19/10/2011
Le
soldat franco-israélien et le militant franco-palestinien n'ont pas
bénéficié du même traitement en France après leur emprisonnement.
L'étudiant franco-palestinien Salah Hamouri est emprisonné en Israël depuis le 13 mars 2005.
© François Mori
/ Sipa
Par Armin Arefi
Un "immense soulagement". Voilà comment la libération de Gilad Shalit
a été accueillie par Nicolas Sarkozy, qui a pris le soin d'écrire au
soldat franco-israélien, pris en otage pendant cinq ans par le Hamas à
Gaza, une lettre décrivant le "bonheur" et l'"émotion" des Français. Dès
le lendemain, le président français demande avec "insistance" qu'un
autre binational, le Franco-Palestinien Salah Hamouri, fasse "partie de
la seconde vague de libération de prisonniers palestiniens". Or, le même
jour, interrogé sur ce cas à la radio, le ministre de la Défense Gérard Longuet
avoue à la surprise générale "découvrir sa situation", arguant que
"personne n'est parfait". Comme un symbole du silence qui entoure le cas
de ce Franco-Palestinien emprisonné en Israël depuis 2005.
"C'est
la première fois que Nicolas Sarkozy prononce le nom de mon fils en
sept ans", s'émeut Denise Hamouri, mère de Salah. "Mais cette phrase n'a
pas de sens et demeure même contre-productive. Mon fils doit sortir de
prison le 28 novembre prochain. Pourquoi devrait-il attendre le 18
décembre et la seconde vague de libération de prisonniers ?". D'après
une source proche du dossier, c'est le président de l'Autorité
palestinienne, Mahmoud Abbas, qui aurait demandé à son homologue
français d'évoquer le cas du Franco-Palestinien, lors de sa visite en
France le 14 octobre dernier.
Aucune preuve
Né
à Jérusalem, d'un père palestinien et d'une mère française, Salah
Hamouri fait partie des 270 000 Palestiniens habitant Jérusalem-Est, où
il vivait grâce à un titre de résident. Profondément attaché à sa
patrie, le Palestinien n'a pas demandé la nationalité israélienne à
laquelle il pouvait prétendre, et qui lui aurait permis de bénéficier du
statut privilégié des 20 % d'Arabes que compte l'État hébreu. Étudiant
en sociologie à l'université de Bethléem, Salah Hamouri préfère, lui,
militer. "En Palestine, tous les étudiants sont plus ou moins engagés
politiquement", explique sa mère. Cet engagement lui vaudra deux
incarcérations. Au lycée, le jeune homme est arrêté trois mois pour
propagande politique : il avait en fait collé des affiches militantes.
Rebelote en 2004. Il est cette fois arrêté pour avoir fréquenté un
activiste recherché.
Mais sa vie bascule le 13
mars 2005. Sur la route de Ramallah, le jeune homme de 19 ans est
arrêté par les forces de sécurité israéliennes. Une dénonciation anonyme
affirme que le Franco-Palestinien est passé de nuit en voiture devant
le domicile du rabbin Ovadia Yossef, chef spirituel du parti Shass
(ultraorthodoxe séfarade). Celle-ci est confirmée par les caméras de
surveillance de la maison. Très vite, Salah est accusé d'avoir participé
à un complot visant à assassiner le religieux. Pourtant, l'acte
d'accusation révèle un complot "loin de la réalisation" avec "des
éléments essentiels manquants" pour qu'il puisse être exécuté. La source
anonyme ainsi que des prisonniers palestiniens appelés à témoigner
accusent également le jeune homme d'appartenir à un mouvement de
jeunesse proche du Front populaire de libération de la Palestine,
organisation considérée comme terroriste par Israël. "Il est nécessaire,
pour expliquer la sévérité de la peine, de rappeler le contexte
sensible : nous sommes seulement quelques années après la seconde
Intifada", explique une source proche du dossier. Pourtant, l'accusation
portée contre le Franco-Palestinien ne repose sur aucun autre élément.
Curieux "arrangement"
Après
trois ans d'incarcération sans jugement, Hamouri se voit proposer un
"arrangement". Les quatorze années de réclusion criminelle que risque le
jeune homme seront réduites s'il plaide coupable. "C'est la règle pour
90 % des détenus palestiniens dans les prisons militaires israéliennes
qui, en plaidant coupable, s'évitent une trop grosse peine", indique
notre source. Salah Hamouri accepte, et le 17 avril 2008, il est
condamné à sept ans de prison. "Il a été condamné sur la base de ses
propres aveux", indique Yigal Palmor, porte-parole du ministère
israélien des Affaires étrangères. "S'il est convaincu de son innocence,
pourquoi Salah Hamouri n'a-t-il pas interjeté appel auprès de la Cour
suprême ? Pourquoi n'a-t-il pas demandé l'amnistie du président ?"
demande-t-il.
