Fadwa Nassar
Le 3 août 2011
Nombreux sont les Palestiniens à se poser des questions, à propos de la signification de la bataille diplomatique engagée par l’Autorité Palestiniennne pour la reconnaissance par l’ONU de l’Etat palestinien indépendant, sur les territoires occupés en 1967, c’est-à-dire, la Cisjordanie, y compris la partie orientale d’al-Quds, et la bande de Gaza. Une vaste opération médiatique a été lancée, avec des appels à voter sur internet même, pour cette reconnaissance. L’Etat sioniste, soutenu par les Etats-Unis, et dans une moindre mesure, par l’Union européenne et quelques Etats, se sent pris de panique à l’idée de cette reconnaissance. Il a organisé depuis quelques mois une vaste campagne médiatique, politique et diplomatique, contre cette même reconnaissance.
Panique sioniste et impérialiste
Les responsables sionistes de tous bords se sont lancés à l’assaut de la reconnaissance diplomatique de l’Etat indépendant de la Palestine. Il semble même que les congés des fonctionnaires de plusieurs ministères aient été annulés, notamment du ministère des affaires étrangères, en vue de mener cette vaste contre-offensive mystificatrice. Les diplomates sont sur le qui-vive, à croire que la fin de l’Etat sioniste s’annonce très prochainement, comme le disent d’ailleurs clairement journalistes, analystes et politiciens. Pour les dirigeants de l’Etat sioniste, une telle reconnaissance signifierait la mort de leur Etat. Est-ce uniquement de l’exagération en vue d’empêcher une telle reconnaissance, ou bien se cachent d’autres craintes, irraisonnées ou raisonnées, pour l’avenir de l’Etat sioniste ?
D’abord, toute reconnaissance diplomatique de frontières d’un Etat palestinien est un coup porté à l’entité sioniste, qui a vécu jusqu’à l’an 2000 sur un expansionnisme fondé sur une idée mythique, celle d’un royaume juif s’étendant du Nil à l’Euphrate. Après 2000, l’année de la libération du sud-Liban par la force de la résistance, le rêve expansionniste de l’entité coloniale a pris fin. Elle peut mener des guerres, lancer des attaques, détruire d’autres pays, commetre des génocides, mais ne peut s’étendre et occuper d’autres territoires. L’heure de la restitution des territoires occupés a sonné. Mais lorsqu’il s’agit de la Palestine, l’entité sioniste se sent menacé dans son existence même, puisqu’elle a toujours refusé de reconnaître la présence d’un peuple palestinien et même de la Palestine, même dans les frontières de 67, car la Palestine est tout simplement antinomique de l’Etat raciste d’Israël. Or, délimiter un Etat palestinien, par la voie de l’ONU, ne peut être ressenti que comme un « holocauste » (certains journalistes « israéliens » l’ont affirmé), puisqu’il met fin, sur le papier du moins, à l’occupation de 22% de la Palestine.
Ensuite, l’idée même de proclamer « unilatéralement » un Etat palestinien indépendant est considéré par l’Etat sioniste et ses alliés comme un affront. Affront à la soi-disant supériorité de l’Etat sioniste, au soi-disant droit de regard sioniste et impérialiste sur le processus du règlement du conflit, affront à l’arrogance des grandes puissances et de l’Etat sioniste, qui considèrent que l’ONU, donc ce qui appelé « légalité internationale » n’a pas le droit de décider si les puissances occidentales et l’Etat sioniste ne l’ont pas d’abord décidé, affront à l’arrogance occidentale et à Ban Ki Moon, à Kathleen Ashton et tous les serviles envers les sionistes, qui réclament aux Palestiniens de revenir à la table des négociations, de régler la question de la reconnaissance de l’Etat palestinien par les négociations et non par la proclamation « unilatérale » de l’indépendance d’un Etat, car une telle proclamation, si elle se faisait, remettrait en cause le droit que se sont arrogées les puissances impérialistes et coloniales de décider du sort du monde et des Etats.
L’Etat palestinien indépendant : quelle perspective stratégique ?
Il va de soi que le recours de l’Autorité palestinienne à la proclamation « unilatérale » de l’indépendance de la Palestine, dans les instances de l’ONU, fait suite à l’échec de dix-huit années de négociations. Cet échec reconnu par les dirigeants palestiniens qui avaient adopté cette voie, ne l’est apparemment pas par les puissances impérialistes qui ont supervisé ces négociations, puisqu’elles réclament et font pression pour qu’elles reprennent. Sur quelle base ? Nul ne le sait, mais pour ces puissances impérialistes, il ne faut surtout pas que les Palestiniens fassent leur chemin, « nous devons leur tenir la main » semblent-elles dire, « et leur montrer le chemin, par crainte qu’ils ne s’égarent et n’adoptent la voie de la résistance », qui est par ailleurs la seule voie qui assure une solution basée sur la justice et le droit.
