publié le
dimanche 2 octobre 2011
Itay Epshtain - ICAHD
La
politique d’Israël de colonisation a fait que l’été 2011 a battu tous
les records en expansion des colonies, aux dépens des communautés
palestiniennes.
Quelques heures après la
démolition de sa modeste maison par les bulldozers israéliens, Khaled
Abdallah Ali Ghazal se tient debout jambes écartées sur les décombres
dans la chaleur torride du désert, et jure de ne pas partir. « Nous
n’avons nulle part ailleurs où aller, nous reconstruirons, » dit-il.
Pour des centaines comme lui dans la vallée du Jourdain, c’est la
réalité de ce que le Comité israélien contre les démolitions de maisons
(ICAHD) appelle « l’été des démolitions ».
La vallée du Jourdain a toujours captivé l’imagination
des voyageurs et des pèlerins faisant allusion à sa représentation
biblique qui la montre comme une terre luxuriante, fertile. Et en effet,
la région profite d’une eau abondante, dans ses profondeurs se trouve
la troisième nappe aquifère souterraine de Cisjordanie. Mais la réalité
profane de la vallée du Jourdain, c’est la ségrégation et l’apartheid
des ressources terrestres et aquifères.
Alors que les colonies juives illégales s’éparpillent
dans le paysage avec des palmeraies-dattiers et des vignobles
florissants, les communautés palestiniennes doivent se battre pour avoir
un abri, de l’eau potable et des moyens rudimentaires pour la santé et
l’enseignement. La politique d’Israël de colonisation a fait que l’été
2011 a battu tous les records en expansion des colonies, aux dépens des
communautés palestiniennes.
Courant le long de la Cisjordanie, la vallée du Jourdain
en couvre près de 30 % du territoire, avec une surface totale de 2400
km². Avant l’occupation de 1967, quelque 250 000 Palestiniens vivaient
ici, mais, selon un récent sondage du Bureau central palestinien des
statistiques, il en reste moins de 65 000 aujourd’hui.
La vallée du Jourdain tombe sous le contrôle total
israélien avec l’Accord provisoire israélo-palestinien de 1995, connu
sous le nom d’Accords d’Oslo II, qui l’a classée en Zone C. En vertu des
Accords d’Oslo, les pouvoirs et les responsabilités en matière de
zonage et d’urbanisme dans les Zones C devaient passer sous le contrôle
palestinien, mais cela ne s’est pas fait et Israël a clairement fait
savoir qu’il avait l’intention, illégalement, d’annexer la région et de
la vider de ses habitants palestiniens.
Au cours des huit derniers mois, les démolitions de
maisons et les expulsions forcées ont quintuplé par rapport à 2010. Un
total de 184 structures, principalement des maisons abritant des
familles, ont été démolies, déplaçant des centaines de familles et
dispersant les communautés. Cette escalade ponctue toute une série
d’agressions de colons qui veulent s’emparer des terres des communautés
palestiniennes.
L’une de ces communautés est Fasayil al-Wusta, où des
démolitions à grande échelle se sont produites plus tôt dans l’été.
Vingt-et-une structures - 18 maisons et 3 enclos pour animaux - ont été
démolies par l’Administration civile israélienne, laissant 103
personnes, dont 64 enfants, sans abri et exposées à l’environnement
hostile du désert. Durant les démolitions, auxquelles s’est ajoutée la
violence d’une cinquantaine de gardes-frontière, le patriarche de la
communauté, Ali Salim Abiat, a été blessé. Aucune allocation de
relogement ni indemnité n’ont été accordées aux victimes des
démolitions.
Fasayil al-Wusta est le foyer d’une communauté bédouine
palestinienne dont les membres sont originaires de la région de
Bethléhem. Elle s’est trouvée coincée entre les colonies de Tomer, Yaift
et Patzael, dont les résidents convoitent les terres cultivées par les
Palestiniens pour l’expansion de leurs plantations. Après les
démolitions, la communauté palestinienne a été dispersée, ce qui a
permis aux colons d’obtenir ce qu’ils voulaient.
Au nord de Fasayil al-Wusta s’étend le check-point
d’al-Hamra, isolant la vallée du Jourdain du reste de la Cisjordanie. En
2006, Israël a imposé l’interdiction aux Palestiniens qui ne vivaient
pas à l’époque dans la vallée du Jourdain de se déplacer librement dans
la région. Les restrictions à ses accès se sont concrétisées par 18
clôtures, six tranchées et des monticules de terre sur un total de 50
km, plus quatre portes agricoles prétendument conçues pour permettre aux
communautés palestiniennes séparées de leur réseau de distribution
d’eau de transporter de l’eau sur leurs terres et dans leurs maisons.
