Jillian Kestler-D’Amours
Al Jazeera
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Pour les Palestiniens qui vivent sous une répression israélienne de plus en plus dure, leur maintien sur leur terre est un succès en lui-même.
Des bulldozers détruisent un réservoir artificiel dans le cadre de la politique israélienne de restriction de la consommation en eau des Palestiniens.
(EPA)
L’armée israélienne a détruit des puits d’eau et saisi des pompes à eau dans trois communautés palestiniennes différentes dans le nord de la vallée du Jourdain, le 12 juillet. Quelques semaines plus tôt, des officiers et des policiers israéliens avaient rasé 29 maisons dans le village bédouin de Hadidiya, faisant des dizaines de sans-abri, dont 11 enfants, laissés sous la chaleur torride de l’été.
Au même moment, le gouvernement israélien révélait sans trop de bruit son projet de doubler la taille des colonies agricoles israéliennes illégales dans la vallée du Jourdain, lesquelles colonies utilisent déjà l’immense majorité des ressources en eau et des terres de la région.
Plus précisément, le projet vise à donner accès aux colons israéliens qui se sont installés dans la vallée du Jourdain à 54 000 dunums de terres supplémentaires - ce qui porte le total des terres confisquées à environ 110 000 dunums - et annuellement à 51 mètres cubes d’eau (51 000 litres). Un dunum équivaut à 1000 mètres carrés (54 000 dunums = 5400 ha).
Déjà, les colons israéliens dans la vallée du Jourdain consomment plus d’eau que dans tout autre colonie de la Cisjordanie, et environ trois fois plus quotidiennement qu’un ménage vivant en Israël même. La dichotomie est encore plus grave si on considère certaines communautés palestiniennes de la vallée du Jourdain où la consommation en eau est de 40 % du minimum requis par l’Organisation mondiale de la Santé.
« Cette politique vise à nettoyer ethniquement la vallée du Jourdain de sa population palestinienne et à la remplacer par des nouveaux venus, des juifs venus de toutes les parties du monde. C’est une politique d’État » dit Fathi Khdirat, habitant palestinien de la vallée du Jourdain et coordinateur de la Campagne de solidarité avec la vallée du Jourdain.
« Cela fait partie de la politique de l’autorité d’occupation pour la vallée du Jourdain, une politique qui s’est mise en oeuvre directement après l’occupation israélienne (en 1967). Ils ont commencé d’abord par contrôler chaque goutte d’eau dans la vallée du Jourdain. Ils savent que contrôler l’eau, c’est contrôler la vie » dit Khdirat.
L’inique répartition et exploitation de l’eau dans la Vallée fait partie intégrante de la politique globale israélienne de colonisation et de prise de contrôle, qui s’est manifestée non seulement par la mainmise israélienne sur les ressources naturelles, mais encore par une expansion incessante des colonies israéliennes et des restrictions à la liberté de déplacements, de constructions et de développement des Palestiniens.
Dans ce contexte, la capacité et la détermination des Palestiniens à rester dans leurs foyers et villages - en dépit du contrôle israélien imposé sur tous les domaines de leur vie quotidienne - doivent être vues comme la forme principale de leur résistance, à l’heure actuelle, dans la vallée du Jourdain.
La « ligne de défense » d’Israël
Les dirigeants israéliens ont mis en avant l’idée qu’Israël devait contrôler la vallée du Jourdain pour des raisons de sécurité lors de l’élaboration du Plan Allon en 1967, peu après qu’Israël ait commencé l’occupation de la Cisjordanie. Du nom de l’ancien ministre du Travail israélien, Yigal Allon, le Plan Allon marquait l’intention d’Israël de contrôler pratiquement l’ensemble de la vallée du Jourdain, notamment la périphérie de Jérusalem, pour qu’elle serve de zone tampon entre Israël et le « Front de l’Est ».
En octobre 1995, c’est la position qu’a prise le Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, présentant à la Knesset « l’accord provisoire israélo-palestinien », ou Oslo II, en disant, « La frontière de sécurité de l’État d’Israël se situera dans la vallée du Jourdain, dans le sens le plus large du terme ».
