieu ou
peut-il être éventuellement obtenu par l’entremise d’une combinaison de
pression intense et d’absence de solutions alternatives viables, comme
cela a été le cas en Afrique du Sud ?
Ces questions sont effectivement valides et cruciales,
mais au lieu de les approfondir toutes, je me limiterai à démontrer
pourquoi les alternatives à la solution à un État sont moins
susceptibles de résoudre le conflit, en partie à cause que le principe
de l’égale valeur humaine, qui constitue l’ingrédient fondamental de
toute paix juste et durable, est manifestement ignoré, violé ou réprimé
dans chacune d’entre elles. En soi, cela ne prouve pas logiquement
qu’une solution à un État soit la seule voie de sortie de la présente
abysse, mais cela peut au moins démontrer qu’elle mérite certainement
d’être sérieusement considérée comme une solution réelle.
3. Les voies pour sortir du conflit
À l’heure actuelle, compte tenu de l’impossibilité de
parvenir à une solution négociée impliquant la création de deux États
qui comblerait le minimum des droits inaliénables des Palestiniens, il y
a trois voies logiques qui peuvent être suivies :
Maintenir le statu quo, préserver une quelconque solution à deux États ne serait-ce que sur le papier.
« Finir
le travail », ou atteindre le but logique du sionisme, en mettant en
œuvre le nettoyage ethnique de tous les Palestiniens de la Palestine
mandataire. Puisqu’un génocide de l’ampleur de ceux commis pour vider
l’Amérique ou l’Australie de leurs indigènes n’est pas politiquement
viable aujourd’hui, le nettoyage ethnique est ce qui s’en approche le
plus.
Lancer
un nouveau processus, visionnaire et pratique, qui mènerait à
l’établissement d’un État unitaire et démocratique entre le Jourdain et
la Méditerranée.
Examinons chacune de ces trois options.
.I - Maintenir le statu quo
En premier lieu, le statu quo comporte trois attributs :
le déni des droits des réfugiés, l’occupation militaire et la
répression en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza et finalement la
version sioniste de l’apartheid en Israël même. Loin d’avoir reconnu sa
culpabilité dans la création du plus vieux et large problème de réfugiés
dans le monde et malgré des preuves accablantes, Israël a
systématiquement fuit toute responsabilité. La dimension la plus étrange
du discours populaire israélien au sujet de la « naissance » de l’État
est le déni presque total de tout méfait. La vaste majorité des
Israéliens considèrent l’impitoyable destruction de la société
palestinienne et la dépossession du peuple palestinien comme leur
« indépendance ». Même les « gauchistes » engagés se lamentent souvent
sur la perte de la « supériorité morale » d’Israël après l’occupation de
la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967, comme si avant cela
Israël était aussi civil, légitime et respectueux de la loi que la
Finlande !
Telle une classique prédiction qui se réalise
d’elle-même, les Israéliens ont toujours aspiré à être un État normal,
au point qu’ils ont commencé à croire que c’était le cas. (2)
C’est comme si la plupart de ces Israéliens qui ont activement
participé ou assisté à la Naqba étaient collectivement infectés par une
amnésie sélective chronique.
Les racines de ce déni proviennent de l’Holocauste et
des circonstances uniques qui en ont résulté, qui ont permis à Israël de
prétendre que, contrairement à tout autre État, il était obligé de
dénier aux réfugiés palestiniens leur droit sans équivoque de retourner
dans leurs maisons et sur leurs terres. Préserver le caractère juif de
l’État, selon l’argumentation, était le seul moyen de maintenir un lieu
sûr pour les Juifs du monde, les « super-victimes », qui sont en danger
parmi les Gentils, et cela était évidemment bien plus important que les
simples droits des Palestiniens. Même si nous ignorons la comparaison
impérieuse entre la sécurité des Juifs en Israël par rapport à la
France, au Maroc, à l’Espagne, aux États-Unis et même à l’Allemagne,
nous ne pouvons ignorer le fait qu’aucun autre pays dans le monde
d’aujourd’hui ne pourrait s’en tirer avec une attitude similairement
manifeste et raciste au sujet de son droit à la pureté ethnique. En plus
d’être moralement indéfendable, le déni du droit au retour par Israël
révèle aussi un degré d’inconstance morale qui est unique à bien des
points de vue.
Par exemple, la loi du retour pour les Juifs est basée
sur le principe que, puisqu’ils ont été expulsés de la Palestine il y a
plus de 2000 ans, ils ont le droit d’y retourner. Ainsi, en niant les
droits des réfugiés palestiniens, dont l’exil de 55 ans est une
injustice bien plus jeune, Israël affirme essentiellement que les
Palestiniens ne peuvent avoir le même droit parce qu’ils ne sont pas
également humains.
Voici quelques autres exemples de cette inconstance morale :
Des milliers d’Israéliens dont les grands-parents
étaient citoyens allemands ont demandé avec succès le droit au retour en
Allemagne, la citoyenneté allemande, et ont reçu pleine compensation
pour la propriété pillée. Le résultat étant que la population juive de
l’Allemagne est passée de 27 000 au début des années quatre-vingt-dix à
plus de 100 000 l’année dernière.
La Belgique a aussi passé une loi « permettant le retour à leurs propriétaires des biens qui appartenaient à des familles juives ».
Elle a aussi accepté de payer à la communauté juive locale une
restitution de 55 millions d’euros pour les propriétés volées qui « ne peuvent être restituées » et pour « les polices d’assurances non réclamées appartenant à des victimes de l’Holocauste ».
Mais la quintessence de l’hypocrisie morale est révélée par l’exemple suivant rapporté par le Ha’aretz : « Plus
de cinq siècles après que leurs ancêtres ont été expulsés d’Espagne,
les Juifs d’origine espagnole... ont demandé au gouvernement et au
parlement espagnols de leur accorder la nationalité espagnole...
