Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël - PACBI
Prétendre à la neutralité dans cette situation coloniale flagrante où un côté est si dominant, et essayer de projeter une fausse image de symétrie entre l’oppresseur et l’opprimé, va plus loin que l’absence de fondement et la mauvaise conception : c’est moralement suspect.
Dans le contexte de l’application des lignes directrices du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) pour le boycott universitaire et culturel d’Israël, la campagne palestinienne pour le boycott culturel et universitaire d’Israël (PACBI) fait face parfois à des scénarios où les détracteurs du boycott tentent de se racheter une conscience et avec elle, une certaine raison morale, en utilisant des Palestiniens ayant quelque valeur de symbole (ou plus rarement d’autres Arabes) comme couverture, pour dissimuler leur complicité dans les violations israéliennes du droit international et des droits palestiniens.
Alors que la réserve de « feuilles de vigne » diminue d’année en année, grâce au rayonnement impressionnant dans la dernière période de la conscience collective du BDS chez les Palestiniens et dans le monde arabe, il y en a encore qui sont prêts à accepter que leur nom soit manipulé dans des projets politiques cyniques de profanateurs du boycott international. Lorsque des Palestiniens et des Arabes jouent un tel rôle, c’est parfois en raison d’un manque de compréhension politique, mais le plus souvent, c’est avec la volonté de faire passer des intérêts propres avant les principes soutenus collectivement de résistance à l’oppression coloniale et à l’apartheid. Dans les années quatre-vingt-dix et la première moitié de la dernière décennie, de nombreux Palestiniens ont été attirés par des projets communs avec l’espoir d’une paix juste et véritable, et attirés aussi parce que des sommes d’argent apparemment illimitées étaient allouées à de tels projets communs par les donateurs européens et états-uniens. Au cours des deux dernières décennies, il est apparu clairement que ces projets rentraient dans un cadre politique s’attachant d’abord à créer une illusion de paix chez les Palestiniens - et dans le monde - et à soudoyer des Palestiniens en les soumettant aux diktats des Israéliens et à leur hégémonie coloniale permanente. Si une organisation israélienne voulait obtenir des fonds généreux pour un projet, tout ce qu’elle avait à faire était d’y inclure un « partenaire » palestinien, et vice versa. Ces collaborations israélo-palestiniennes ont créé une couverture parfaite pour la poursuite de la colonisation, de l’occupation et de l’apartheid israéliens, et elles ont miné le combat palestinien pour l’autodétermination.
Aujourd’hui, la plupart des projets (1) de normalisation impliquant des Palestiniens et des Israéliens sont bouclés après s’être révélés comme totalement vains ou, pire, comme une fraude bien conçue visant à donner une liberté de manœuvre à Israël dans la poursuite de son projet colonial sous la couverture de « faire la paix » de la base au sommet, comme avec les fameux « accords de paix » d’Oslo. Les quelques projets de normalisation restant peuvent continuer grâce à la persistance de structures de pouvoir, domination et dépendance créées à travers les années Oslo.
Un bon exemple en est le Programme McGill pour le Moyen-Orient (PMMO), programme d’études de l’université canadienne McGill en société civile et pour le rétablissement de la paix au Moyen-Orient, un projet de normalisation qui nous reste des beaux jours d’Oslo, et qui doit encore être dénoncé. Dans le cadre d’un projet commun unique, la prestigieuse université canadienne a signé des accords séparés avec des institutions universitaires arabes (l’université An-Najah, l’université Al-Quds et l’université de Jordanie) et des institutions israéliennes. Le fait que des représentants des « deux côtés » comme c’est le cas ici, participent à un même projet avec des objectifs communs, siègent dans les même commissions du projet, et assistent aux mêmes réunions communes, fait tomber grandement la couverture d’ « indépendance » et met en lumière la visée de normalisation de ce projet.