Ayant finalement constaté l’échec des négociations, alors que la colonisation se poursuit en Cisjordanie, et notamment dans la ville d’al-Qods, et constaté que l’équipe sioniste au pouvoir ne cherche qu’à mettre en pratique son plan de nettoyage ethnico-religieux, la direction de l’Autorité palestinienne a décidé de passer à l’offensive. Elle ne fait cependant que reprendre la proposition américaine d’une solution au conflit, puisque le président américain précédent et même l’actuel avaient promis que l’Etat palestinien serait proclamé, qui aurait dû l’être bien avant cette année, mais pour eux, il ne s’agissait que de vaines promesses, en vue d’arracher d’autres concessions à l’Autorité palestinienne. Donc, l’idée d’une proclamation de l’Etat palestinien indépendant était déjà en perspective, mais pour les puissances impérialistes, pas de cette manière, ni dans ces frontières. L’Etat palestinien « offert » par les puissances impérialistes, et perçu par les sionistes n’est certainement pas le même que celui revendiqué par l’Autorité palestinienne, ni à plus forte raison, par le peuple palestinien.
Si le bien-fondé de la bataille diplomatique est contesté par de nombreuses voix palestiniennes, ce n’est sûrement pas à partir des considérations sionistes, ni impérialistes. Mais il s’agit d’une question de stratégie, de priorité, de programme politique en vue de libérer la Palestine. En effet, sur le plan interne, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas a profité de « l’échéance de septembre » pour stopper un autre processus, d’autres négociations, internes cette fois-ci, et autrement plus importantes, celles qui touchent à l’unité du peuple palestinien. Suite au changement de pouvoir en Egypte qui a balayé un des pions sionistes dans la région, le président palestinien avait finalement été obligé d’engager des pourparlers avec le gouvernement du Hamas à Gaza, en vue d’unifier la vie politique, sociale et géographique palestinienne. Bien que les pourparlers se poursuivent toujours entre le Fateh et le Hamas, Mahmoud Abbas semble avoir repris de l’assurance en décidant qu’il n’y aurait que Salam Fayyad à la tête du gouvernement unifié palestinien, ce que rejettent de nombreuses personnalités et forces politiques palestiniennes, y compris au sein du Fateh. Avec « l’échéance de septembre », c’est ce processus d’unification qui a été stoppé, au moment où les forces sécuritaires de l’Autorité de Ramallah continuent à faire le « sale boulot » de l’occupant, en arrêtant les résistants en Cisjordanie.
Pour beaucoup de forces palestiniennes, il est nécessaire d’unifier les rangs palestiniens avant de se diriger à l’ONU, mais Mahmoud Abbas en a décidé autrement. Il ira à l’ONU avec le gouvernement de Salam Fayyad, pour reprendre ensuite les pourparlers, armé ou non d’une « victoire » à l’ONU. Ce calcul politique laisse cependant envisager le pire, puisqu’il fait l’impasse d’une réflexion sur le long terme : un Etat palestinien, pour faire quoi ? Non seulement il a tout misé sur ce vote à l’ONU, au point de lancer une campagne médiatique interne pour une « intifada pacifique en Cisjordanie » pour soutenir le vote à l’ONU, qui se déclencherait en septembre, mais il n’a porté aucune réflexion ni dressé aucun plan de bataille pour libérer la Cisjordanie et al-Qods, briser le blocus contre Gaza, organiser l’OLP qui devrait être représentative de l’ensemble du peuple palestinien, et à plus forte raison, pour libérer toute la Palestine et assurer le retour des réfugiés (ce qui n’est pas d’ailleurs dans son programme, mais dans celui du peuple palestinien).
Pour mener sa bataille diplomatique, le président de l’Autorité palestinienne s’appuie sur un crédit de popularité internationale acquis par le sang des martyrs tombés à Gaza, et non pas par les agissements de ses services sécuritaires. Il s’appuie sur l’isolement de l’Etat sioniste et sa délégitimation accrue que la résistance palestinienne, ses martyrs, ses blessés et ses prisonniers, ont assurés depuis l’intifada al-Aqsa, alors que ses défections répétées (affaire Goldstone, par exemple) n’ont cherché qu’à « sauver » l’Etat sioniste. Si bataille diplomatique il y a, elle est le couronnement de la lutte et résistance du peuple palestinien, et non pas une suite logique aux négociations ratées avec les sionistes, sous l’égide des puissances impérialistes.
Tant que Mahmoud Abbas ne prend pas en compte les véritables facteurs qui lui permettent de mener cette bataille à l’ONU, la reconnaissance de l’Etat indépendant de Palestine, sur les 22% de la Palestine occupée, restera une reconnaissance sur le papier et ne pourra aucunement constituer un levier vers la libération de la Palestine et le retour des réfugiés. Il s’agit d’une question de stratégie. Reconnaissance, oui, mais pour quoi faire ?
Transmis par l'auteur