L’Espagne devrait passer une loi "pour reconnaître que les descendants
des Juifs expulsés font partie de l’Espagne et pour les réhabiliter",
affirme Nessim Gaon, président de la Fédération séfarade mondiale. (...)
Certains Juifs séfarades ont même préservé la clé de la résidence de
leur ancêtre en Espagne... »
Puisque soutenir le droit au retour des réfugiés
palestiniens est, selon moi, le test décisif de moralité pour quiconque
suggère une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien,
plusieurs, y compris Bill Clinton, et tout le spectre de la gauche
officielle en Israël, ont échoué à ce test.
La gauche et la droite sont partout des termes relatifs,
mais en Israël, la distinction peut être complètement floue par
moments. Quand vient le temps de parler de la pureté ethnique, de la
démographie et du chauvinisme, les politiciens israéliens et les
intellectuels de gauche, même ceux qui se sont autoproclamés comme « la
gauche » (3),
ont fait en sorte que les partis de l’extrême droite européenne sonnent
aussi humains que Mère Teresa. Toutefois, la différence cruciale est
que dans le cas d’Israël, l’immoralité est aggravée par le fait que,
contrairement aux immigrants étrangers en Europe, l’autre est en fait
l’indigène.
Malgré ce qui vient d’être mentionné, on ne peut nier
que le droit au retour des réfugiés palestiniens contredit les exigences
d’une solution négociée à deux États. Israël ne l’acceptera tout
simplement jamais, en faisant le talon d’Achille de toute solution
négociée à deux États, comme le démontre l’histoire. Cela n’a rien à
voir avec les mérites ou les compétences des négociateurs palestiniens,
aussi maigres qu’ils aient pu être, mais plutôt avec un stupéfiant
déséquilibre de pouvoir qui permet à un État ethnocentrique et colonial
de préserver sa nature exclusiviste en dictant les conditions à un
interlocuteur pathétiquement plus faible. C’est précisément pourquoi le
droit au retour ne peut être réellement accompli, sauf dans une solution
à un État. Cela permettrait à la faiblesse palestinienne de devenir une
force, s’ils décident d’adopter une voie non violente afin d’établir un
État laïque et démocratique, acquérant par le fait même un soutien
international crucial et transformant le conflit en une lutte non
dichotomique pour la liberté, la démocratie, l’égalité et la justice non
mitigée. De nouveau, le modèle sud-africain doit être une inspiration à
ce niveau.
. Occupation militaire : les crimes de guerre (4), grands et petits
Suite à une visite dans la Bande de Gaza entièrement
clôturée, Oona King, une parlementaire britannique juive, a commenté
l’ironie à laquelle font actuellement face les Juifs israéliens,
affirmant : « ...en fuyant les cendres de l’Holocauste,
ils ont incarcéré un autre peuple dans un enfer similaire en sa nature -
mais pas dans son étendue - au ghetto de Varsovie ».
Tout être humain ayant une conscience et qui a récemment
visité les Territoires occupés ne peut faire autrement qu’être d’accord
avec King. Faisant face à l’aspiration apparemment inextinguible des
Palestiniens pour la justice et l’émancipation, Israël a repris depuis
trois ans une campagne de destructions gratuites, d’atrocités
systématiques et de sièges à caractère médiéval, avec la claire
intention de punir collectivement les Palestiniens, les forçant
potentiellement à abandonner leur terre en masse. Le reste n’est que
simples détails, aussi pénibles et affligeant qu’ils puissent être.
Le mur d’apartheid israélien (5), les droits humains des Palestiniens vs les droits des animaux et des plantes israéliens :
Bien qu’Israël essaie actuellement de présenter le Mur
comme une barrière de sécurité pour « arrêter les kamikazes », la vérité
est que le présent tracé du Mur est tout sauf nouveau. Il a été
recommandé à Ariel Sharon par le tristement célèbre « prophète de la
menace démographique arabe », le démographe israélien Arnon Sofer, qui
soutient que la carte mise en œuvre est la sienne. Et contrairement aux
doucereux politiciens israéliens, Sofer confesse sans la moindre honte
que le tracé du Mur a été dessiné avec un but spécifique à l’esprit :
maximiser la terre devant être annexée par Israël tout en minimisant le
nombre d’« Arabes » qui viendraient avec.
Mais Sofer s’accorde peut-être trop de crédit. Ron
Nahman, le maire de la colonie d’Ariel en Cisjordanie, a révélé au
journal à grand tirage Yedioth Aharonot que : « la
carte de la clôture, dont on voit ici l’ébauche, est la même carte que
j’ai vue lors de toutes les visites que [Ariel Sharon] a faites ici
depuis 1978. Il m’a dit qu’il y pensait depuis 1973. » Il n’y avait
pas beaucoup d’« attentats suicides » à cette époque ! Il y a quatre
ans, bien avant le début de l’Intifada, Ariel Sharon lui-même avait,
dans un style évocateur, nommé le projet du mur le « plan Bantoustan »,
selon Ha’aretz.