Les institutions palestiniennes impliquées, tout en rejetant publiquement toute normalisation avec les universités israéliennes, sont restées actives dans ce projet, voyant apparemment plus les avantages pour leurs propres institutions à garder ce partenariat en activité que le mal qu’il fait en sapant le boycott universitaire grandissant contre Israël et ses institutions complices.
Les Palestiniens ne sont pas les seuls en ce cas. Étant donné les désastreuses conditions de ressources, la famine, résultant de décennies de politiques israéliennes, d’occupation, de nettoyage ethnique et d’apartheid, nous Palestiniens, comme la plupart des autres peuples se battant pour la décolonisation et l’autodétermination, avons eu notre part non seulement de ce que nous appelons les feuilles de vignes, mais aussi de collaborations à un niveau beaucoup plus profond avec les oppresseurs en échange de petits avantages. Éviter l’idéalisation de l’opprimé et du combat palestinien est important pour arriver à une critique rationnelle de ce phénomène aussi vieux que les révolutions à travers le monde. Comme dans la plupart des autres cas, il y a généralement des gens qui veulent placer leurs intérêts personnels au-dessus de ceux de leur communauté. Cependant, l’arbre flétri de l’opportunisme, voire de la trahison, ne doit jamais cacher la forêt du consensus autour de la résistance civile palestinienne contre Israël, un consensus qui est reflété dans la direction de la campagne de boycott, le comité national du BDS (BNC).
Les universitaires et personnalités culturelles de niveau international, notamment les groupes de musique, qui tiennent à traverser le piquet de grève du boycott palestinien alors qu’il leur est demandé par le mouvement BDS de ne pas le faire, cherchent souvent à organiser des concerts, des conférences, ou même des visites symboliques dans les territoires palestiniens occupés - spécialement à Ramallah, Jérusalem et Bethléhem - comme moyen normal pour essayer d’ « équilibrer » leur position politique et de se racheter après avoir violé l’appel au boycott.
En agissant ainsi, ils ajoutent en réalité l’insulte à l’injure, en ce sens qu’ils demandent alors aux Palestiniens de s’engager dans des projets de normalisation semblables à ceux de l’ère d’Oslo tels qu’abordés ci-dessus. Prétendre à la neutralité dans cette situation coloniale flagrante où un côté est si dominant, et essayer de projeter une fausse image de symétrie entre l’oppresseur et l’opprimé, va plus loin que l’absence de fondement et la mauvaise conception : c’est moralement suspect.
Les musiciens demandent souvent aux organisations palestiniennes d’organiser une « tournée Palestine ». Certaines organisations palestiniennes peuvent avec naïveté accepter de telles tournées sans contrôler d’abord si les musiciens ne violent pas en même temps le boycott. D’autres organisations peuvent fournir volontairement une couverture palestinienne à de telles violations du boycott, parce qu’elles n’ont pas été elles-mêmes capables de surpasser des relations corruptrices, récupératrices et créatrices de dépendance, ni le discours de dialogue qui ont prévalu durant ce qu’on a appelé le « processus de paix » d’Oslo et qui a échoué.
Se débrouiller pour parler à des Palestiniens ici ou là, ou s’associer avec certaines institutions palestiniennes nulles ou faisant office délibérément de feuilles de vignes, ne peuvent réduire les dommages causés par la violation des lignes directrices du boycott, alors que de telles violations servent d’abord et avant tout à sauver le vernis fragile de respectabilité d’Israël sur la scène mondiale. Aucune feuille de vigne, quelle que soit la taille qu’elle peut sembler avoir, ne peut cacher l’acte de complicité par le blanchiment de l’occupation et de l’apartheid israéliens auquel ces détracteurs du boycott s’adonnent en franchissant le piquet de grève.