Plus récemment, en mars de cette année, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a déclaré lors d’une tournée dans la région que « sans la présence israélienne dans la vallée du Jourdain, un camion pourrait rouler librement depuis l’Iran jusqu’à Petah Tikva » (au nord-est de Tel Aviv).
« La ligne de défense d’Israël commence ici, » a dit Netanyahu. « Si des roquettes et des missiles étaient tirés ici, ils atteindraient Tel Aviv, Haïfa, et tout l’État israélien. »
Dans son discours au Congrès US, le 24 mai dernier, Netanyahu a également fait allusion à la vallée du Jourdain, disant, « Les sites d’une importance stratégique et nationale décisive (seront) incorporés dans les frontières définitives d’Israël » dans tout accord de paix conclu avec la direction palestinienne.
En réponse à ces déclarations de Netanyahu, le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, a affirmé que sans la vallée du Jourdain, aucun État palestinien n’est possible.
Matrice de contrôle
L’eau, sous contrôle de l’occupant israélien.
La vallée du Jourdain s’étend sur environ 30 % de l’ensemble du territoire de la Cisjordanie occupée. Presque toute la Vallée se trouve en Zone C, c’est-à-dire, en vertu des accords d’Oslo, sous le contrôle militaire et administratif israélien. Les autorités israéliennes de la planification contrôlent tout l’urbanisme et la construction dans cette région.
Du fait qu’il est quasiment impossible pour les Palestiniens d’obtenir un permis de construire en Zone C de la part des autorités israéliennes, la plupart d’entre eux doivent construire sans le permis et risquent ainsi de voir leur maison démolie. L’UNRWA (Agence d’entre-aides des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens au Moyen-Orient) rapporte que de janvier à mai 2011, 131 structures palestiniennes ont été démolies dans les Zones C, touchant près de 900 personnes.
B’Tselem, centre israélien des droits de l’homme et d’informations sur les Territoires occupés, a publié le rapport Dépossession et exploitation : la politique d’Israël dans la vallée du Jourdain et le nord de la mer Morte en mai de cette année. Il fait le constat que le contrôle israélien de la vallée du Jourdain se maintient grâce à l’exploitation de quatre de ses ressources propres : la terre, l’eau, les sites touristiques, et les ressources naturelles. Le rapport indique :
« Israël a fermé plus des trois quarts des terres aux Palestiniens, et il leur interdit de travailler sur les terres arables de la région. Israël a restreint l’accès palestinien aux sources en eau de sorte que, dans certains villages palestiniens, la consommation en eau est minimale et comparable à celle dans une région sinistrée. Israël limite aussi les déplacements des Palestiniens et les empêche de construire et de développer leurs communautés. Israël a mis la main encore sur les sites touristiques et autorise les sociétés privées à exploiter et tirer profit des minerais de la région ».
Les habitants palestiniens de la vallée du Jourdain souffrent profondément de cette myriade de restrictions imposées par Israël. Les limites à leur liberté de mouvements et à leur accès à la terre et à l’eau, et la distance entre les communautés et les grands centres palestiniens tel que Jéricho ont généré une pénurie systématique des possibilités d’emplois et la stagnation du secteur agricole palestinien local. De nombreux Palestiniens sont par conséquent contraints de travailler dans des colonies israéliennes pour des salaires extrêmement bas et dans des conditions dangereuses.
« La Banque mondiale a estimé que si Israël laissait aux Palestiniens l’accès à 50 000 dunums de terre dans la vallée du Jourdain et à ses ressources en eau, ils pourraient développer une industrie agricole moderne, notamment avec des usines d’agroalimentaire, générant environ un milliard de dollars chaque année » indique le rapport de B’Tselem.
Enfin, B’Tselem fait le constat que « si Israël exploite les ressources de la région plus encore que celles des autres parties de la Cisjordanie, cela montre son intention : annexer de facto la région ».