Malgré les graves transgressions envers l’habitat,
l’environnement et les droits politiques des Palestiniens, un
« consensus presque total » existe parmi les Juifs israéliens en sa
faveur. Cependant, plusieurs groupes officiels ou non gouvernementaux en
Israël sont préoccupés par les effets adverses que le Mur pourrait
avoir sur les animaux et les plantes. Le ministre israélien de
l’Environnement, Yehudi Naot, protestait contre le Mur, affirmant : « La
clôture de séparation coupe la continuité d’aires ouvertes et est
dommageable pour le paysage, la flore et la faune, les corridors
écologiques et le drainage des ruisseaux. Le système de protection
affectera de manière irréversible les ressources de la terre et créera
des enclaves de communautés [d’animaux évidemment] qui seront coupées de
leur environnement. Je ne souhaite surtout pas arrêter ou retarder la
construction de la clôture, parce qu’elle est essentielle et sauvera des
vies... D’un autre côté, je suis perturbée par les dommages
environnementaux qui en découlent. »
Son ministère et l’Autorité de protection des Parcs
nationaux ont organisé un effort de sauvetage afin de préserver une
réserve d’iris affectée en la déplaçant vers une autre réserve. Ils ont
aussi créé de petits passages pour les animaux et permis la circulation
de l’eau dans les ruisseaux. Pourtant, le porte-parole de l’autorité de
parcs n’était pas satisfait. Il s’est plaint : « Les
animaux ne savent pas qu’il y a maintenant une frontière. Ils sont
habitués à un certain habitat et ce qui nous préoccupe est de voir leur
diversité génétique affectée parce que différents groupes de population
ne seront plus capables de se rejoindre et de se reproduire. Isoler les
populations des deux côtés d’une clôture va créer définitivement un
problème génétique. »
Même Thomas Friedman a prédit - assez correctement, selon moi - dans le New York Times que le Mur « achèvera » éventuellement la solution à deux États, devenant ainsi « la mère de toutes les conséquences involontaires ».
- Les plus petits crimes de l’occupation :
Ce ne sont pas tous les crimes de l’occupation militaire
israélienne qui sont aussi écrasants que le Mur. Je ne citerai plus bas
que quatre exemples de crimes de guerre de moindre importance quoique
endémiques :
i) Naissance et mort à un barrage de l’armée israélienne
Rula, une Palestinienne, était au dernier stade de sa
grossesse. Son époux, Daoud, ne réussissait pas à convaincre les soldats
à un barrage militaire typique de les laisser passer pour rejoindre
l’ambulance qui était retenue par les mêmes soldats de l’autre côté.
Après une longue attente, Rula ne pouvait plus retarder l’accouchement.
Elle a commencé à hurler de douleur, devant la plus totale apathie des
soldats. Daoud a décrit cette expérience traumatisante au journaliste
exceptionnellement consciencieux du Ha’aretz, Gideon Levy, affirmant : « Près
du barrage, il y avait une roche... Ma femme a rampé jusqu’à la roche
et s’y est étendue. Pendant ce temps, je continuais de parler avec les
soldats. Un seul d’entre eux faisait attention, les autres ne
regardaient même pas. Elle a essayé de se cacher derrière la roche. Elle
n’aimait pas qu’ils la voient dans cette condition. Elle a commencé à
hurler, hurler. Les soldats ont dit : "Tire-la dans notre direction, ne la laisse pas s’éloigner." Et elle criait de plus en plus. Cela ne l’a pas ému. Soudainement, elle s’est mise crier : "J’ai accouché, Daoud, j’ai accouché !" J’ai alors répété ce qu’elle venait de dire pour que les soldats l’entendent. En hébreu et en arabe. Ils ont entendu. »
Peu après, Rula a crié : « La fillette est morte ! La fillette est morte ! »
Daoud, affolé et craignant pour la vie de sa femme, a dû couper le
cordon ombilical avec une pierre. Plus tard, le docteur qui a examiné le
corps à l’hôpital a révélé que la fillette était morte « d’une blessure sérieuse infligée lorsqu’elle est sortie du conduit utérin ».
Commentant la mort similaire d’un autre nouveau-né palestinien à un
autre barrage israélien, une porte-parole de Médecins israéliens pour
les droits de l’Homme a dit : « Nous ne savons pas
combien sont mort ainsi parce que plusieurs personnes ne prennent même
pas la peine d’aller à l’hôpital, sachant que les soldats les en
empêcheraient. (...) Ces personnes ne représentent pas une menace pour
Israël. Ceux qui le sont, tels les kamikazes, ne passent évidemment pas
par les barrages, qui existent uniquement pour contrôler, subjuguer et
humilier les gens ordinaires. C’est comme un terrorisme routinier. »
ii) Chasser les enfants comme sport
Le journaliste vétéran états-unien Chris Hedges décrit dans Harper’s
comment les soldats israéliens dans la Bande de Gaza maudissent et
provoquent systématiquement les enfants qui jouent dans les dunes au sud
de Gaza. Puis, lorsque les enfants deviennent finalement excédés et
commencent à lancer des pierres, les soldats répondent avec
préméditation à balles réelles à l’aide de fusils mitrailleurs munis de
silencieux. « Plus tard », écrit Hedges, « à l’hôpital, je vois les ravages : les estomacs arrachés, les trous béants dans les côtes et les torses ». Il conclut ensuite : « Des
enfants ont été tués dans d’autres conflits auxquels j’ai assisté,...
mais je n’avais encore jamais vu des soldats attirer des enfants comme
des souris dans une trappe et les tuer comme un sport. »
iii) Les patients et le siège
Rapportant un incident particulièrement horrible, Gideon Levy écrit dans Ha’aretz : « Les
soldats ont obligé Bassam Jarar, un double amputé ayant des problèmes
aux reins, et Mohammed Asasa, complètement aveugle, à sortir de
l’ambulance. Les deux hommes revenaient d’une dialyse. Environ une
demi-heure s’est écoulée, et le sang a commencé à couler du tube qui est
inséré en permanence dans l’abdomen de Jarar. "J’ai dit aux soldats
dans le blindé que je saignais. Il m’a dit de m’asseoir et qu’ils me
conduiraient vers un médecin. Nous nous sommes assis là au soleil
pendant près d’une heure." (...) Le saignement s’est
aggravé. Après environ une heure, deux soldats sont arrivés et ont
soulevé Jarar et l’ont placé sur le plancher de leur jeep. "Je leur
ai dit que je ne pouvais pas voyager dans une jeep. Ils ont dit que
c’est tout ce qu’il y avait et qu’ils me conduisaient chez un docteur.