Un exemple classique en est Leonard Cohen qui, bien qu’à plusieurs reprises PACBI (2) et des collègues à lui de partout (3) lui aient demandé d’annuler son concert à Tel Aviv, a persisté et a même accepté comme premier sponsor du concert une banque israélienne profondément impliquée dans la construction des colonies israéliennes illégales sur la terre palestinienne occupée. Après avoir été largement critiqué pour cette violation flagrante du boycott dirigé par les Palestiniens, Cohen a recherché un interlocuteur palestinien, un lieu ou une organisation dont il pourrait se servir pour « équilibrer » et échapper aux critiques. Cependant, en revêtant le manteau de la « cicatrisation » et de la « paix » sans dire un mot sur la justice ni les violations par Israël du droit international, Cohen a échoué à convaincre la moindre organisation palestinienne de coopérer avec lui (4), restant désespérément à la recherche d’une feuille de vigne. Ceci, en conjonction avec les campagnes de pression concertées engagées dans de nombreux pays (5), qui finalement ont convaincu Amnesty International d’abandonner son idée de coopérer avec Cohen, l’association devant diriger les recettes de son concert vers des organisations des « droits de l’homme » (6).
Autre exemple, celui de l’université de Johannesburg, qui a dû céder aux énormes pressions (7) d’universitaires sud-africains et a rompu ses liens avec l’université Ben Gourion et qui, par suite, a essayé de trouver une université palestinienne prête à s’engager dans une relation trilatérale quoique indirecte avec l’université Ben Gourion. L’université de Johannesburg s’est trouvée alors confrontée à un consensus dans le système académique palestinien - notamment des fonctionnaires du gouvernement, des présidents d’universités et des syndicats universitaires - qui a rejeté une telle relation et soutenu qu’une solidarité sérieuse avec les Palestiniens signifiait aujourd’hui de rompre les liens avec les institutions israéliennes complices, telle l’université Ben Gourion, et de respecter les principes du BDS. Incapable de trouver un tel partenaire palestinien, le conseil de l’université de Johannesburg a finalement annulé son projet commun avec Ben Gourion (8).
Plus récemment, Shakira (auteure-compositrice-interprète colombienne) a essayé de faire de même, en utilisant son statut d’ambassadrice de bonne volonté de l’UNICEF pour arranger une visite dans une ONG palestinienne dans Jérusalem occupée afin d’« équilibrer » avec sa participation honteuse à une initiative officielle de propagande israélienne, à l’invitation du président israélien, Shimon Peres. Le rôle bien connu de Peres dans les innombrables crimes et violations du droit international perpétrés par Israël dans les territoires palestiniens occupés et au Sud Liban est indéniable (9). L’ONG palestinienne ciblée a annulé la venue de Shakira au dernier moment quand elle a réalisé comment celle-ci avait violé le boycott, et que lui fournir un alibi palestinien nuirait au combat du mouvement pacifique du BDS pour la liberté, la justice et l’égalité.
Bien sûr, aucune société ne pourra jamais être monolithique ou n’avoir qu’une opinion unique. Malgré la persistance d’artistes, musiciens et autres professionnels internationaux de la culture à vouloir casser le boycott, et malgré la volonté d’un nombre qui se réduit de Palestiniens à continuer de servir de feuilles de vigne quand ils sont sollicités pour le faire, c’est l’écrasante majorité des Palestiniens, par l’intermédiaire de leurs organisations et syndicats représentatifs, qui a fait siens le BDS et ses lignes directrices. Il est temps que les écrivains, universitaires, artistes et autres, de dimension internationale, commencent à écouter la voix de cette immense majorité (*) et à respecter notre combat pour la liberté et la justice en, à tout le moins, s’abstenant de miner nos principes du boycott.
Il s’agit là d’une obligation morale fondamentale que le monde, dans sa grande majorité, a honorée pendant le combat contre l’apartheid sud-africain et se doit, sans relâche, de tout autant honorer dans notre cas aussi.
Notes :
Voir dernièrement :
29 juin 2011 - PACBI - traduction : JPP