Selon l'acte de condamnation, le
"tribunal reconnaît une peine anormalement élevée, car l'accusé n'a pas
exprimé de regrets. (...) Cela est d'autant plus grave que celui-ci est
jeune." "Salah ne pouvait regretter quelque chose qu'il n'avait pas
commis", s'insurge Denise Hamouri. La mère rappelle qu'un appel ne peut
être interjeté après un tel arrangement.
Indifférence de la France
Face
à ce qu'elle considère comme un "délit d'intention", Denise Hamouri
s'est lancée en France, en compagnie du député honoraire communiste
Jean-Claude Lefort, dans une campagne pour obtenir la libération de son
fils. Mais elle a vite déchanté. "Gilad Shalit et Salah Hamouri n'ont
pas été traités sur un pied d'égalité", estime-t-elle. La femme en veut
pour preuve les nombreuses visites à l'Élysée de Noam Shalit, le père du
soldat franco-israélien, tandis qu'elle a dû se battre pour décrocher
deux rendez-vous avec des conseillers de Nicolas Sarkozy. "On m'a fait
comprendre qu'il fallait que je sois discrète", souligne-t-elle. "La
France n'a eu de cesse de répéter qu'elle n'intervenait pas dans les
procédures judiciaires d'autres pays", rappelle Jean-Claude Lefort.
"Mais pourquoi ce principe n'a-t-il pas été respecté concernant Florence
Cassez au Mexique ?"
La presse non plus ne
s'est pas passionnée pour le cas de Salah Hamouri. "Nous avons effectué
beaucoup de démarches en direction des médias, qui n'ont eu que très
peu de retombées", constate Jean-Claude Lefort. La seule intervention
notoire vient de François Cluzet. Invité sur le plateau du 13 heures de France 2 en novembre 2009,
l'acteur français a affirmé que le Franco-Palestinien était incarcéré
pour "délit d'opinion", provoquant une vive réaction du Bureau national
de vigilance contre l'antisémitisme, qui a saisi le CSA. "En France, on
est accusé d'antisémitisme dès lors que l'on critique la politique des
dirigeants israéliens", déplore Jean-Claude Lefort. "Il existerait donc
plein d'antisémites en Israël", ironise-t-il. Selon Yigal Palmor, Salah
Hamouri a bénéficié d'un avocat lors de son jugement, et a eu accès sans
limites à ce que la justice israélienne met à disposition de tout
accusé : visite médicale et familiale, tout ce dont a été privé Gilad
Shalit. Pour le porte-parole, "comparer les deux cas relève de
l'ignorance inexcusable ou d'une volonté manifeste de manipulation".
Grève de la faim
Le
27 septembre dernier, Salah Hamouri a entamé une grève de la faim dans
sa prison de Guilboa (nord d'Israël). Se joignant à d'autres détenus
palestiniens, il proteste contre le durcissement de leurs conditions de
détention depuis l'enlèvement du soldat Shalit en 2006. Les prisonniers
obtiennent gain de cause, mais les autorités transfèrent le
Franco-Palestinien à l'isolement, puis dans la prison de Shatta, sans
possibilité de voir sa famille, son avocat, ni même le consul de France
jusqu'au 5 novembre suivant. "La vie n'est gaie pour personne en prison,
et Salah Hamouri n'a pas bénéficié d'un traitement particulièrement
mauvais", estime pour sa part Yigal Palmor.
Une
dernière menace se dresse sur le chemin de Salah Hamouri. Une ancienne
loi israélienne, remise à jour depuis la prise d'otage de Shalit, offre
la possibilité à la justice militaire de convertir au cours d'une peine
les années administratives (345 jours) en années civiles (365). Dès
lors, le Franco-Palestinien pourrait devoir passer 140 jours
supplémentaires en prison. Et sa mère de formuler une dernière demande :
"Puisque la France n'a pas pu ou pas voulu aider pour notre fils
pendant tant d'années, nous lui demandons de faire en sorte qu'il sorte
le 28 novembre, à la date prévue."