Il a conduit comme un maniaque, j’étais secoué de tous bords et j’avais
mal partout. Je leur ai dit que je souffrais. Ils ont dit : "N’aie pas peur, tu ne mourras pas."
Il y avait quatre soldats dans la jeep et j’étais sur le plancher. Il
ne ralentissait pas. Et les soldats riaient et ne me regardaient pas du
tout." »
iv) Violences sexuelles
Lors d’un autre crime, deux officiers de la police
frontalière israélienne ont contraint un berger palestinien à porter sur
son dos la selle de son âne et à marcher d’avant en arrière devant
eux ; ensuite, sous la menace de son arme, un des deux l’a forcé à avoir
une relation sexuelle avec son âne pendant une demi-heure, tel que
documenté par B’Tselem. Influencé par cette culture d’humanisation
relative de « l’autre », Nathan Lewin, candidat potentiel à un poste de
juge fédéral à Washington et ancien président de l’Association
internationale des avocats et juristes juifs, écrit : « Si
l’exécution de la famille de quelques kamikazes sauve la vie ne
serait-ce que d’un nombre égal de victimes potentielles civiles,
l’échange est, je crois, éthiquement acceptable. (...) C’est une
politique issue de la nécessité - le besoin de trouver un véritable
dissuasif lorsque la peine capitale est apparemment sans effet. »
Mettant de côté la diplomatie, « civil » ne s’applique
ici qu’aux « Juifs », évidemment. Alan Dershowitz, professeur de droit à
Harvard, a conseillé similairement à Israël de raser complètement tout
village palestinien qui abrite un kamikaze. Il n’est pas surprenant,
dans ce contexte, qu’une personne aussi moralement constante que
Shulamit Aloni, ancienne membre de la Knesset, trouve nécessaire de
dire : « Nous n’avons pas de chambres à gaz ni de fours crématoires, mais il n’y a pas qu’une seule façon de perpétrer un génocide. »
- Est-ce que les Israéliens savent ?
Selon moi, le journaliste britannique Jonathan Cook dit vrai lorsqu’il écrit : « [Les Israéliens] savent
précisément ce qui arrive : leur conditionnement sioniste les empêche
simplement de voir la signification. Tant que l’ennemi est Arabe, tant
que l’excuse fourre-tout de la sécurité peut être invoquée et tant
qu’ils croient que l’antisémitisme persiste partout, alors le public
israélien peut dormir paisiblement quand un autre enfant [palestinien]
est tué en roulant sur sa bicyclette, quand la maison d’une autre
famille est rasée, quand une autre femme fait une fausse couche à un
barrage. (...) Il semble qu’un peuple qui a été éduqué à croire que tout
peut être fait en son nom - tant et aussi longtemps que cela sert les
intérêts des Juifs et de leur État - n’a pas besoin d’ignorance. Il peut
commettre des atrocités en ayant les yeux grands ouverts. »
Cela n’est pas nouveau. Le penseur sioniste Ahad Ha’am a
décrit ainsi l’attitude anti-arabe des colons juifs qui venaient en
Palestine pour échapper à la répression en Europe, bien avant qu’Israël
soit créé : « Ils étaient serfs en terres de diaspora,
et ils se sont soudainement trouvés en liberté [en Palestine] ; ce
changement a réveillé en eux une inclination au despotisme. Ils traitent
les Arabes avec hostilité et cruauté, les privent de leurs droits, les
offensent sans raison et se vantent même de ces actions. Et personne
parmi nous ne s’oppose à cette inclination ignoble et dangereuse. »
Mais si c’est vrai, on peut alors apporter deux
explications - qui ne s’excluent pas nécessairement l’une l’autre - pour
expliquer l’acceptation des Israéliens, et parfois leur soutien
fervent, à cette violation systématique des droits fondamentaux de
l’Homme :
Une croyance répandue voulant que leur guerre
démographique contre les Palestiniens puisse être gagnée en mettant en
œuvre la suggestion du ministre Benny Elon, qui a appelé à
l’intensification du siège et de la répression afin de « rendre leur vie si pénible qu’ils se transféreront eux-mêmes volontairement ».
Laïque ou non, la racine de la perception bien arrêtée
des Israéliens selon laquelle les Palestiniens sont moins humains, est
nourrie par une tradition coloniale raciste et un fondamentalisme juif
en croissance.
Je vais m’attarder un peu sur ce dernier point.
Il est banal de lire quelque chose au sujet du
fondamentalisme islamiste et de son activisme, de son anachronisme et de
sa haine intrinsèque de « l’autre ». Toutefois, le fondamentalisme juif
est un tabou qui n’est pratiquement jamais évoqué en Occident pour des
raisons qui dépassent la portée de cet essai. Mais le fondamentalisme
juif gagne constamment du terrain en Israël, faisant de l’État, tel que
le décrit le journaliste vétéran britannique David Hirst le décrit, un
État « non seulement extrémiste par le tempérament,
raciste par la pratique, [mais aussi] de plus en plus fondamentaliste
par l’idéologie qui le conduit ».
Par exemple, se référant à la loi juive, ou Halacha, le
rabbin Ginsburg, rabbin d’une puissante secte hassidique, a défendu le
massacre de Musulmans dans la mosquée d’Hébron en 1994, en disant : « Légalement,
si un Juif tue un non Juif, il n’est pas considéré comme un meurtrier.