Les mesures employées par Israël, en opposition
flagrante avec la loi internationale sur les droits de l’homme, ont
conduit à ce que des milliers de dunums (10 dunums = 1 ha) sont
maintenant inaccessibles aux communautés palestiniennes qui vivent sans
ressources dans une région autrefois opulente.
Abu Saker, du village d’al-Jiftlik, explique ses
contraintes pour approvisionner sa famille en eau : « Pour acheter
l’eau, je dois conduire mon tracteur pendant trois heures à l’aller et
autant au retour, alors que notre puits ici est réservé aux seuls
juifs ». La porte agricole, officiellement ouverte trois jours par
semaine, 20 minutes le matin, et 20 minutes l’après-midi, est en
pratique rarement ouverte et les Palestiniens doivent faire la queue
pendant des heures pour accéder à l’eau, aux soins, et à l’enseignement.
Une même politique de sanctions s’applique à une autre
collectivité à la périphérie de Jérusalem, Khan al Ahmar, qui abrite une
communauté bédouine palestinienne de réfugiés de 1948. Ces Palestiniens
sont exposés à un déplacement imminent si les autorités israéliennes
mettent à exécution leurs projets de démolitions de leurs maisons et
école, dans les prochaines semaines. Khan al Ahmar est l’une des 20
communautés bédouines de la région devenues victimes d’un nettoyage
ethnique, Israël tentant de créer une continuité entre Jérusalem-Est
judaïsée, la colonie de Ma’ale Adumin avec ses 40 000 colons, dans le
centre de la Cisjordanie, et les colonies de la vallée du Jourdain.
Les autorités israéliennes considèrent que les
communautés bédouines comme Khan al Ahmar, qui représentent plus de 2300
personnes, « interfèrent » avec l’expansion planifiée de Ma’ale Adumin,
Kfar Adumin et des autres colonies, et avec la construction de la
clôture de Cisjordanie.
L’école de Khan al Ahmar, construite par la communauté,
est la seule à offrir un enseignement primaire aux enfants de la tribu
bédouine Arab al-Jahalin. Montée en 2009 dans le respect de
l’environnement - l’école est faite de pneus usés et de briques de
boue -, elle dispense un enseignement à plus de 70 élèves. La Cour
suprême israélienne a récemment débouté les colons de Kfar Adumin de
leur demande de fermeture de l’école ; cependant, l’affaire a déclenché
le compte à rebours pour sa démolition.
Pour la création d’un État palestinien viable, la vallée
du Jourdain représente une réserve essentielle de terres, un
arrière-pays agricole et une infrastructure économique stratégique. Non
seulement cela, mais la région donne aussi à l’État potentiel, son
unique entrée terrestre.
Mais depuis le début de son occupation, en 1967, Israël
convoite la vallée du Jourdain, tant pour son potentiel économique que
pour son importance stratégique pour empêcher toute viabilité à un État
palestinien. Il justifie sa présence dans la région comme nécessaire à
sa sécurité - dans son discours de mai devant le Congrès US, le Premier
ministre israélien Benjain Netanyahu a affirmé que dans tout accord
éventuel sur un statut final auquel il pourrait arriver avec les
Palestiniens, Israël gardera le contrôle sur la vallée du Jourdain.
Ainsi, durant les dernières décennies, et plus encore
les six dernières années, depuis son retrait de Gaza, Israël a colonisé
la région en créant ce qu’il considère comme irréversible, « des faits
sur le terrain », avec des colonies et des bases militaires.
Quelque 25 000 Palestiniens des 65 000 à être restés
dans la région vivent à Jéricho, dans ce qui est essentiellement une
prison à ciel ouvert, bordée de check-points et de clôtures de tout
côté. Les autres vivent dans des communautés rurales où la corne
d’abondance généreuse de leurs ressources agricoles d’autrefois s’est
tarie, puisque quasiment toutes les sources d’eau sont aujourd’hui
réservées, exclusivement, pour les colonies.
Israël contrôle maintenant plus de 90 % de la vallée du
Jourdain, grâce à 36 colonies où se sont installés plus de 9000 colons,
et à des zones militaires dites fermées et des réserves naturelles
déclarées. En attendant, les démolitions de maisons, les expulsions
forcées et les confiscations de biens, exacerbées par la violence des
colons et les conséquences économiques des restrictions à leurs
déplacements, mettent les communautés palestiniennes dans l’obligation
de se battre pour gagner leur vie.
L’été des démolitions voit maintenant les Palestiniens
de la vallée du Jourdain vivre dans la crainte constante d’un
déplacement et d’une dispersion, pendant qu’Israël sécurise sa
suprématie et son contrôle sur cette terre troublée.
Itay Epshtain est codirecteur du Comité israélien contre les démolitions de maisons (ICAHD)
7 septembre 2011
CARTES et DOCUMENTS sur l’article source
Première publication sur Palestine News - Automne 2011
traduction : JPP pour l’AFPS