La politique israélienne nourrit l’ignorance
Six mois seulement après qu’Israël ait commencé son occupation de la Cisjordanie, en 1967, il attaquait la construction de colonies réservées aux juifs dans la vallée du Jourdain. Dans le même temps, on estime que 100 000 Palestiniens ont dû fuir la région. Aujourd’hui, la population palestinienne de la vallée du Jourdain est d’environ 64 450 Palestiniens répartis dans 29 communautés, en plus de 15 000 Bédouins vivant dans des dizaines de petits villages. Environ 9300 colons israéliens vivent aussi dans la Vallée.
Mais cette réalité n’est pas bien assimilée par la société israélienne. Selon un sondage d’opinion réalisé par ACRI (Association pour les droits civils en Israël) les 31 mai et 1er juin de cette année, 64 % des Israéliens juifs qui se sont exprimés ne savent pas que la vallée du Jourdain est un territoire occupé. Quatre-vingt pour cent des personnes interrogées croient aussi que les Israéliens juifs constituent la majorité des habitants de la Vallée. Et ACRI de conclure :
« Une interprétation du sondage permet de conclure que le fait que les Israéliens croient à tort que la vallée du Jourdain fait partie de l’État souverain d’Israël, et qu’elle est habitée surtout par des Israéliens, incite probablement à un soutien émotionnel de la position prise par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, à savoir que la vallée du Jourdain serait primordiale pour la sécurité d’Israël. »
En effet, les résultats de ce sondage ne sont pas surprenants en ce qu’ils reflètent la politique officielle d’Israël, politique depuis des décennies selon laquelle il doit maintenir sa souveraineté sur la vallée du Jourdain. Ceci est justifié officiellement par des raisons de sécurité mais aussi implicitement par des raisons économiques. Dans ce cadre, l’État israélien est assuré que le fait que la vallée du Jourdain est une partie de la Cisjordanie - et que, par conséquent, comme le reste du territoire palestinien, elle doit être considérée comme un territoire occupé - ce fait est complètement tombé dans l’oubli.
Vider la vallée du Jourdain
Dans la vallée du Jourdain, Israël est en train de créer une réalité irréversible sur le terrain - comme c’est le cas dans la plus grande partie du reste de la Cisjordanie - en travaillant à bétonner son contrôle sur toute la terre et ses ressources considérables - qu’il n’a aucune intention d’abandonner. L’objectif le plus sinistre des Israéliens pour la vallée du Jourdain est manifestement de chasser les Palestiniens de leurs terres, un processus facilité par le fait qu’une grande partie de la région est en Zones C et donc entièrement sous le contrôle des Israéliens.
Pourtant, depuis 40 années, les Palestiniens de la Vallée résistent à leur déplacement forcé en se maintenant sur leur terre. Essentiellement, dans cette partie de la Cisjordanie comme en d’autres régions ciblées durement par les autorités israéliennes d’occupation, telles les collines du sud d’Hébron, la forme la plus pratiquée de la résistance est tout simplement d’exister.
Fathy Khdirat, le coordinateur de la Campagne de solidarité avec la vallée du Jourdain :
« L’existence du peuple palestinien dans la vallée du Jourdain est une forme de résistance, car Israël en tant qu’État s’est construit sur un gros mensonge : une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Dans la vallée du Jourdain, ils ont essayé de faire de ce mensonge une réalité en créant des faits sur le terrain et en expulsant les Palestiniens de leur terre, de leurs villages. Exister c’est résister dans la vallée du Jourdain. Ceux qui ont réussi à rester jusqu’à maintenant dans la vallée du Jourdain, sous cette énorme pression de l’occupation, je pense que d’une certaine manière, ils ont résisté. Rester sur sa terre est l’une des choses que nous avons le plus réussies. »
Jillian Kestler-D’Amours est une journaliste canadienne indépendante vivant à Jérusalem. Elle contribue régulièrement avec The Electronic Intifada, Inter-Press Service et Free Speech Radio News. Son site : http://jkdamours.com
Jillian Kestler-D’Amours est une journaliste canadienne indépendante vivant à Jérusalem. Elle contribue régulièrement avec The Electronic Intifada, Inter-Press Service et Free Speech Radio News. Son site : http://jkdamours.com
29 juillet 2011 - Al Jazeera - traduction : JPP