Il n’a pas transgressé le sixième commandement... Il y a quelque chose
de bien plus sacré et unique dans une vie juive que dans une vie non
juive. »
Le rabbin Shaoul Israeli, une des plus hautes autorités
rabbiniques du Parti religieux national et du sionisme religieux en
général, a justifié le massacre de Qibya de 1953, perpétré par une unité
de l’armée israélienne dirigée par Ariel Sharon, en citant lui aussi la
loi juive. Il a écrit : « Nous avons établi qu’existe
le terme spécial de "guerre de revanche" et que c’est une guerre contre
ceux qui haïssent les Juifs et [il y a] des lois spéciales qui
s’appliquent à une telle guerre... Lors d’une telle guerre, rien
n’oblige à prendre des précautions au cours des actes de guerre afin que
les non-combattants ne soient pas blessés, puisque lors d’une guerre,
les bons et les mauvais sont tués. (...) La guerre de revanche est basée
sur l’exemple de la guerre contre les Mèdes au cours de laquelle les
petits enfants ont aussi été exécutés, et nous pouvons nous interroger
sur cela, à savoir comment ils avaient péché. Mais nous avons déjà
trouvé dans les paroles de nos sages - que leur mémoire soit sacrée -
que les petits enfants doivent mourir à cause des péchés de leurs
parents. »
Le système israélien de discrimination raciale : intelligent, nuancé, mais toujours de l’apartheid
L’universitaire états-unien Edward Herman a écrit : « Si
les Juifs de France devaient avoir en leur possession des cartes
d’identité les désignant comme Juifs (bien que citoyens français), ne
pouvaient acheter une terre ou se porter acquéreur ou locataire d’une
résidence dans la majeure partie du pays, n’étaient pas admis au service
militaire et si la loi française bannissait tout parti politique ou
législation demandant les droits égaux pour les Juifs, est-ce que la
France serait largement louée aux États-Unis en tant que "symbole de la
décence humaine" (New York Times) et un modèle de
démocratie ? Y aurait-il de vastes protestations si la France, en
conséquences de telles lois et pratiques, était qualifiée, par une
majorité de membres de l’ONU, d’État raciste ? »
Défendre une égalité complète et sans équivoque entre
les Arabes et les Juifs en Israël est devenu synonyme de sédition, voire
de trahison. Un juge de la Cour suprême israélienne a récemment déclaré
qu’il « est nécessaire d’empêcher un Juif ou un Arabe
qui appelle à l’égalité des droits pour les Arabes de siéger à la
Knesset ou d’y être élu ».
Un sondage récent, réalisé par l’Institut israélien de
démocratie, révèle que 53 % des Juifs israéliens s’opposent à ce que des
droits égaux soient accordés aux citoyens palestiniens d’Israël, et
qu’un stupéfiant 57 % croient qu’ils devraient être « encouragés à
émigrer ». Une des principales conclusions est que lorsque les Juifs
israéliens disent « nous », ils y incluent bien peu souvent les citoyens
palestiniens de l’État.
En ce qui concerne les droits à la propriété immobilière, l’inégalité est catégorique. « En terre d’Israël, il est interdit de vendre un appartement à un Gentil »,
affirmait le Grand rabbin d’Israël en 1986, commentant la tentative
d’un Palestinien pour acheter un logement appartenant au Fond National
Juif à Jérusalem-Est.
Dans les autres aspects vitaux de la vie, y compris les
lois sur le mariage, le développement urbain et l’éducation, Israël a
perfectionné un système complet de discrimination raciale envers ses
citoyens palestiniens, qui n’a aucun parallèle dans le monde
d’aujourd’hui.
Du fait de toutes les dimensions de l’occupation
militaire décrite ci-avant, le statu quo est intenable, que ce soit à
cause de la résistance palestinienne ou de la condamnation
internationale croissante.
4 - Le nettoyage ethnique : la solution finale d’Israël face au problème démographique palestinien
Les politiciens, intellectuels et médias de masse
israéliens débattent souvent passionnément pour trouver la meilleure
façon de faire face à la « guerre » démographique avec les Palestiniens.
Peu d’Israéliens se dissocient de la croyance voulant qu’une telle
guerre existe ou devrait exister. L’appel populaire en faveur de la
subordination de la démocratie à la démographie a cependant entraîné
l’adoption de mécanismes de contrôle de la population, visant à
contrôler le nombre de Palestiniens, qui ne sont pas sans rappeler
quelque chose.
Donnant un pur exemple d’un tel mécanisme, le Conseil démographique israélien a été convoqué l’année dernière pour « encourager
les femmes juives israéliennes - et elles seules - à augmenter le
nombre de leurs enfants ; un projet qui, si on en juge par les activités
du précédent conseil, essayera aussi de limiter les avortements », tel que rapporté par Ha’aretz.
Ce groupe prestigieux, qui est formé des plus importants gynécologues,
figures publiques, avocats, scientifiques et médecins israéliens, se
concentre sur l’augmentation du ratio de Juifs par rapport aux
Palestiniens en Israël, en employant « des méthodes pour augmenter le taux de fertilité israélien et pour empêcher l’avortement ».
À côté de cette ingénierie démographique, cette
« guerre » ouverte contre la croissance de la population palestinienne a
toujours impliqué l’incitation à l’immigration en Israël pour les non
Arabes, juifs ou non, d’un peu partout dans le monde - de préférence,
mais pas nécessairement, la partie blanche - pour être éventuellement
israélisés (6). L’universitaire israélien Boaz Evron a écrit : « La
crainte de la "menace démographique" a hanté le sionisme depuis ses
tous débuts. En son nom, des Éthiopiens ont été faits juifs malgré
l’objection de rabbins. En son nom, des centaines de milliers de Slaves
sont venus ici en portant la Loi du Retour comme feuille de figuier. En
son nom, des émissaires ont été envoyés de par le monde pour trouver de
plus en plus de Juifs. »
Avec le soutien du gouvernement, par exemple, une
organisation sioniste, Amatzia, a organisé l’adoption d’enfants
étrangers par des familles juives ayant des problèmes de fertilité,
insistant seulement sur la condition que les enfants doivent être
convertis au judaïsme à leur arrivée en Israël. La Roumanie, la Russie,
le Guatemala, l’Ukraine et les Philippines étaient les principaux pays
d’origine des enfants ; mais maintenant, après qu’ils se soient
« taris », l’Inde est devenue la source de choix, principalement pour la
relative facilité d’y acquérir les « biens ». La directrice d’Amatzia,
Shulamit Wallfish, recherche particulièrement les enfants du nord de
l’Inde, « où la peau des enfants est plus pâle, ce qui convient mieux aux familles israéliennes », selon elle.
Plus préoccupé par l’imminente augmentation de la
majorité arabe entre le Jourdain et la Méditerranée que par la « pureté
juive » souvent invoquée et sanctifiée, Ariel Sharon a en effet demandé
aux dirigeants religieux d’accélérer la progression de l’immigration et
de l’absorption des non Arabes, même s’ils ne sont pas juifs, afin de
fournir à Israël un « régulateur à la population arabe en plein essor », rapporte le Guardian. La vision du gouvernement israélien est que « tandis
que la première génération de chaque vague d’immigration peut avoir de
la difficulté à embrasser Israël et la judéité, leurs fils et filles
deviennent fréquemment de fervents sionistes. Dans le climat actuel, ils
sont souvent très à droite. »
Quoique très populaire, une telle politique n’est pas
endossée par tous. Par exemple, Eli Yishai, le dirigeant du plus
important parti juif séfarade, le Shas, qui est particulièrement
préoccupé par l’influx de Gentils, prévient hystériquement : « D’ici
la fin de l’année 2010, l’État israélien perdra son identité juive. Un
État laïque amènera... des centaines de milliers de goy qui construiront
des centaines d’églises et ouvriront plus de magasins pour vendre du
porc. Dans toutes les villes, nous verrons de sapins de Noël. »
Le ministre israélien d’extrême-droite Effie Eitam prédit une autre alternative : « Si vous ne donnez pas le droit de vote aux Arabes, le problème démographique se résoudra de lui-même. »
Le Dr Amnon Raz-Krakotzkin de l’Université Ben Gourion
est un des Israéliens consciencieux qui est révolté par ce langage de
contrôle démographique qui n’est pas sans rappeler quelque chose. Il a
écrit : « C’est effrayant, lorsque les Juifs parlent de démographie. »
Se dissociant également de la principale vision israélienne, Boaz Evron écrit : « Lorsque
nous arrêterons de définir notre essence nationale par des critères
religieux, de forcer la conversion de ceux qui sont de bons citoyens
israéliens, et que nous abandonnerons les préférences effectivement
illégales accordées aux Juifs, il deviendra subitement évident qu’il n’y
a aucune raison de se préoccuper de la « menace démographique. »
Cependant, le mécanisme favori a toujours été le
nettoyage ethnique. Sans cesse pratiqué, toujours populaire, mais
continuellement nié par les sionistes, le nettoyage ethnique a été
ressorti des cartons du sionisme au cours des dernières années pour
occuper son propre trône.
Le célèbre historien Benny Morris a récemment affirmé
que si la Palestine avait été complètement vidée de sa population
indigène arabe en 1948, cela aurait conduit à la paix au Proche-Orient.
En réponse, Baruch Kimmerling, professeur à l’Université hébraïque, a écrit : « Laissez-moi
compléter la logique de Benny Morris... Si le programme de la solution
finale nazie au problème juif avait été mené à son terme, il y aurait
assurément la paix en Palestine aujourd’hui. »
Alors, pourquoi Israël n’agit-il pas maintenant en
fonction de ses désirs ? Le professeur Ilan Pappé de l’Université de
Haïfa a une réponse convaincante : « Les contraintes qui
pèsent sur le comportement d’Israël ne sont pas de nature morale ou
éthique, mais plutôt techniques. Jusqu’où pouvons-nous aller sans
transformer Israël en un État paria ? Sans susciter des sanctions
européennes, ou sans rendre la vie trop difficile aux États-Unis ? »
Offrant une explication diamétralement opposée, Martin
Van Creveld, le plus important historien militaire israélien, qui
soutient le nettoyage ethnique, écarte avec arrogance toute
préoccupation face à l’opinion internationale, émettant le formidable
avertissement suivant : « Nous possédons plusieurs
centaines d’ogives nucléaires et de missiles et pouvons les lancer sur
des cibles dans toutes les directions, peut-être même sur Rome. La
plupart des capitales européennes sont des cibles pour notre aviation.
(...) Laissez-moi citer le général Moshe Dayan : "Israël doit être comme un chien fou, trop dangereux pour l’ennuyer."
(...) Notre armée n’est pas la trentième plus puissante au monde, mais
plutôt la deuxième ou la troisième. Nous avons la capacité d’entraîner
le monde avec nous dans une chute. Et je peux vous assurer que cela se
produira avant qu’Israël coule. »
Cela devrait amplement expliquer
pourquoi les Européens ont récemment rangé Israël au premier rang des
pays qu’ils considèrent comme une menace à la paix.
Pourtant, une troisième explication, qui converge avec
celle de Pappé, est qu’Israël jouit présentement du meilleur des deux
mondes : il met en œuvre - sur le terrain - un réseau élaboré de
politiques qui rendent la vie des Palestiniens progressivement plus
intolérable, et crée ainsi un environnement favorable à un nettoyage
ethnique graduel, tout en ne créant pas de scène dramatique - du style
Kosovo - qui alarmerait le monde, suscitant la condamnation et de
possibles sanctions. (7)
5. Israël : les contradictions essentielles indéfendables
L’exclusivité raciale inhérente d’Israël, telle que
démontrée plus haut, a convaincu plusieurs citoyens palestiniens de
l’État qu’ils ne sont pas seulement dans les marges, mais somme toute
non désirés. Ameer Makhoul, le directeur général d’Ittijah,
l’organisation qui regroupe les ONG palestiniennes en Israël, a écrit :
« L’État d’Israël est devenu la principale source de
danger pour le million de Palestiniens qui sont citoyens de l’État qui
leur a été imposé en 1948 ; un État qui a été érigé sur les ruines du
peuple palestinien... Les citoyens palestiniens d’Israël ne peuvent se
défendre en se basant sur le système juridique et la Knesset. Ce public
n’a pas confiance dans l’État et ses institutions, puisque les règles du
jeu israélien ne permettent que la discrimination, le racisme et la
répression des aspirations collectives. »
À côté de ce que les Palestiniens pensent ou veulent, la
question devrait être posée : est-ce qu’un État qui insiste sur la
pureté ethnique peut être qualifié de démocratie, sans priver ce concept
de son essence ? Même les loyaux amis d’Israël ont commencé à perdre
foi en sa capacité à réconcilier ce qui est fondamentalement
irréconciliable : la démocratie libérale moderne et l’ethnocentrisme
anachronique. Écrivant dans le New York Review of Books, le professeur de l’Université de New York Tony Judt affirme que : « Dans
un monde où les nations et les peuples s’entremêlent et se marient
entre eux, où les obstacles culturels et nationaux à la communication se
sont effondrés, où de plus en plus de gens parmi nous ont des identités
multiples et se sentiraient contraints s’ils devaient ne se rattacher
qu’à une seule, dans un tel monde, Israël est vraiment un anachronisme.
Et pas simplement un anachronisme, un anachronisme dysfonctionnel. Dans
le "choc des cultures" d’aujourd’hui entre les démocraties ouvertes et
pluralistes et les États ethniques agressivement intolérants et conduits
par la foi, Israël risque bel et bien de finir dans le mauvais camp. »
Avraham Burg, un dirigeant sioniste engagé, est parvenu à
une conclusion similaire. Attaquant la direction israélienne comme une
« clique amorale », Burg soutient qu’Israël, qui « repose sur un échafaudage de corruption et sur des fondations d’oppression et d’injustice », doit « abandonner ses illusions et choisir entre l’oppression raciste et la démocratie ».
6. Un État laïque et démocratique : de nouveaux horizons
Peu importe ce qu’en disent nos hypocrites, nos vendus
ou nos « faux prophètes », Israël, en tant qu’État exclusiviste et
colonial (8),
n’a aucune chance d’être accepté ou pardonné par ses victimes - et
comme il devrait le savoir, ce sont les seuls dont le pardon est
important. Malgré la peine, la perte et la colère que l’humanisation
relative engendre inévitablement en eux, les Palestiniens ont
l’obligation de différencier la justice de la revanche, la première
impliquant une décolonisation essentiellement morale, tandis que la
deuxième descend dans un cycle vicieux d’immoralité et de désespoir.
Comme l’a écrit l’éducateur brésilien feu Paulo Freire : « La
déshumanisation, qui ne marque pas seulement ceux dont l’humanité a été
volée, mais aussi (quoique de façon différente) ceux qui l’ont volée,
est une distorsion de la vocation à devenir plus humain. (...) [La]
lutte [pour l’humanisation] est possible uniquement parce que la
déshumanisation, tout en étant un fait historique concret, n’est pas un
destin, mais le résultat d’un ordre injuste qui engendre la violence
chez l’oppresseur qui, à son tour, déshumanise l’opprimé. (...) Afin que
cette lutte ait un sens, l’opprimé ne doit pas, en cherchant à
recouvrer son humanité (qui est une voie pour la créer), devenir
l’oppresseur des oppresseurs, mais plutôt restaurateur de l’humanité des
deux. »
Rejetant la relative humanité de tout bord, et insistant
sur la cohérence ethnique, je crois que la façon la plus morale de
parvenir à une paix juste et durable dans l’ancienne terre de Palestine
passe par l’établissement d’un État laïque et démocratique entre le
Jourdain et la Méditerranée, ancré dans une égale humanité et, en
conséquence, dans les droits égaux. La solution à un État, qu’il soit
binational - une notion qui est largement basée sur la fausse prémisse
voulant que la seconde nation en question soit définie (9)
- ou laïque et démocratique, offre une véritable chance à la
décolonisation de la Palestine sans transformer les Palestiniens en
oppresseurs de leurs anciens oppresseurs. Le cycle vicieux qui a
commencé avec l’Holocauste doit prendre fin une fois pour toutes.
Cette nouvelle Palestine devrait :
avant toute autre chose permettre et faciliter le retour et la
compensation à tous les réfugiés palestiniens, seule restitution éthique
acceptable à l’injustice qu’ils ont vécue depuis des décennies.
Toutefois, un tel processus devra continuellement maintenir un impératif
moral, c’est-à-dire éviter d’infliger une souffrance inutile ou injuste
à la communauté juive en Palestine.
Accorder une citoyenneté pleine, égale et sans équivoque à tous les citoyens, Juifs ou Arabes.
Reconnaître, légitimer et même nourrir les
particularités culturelles, religieuses et ethniques et les traditions
de chacune des communautés. Comme règle générale, je souscris à ce que
le professeur Marcelo Dascal de l’Université de Tel-Aviv a proposé avec
perspicacité :
« La majorité a
l’obligation d’éviter autant que possible l’identification de la
structure de l’État avec des traits qui empêchent la minorité de s’y
engager. »
Les Israéliens devraient reconnaître ce défi moral
palestinien posé devant leur existence coloniale non pas comme une
menace existentielle, mais plutôt comme une invitation magnanime à
démanteler le caractère colonial de l’État, à permettre aux Juifs de
Palestine de jouir finalement de la normalité, en tant qu’humains égaux
et citoyens égaux d’un État laïque et démocratique - une terre
réellement prometteuse en lieu et place d’une fausse Terre Promise.
Cela confirmerait certainement que Roosevelt n’est pas seulement mort, mais qu’il était aussi dans l’erreur.
Omar Barghouti
Traduit de l’anglais par Olivier Roy
(Montréal, Québec)
Notes
L’article anglais comporte 61 notes. La majorité d’entre
elles fournissent les références des nombreuses citations qui émaillent
le texte. Nous avons choisi de ne traduire que les notes qui ajoutent
un contenu au texte.
[1] Plusieurs études
archéologiques ont démontré que la plupart des histoires contenues dans
la Bible et utilisées par les sionistes pour étayer leur revendication
de la Palestine ne sont pas soutenues par l’histoire de la région, qui
« est basée sur des évidences directes provenant de
l’archéologie et de la géographie historique et est soutenue par des
analogies qui sont principalement issues de l’anthropologie, de la
sociologie et de la linguistique », comme l’a écrit l’archéologue
Thomas L. Thompson. Ses découvertes sont soutenues par les recherches
étendues, méticuleuses et faisant autorité de distingués archéologues
israéliens tels que Ze’ev Herzog et Israël Finkelstein.
[2] Henry Kissinger a défini l’objectif israélien ultime comme « une normalité qui met un terme à toutes les revendications [palestiniennes] et détermine un statut légal permanent ».
En conséquence, il a continuellement conseillé à Israël, en retour de
la reconnaissance de l’État palestinien, d’insister sur une contrepartie
qui inclurait « une renonciation formelle à toute revendication [palestinienne] future ». Cela, affirme-t-il, était « l’essence d’un caractère raisonnable pour les États-uniens et les Israéliens ».
[3] Les célèbres écrivains israéliens A.B. Yehoshua et Amos Oz ont écrit : « Nous
ne pourrons jamais accepter le retour des réfugiés à l’intérieur des
frontières israéliennes, puisqu’un tel retour signifierait l’élimination
de l’État d’Israël. »
[4] L’examen par Amnistie Internationale de la conduite israélienne au cours de l’actuelle Intifada l’a amené à conclure que : « Il y a un modèle de violations grossières des droits de l’Homme qui pourraient très bien constituer des crimes de guerres. »
[5] Plusieurs chercheurs
ont démontré que l’ainsi nommée « clôture de séparation » sépare
effectivement les Palestiniens de leurs terres et les isole dans des
bantoustans restreints, pleinement sous contrôle de l’armée israélienne.
Ainsi, le seul nom correct et adéquat pouvant être appliqué à cette
clôture gargantuesque est : Mur de l’Apartheid, comme plusieurs ont
commencé à l’appeler.
[6] « L’assimilation
israélienne » d’étrangers non Juifs dissout la majorité juive selon de
récentes études démographiques. Selon les statistiques les plus
conservatrices - et à mon avis trompeuses - environ 10% de la supposée
population juive d’Israël est réellement non juive.
[7] Les militants pacifistes Gadi Algazi et Azmi Bdeir expliquent : « Le
transfert n’est pas nécessairement un moment dramatique, un moment où
les gens sont expulsés et fuient leurs villes et villages. Ce n’est pas
nécessairement un mouvement planifié et bien organisé avec des autobus
et des camions emplis de gens... Le transfert est un processus plus
profond, un processus rampant caché à la vue. (...) La principale
composante du processus et le sapement graduel de l’infrastructure de
vie de la population palestinienne dans les Territoires : son
étranglement continu au milieu des bouclages et des sièges qui empêchent
les gens d’aller au travail ou à l’école, de recevoir les services
médicaux et de permettre le passage des citernes d’eau et des
ambulances, ce qui repousse les Palestiniens à l’âge de l’âne et de la
charrette. Prises ensemble, ces mesures minent l’emprise de la
population palestinienne sur sa terre. »
[8] Même l’ancien adjoint au maire de Jérusalem, Meron Benvenisti, a dit : « ...au
cours des deux dernières années, je suis arrivé à la conclusion que
nous avons affaire à un conflit entre une société d’immigrants et une
société indigène. En un tel cas, nous parlons d’un conflit entièrement
différent. (...) Parce que l’élément fondamental ici ne consiste pas en
deux mouvements nationaux qui se font face ; l’élément fondamental en
est un d’indigènes et de colons. C’est l’histoire d’indigènes qui
sentent que des gens venant de la mer ont infiltré leur habitat naturel
et les ont dépossédés. »
[9] Le binationalisme est
basé sur deux suppositions problématiques : que les Juifs forment une
nation, et qu’une telle nation a le droit d’exister en tant que telle en
Palestine. Clairement, le bi nationalisme ne peut fonctionner entre les
Palestiniens d’un côté et les Juifs du monde de l’autre. Mais est-ce
que les Juifs israéliens se définiraient comme une nation ? Probablement
que non, puisque cela contredirait la prémisse fondamentale du
sionisme. Alors, est-ce que les Israéliens se voient comme une nation ?
Certainement pas, puisqu’en plus de se séparer du sionisme, cela
impliquerait aussi la minorité de 20% de Palestiniens.
Omar Barghouti est un
militant des droits humains, membre fondateur du mouvement de boycott
mondial contre Israël à direction palestinienne, et auteur de Boycott, désinvestissement, sanctions. (BDS) contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine (Éditions La Fabrique).
6 novembre 2011 - Mediapart par fxavier