USA - 2 juin 2011
Par Robert Fisk
Ce mois de mai, au Moyen-Orient, nous avons vu le Président des États-Unis se défaire. Plus que cela, nous avons été témoins du niveau de prestige le plus bas de l'Amérique dans la région depuis que Roosevelt a rencontré le roi Abdul Aziz, sur le USS Quincy, dans le Grand Lac Amer, en 1945. Pendant que Barack Obama et Benjamin Netanyahu se livrait à leur comédie à Washington - Obama rampant comme d'habitude - les Arabes continuaient le travail sérieux de changer leur monde, manifestant et combattant et mourant pour des libertés qu'ils n'ont jamais eues. Obama radotait sur le changement au Moyen-Orient - et sur le nouveau rôle de l'Amérique dans la région. Il était pathétique. "Qu'est-ce que c'est que cette histoire de 'rôle' ?", m'a demandé un ami égyptien pendant le week-end. "Croient-ils encore que nous nous soucions de ce qu'ils pensent ?"
Le Président Obama aux négociations de paix au Moyen-Orient, à Washington l'année dernière, avec Benjamin Netanyahu, Mahmoud Abbas, Hosni Mubarak, et le roi Abdullah
Et c'est vrai. L'échec d'Obama à soutenir les révolutions arabes jusqu'à ce qu'elles soient presque terminées a fait perdre aux États-Unis le plus gros de ce qui restait de leur crédit dans la région. Obama n'a rien dit sur le renversement de Ben Ali, il n'a rejoint le concert de mépris pour Moubarak que deux jours avant sa fuite, il a condamné le régime syrien - qui a tué plus de ses citoyens que tout autre dynastie dans ce "printemps" arabe, à part l'effrayant Kadhafi - mais a fait clairement savoir qu'il serait heureux de voir Assad survivre, il a levé son poing dérisoire à la cruauté du Bahreïn dérisoire et il est resté absolument, incroyablement silencieux sur l'Arabie Saoudite. Il s'est mis à genoux devant Israël. Faut-il donc s'étonner que les Arabes tournent le dos à l'Amérique, pas de fureur ou de colère, ni avec des menaces ou de la violence, mais avec mépris ? Ce sont les Arabes et leurs compagnons musulmans du Moyen-Orient qui prennent maintenant eux-mêmes les décisions.
La Turquie est furieuse contre Assad parce qu'il a promis deux fois de parler de réformes et d'élections démocratiques - et a failli à sa parole. Le gouvernement turc a par deux fois envoyé des délégations à Damas et, selon les Turcs, Assad a menti au ministre des Affaires étrangères lors de la seconde visite, affirmant qu'il retirait les légions de son frère Maher des rues des villes syriennes. Il ne l'a pas fait. Les bourreaux continuent leur travail.
Voyant les centaines de réfugiés arrivant de Syrie par la frontière nord du Liban, le gouvernement turc a maintenant tellement peur que se répète la vague massive de réfugiés kurdes irakiens qui a submergé ses frontières au lendemain de la guerre du Golfe de 1991 qu'il a élaboré ses propres plans secrets pour empêcher les Kurdes de Syrie de se déplacer par milliers vers les zones kurdes du sud-est de la Turquie. Les généraux turcs ont ainsi préparé une opération qui enverrait plusieurs bataillons de troupes turques en Syrie même pour délimiter une "zone sûre" pour les réfugiés syriens au sein du califat d'Assad. Les Turcs se préparent à avancer bien au-delà de la ville frontalière syrienne de Al-Qamishli - peut-être à mi-chemin de Deir el-Zour (les champs de mort du génocide arménien de 1915, mais il ne faut pas en parler) - pour fournir un "havre sûr" à ceux qui fuient le massacre dans les villes de Syrie.
Pendant ce temps, les Qataris essaient d'empêcher l'Algérie de ravitailler Kadhafi en chars et en véhicules blindés - ce fut une des raisons pour lesquelles l’Émir du Qatar, le gars le plus sage du Golfe arabique, a rendu visite au président algérien, Abdelaziz Bouteflika, la semaine dernière. Le Qatar s'est engagé aux côtés des rebelles libyens à Benghazi ; ses avions survolent la Libye depuis la Crète et - non divulgué à ce jour - des officiers qataris conseillent les rebelles dans la ville de Misrata, à l'ouest de la Libye ; mais si des blindés algériens ont bien été envoyés à Kadhafi pour remplacer le matériel détruit par les frappes aériennes, cela expliquerait l'avancée ridiculement lente de la campagne de l'OTAN contre Kadhafi.
Tout dépend bien sûr de qui traite l'affaire : soit Bouteflika, s'il contrôle réellement son armée - soit le "pouvoir" algérien, qui comprend beaucoup de généraux discrets et corrompus. L'équipement militaire algérien est supérieur à celui de Kadhafi et Kadhafi pourrait ainsi remplacer chaque tank perdu par un modèle plus moderne. Au sud de la Tunisie, l'Algérie et la Libye partagent 1250km de frontière dans le désert, une route d'accès facile pour que des armes passent la frontière.
Mais les Qataris attirent aussi le venin d'Assad. La focalisation d'Al-Jazeera sur le soulèvement syrien - ses images crues des morts et des blessés beaucoup plus dévastatrices que tout ce que nos télévisions occidentales feutrées oseraient diffuser - a fait cracher la télévision officielle syrienne sur l’Émir et l’État du Qatar. Le gouvernement syrien a maintenant suspendu pour 4 milliards de £ de projets d'investissements qataris, dont un appartenant à la compagnie de l’Électricité et de l'Eau du Qatar.
Au milieu de tous ces événements énormes et épiques - le Yémen lui-même peut se révéler être le bain de sang le plus important de tous, tandis que le nombre des martyrs syriens a maintenant dépassé celui des victimes des escadrons de la mort de Moubarak il y a cinq mois - est-ce vraiment surprenant que les batifolages de Messieurs Netanyahu et Obama semblent tellement hors sujet ? En effet, la politique d'Obama au Moyen-Orient, quelle qu'elle soit, semble souvent tellement confuse qu'elle vaut à peine qu'on l'étudie. Il soutient, bien sûr, la démocratie - puis admet que cela pourrait entrer en conflit avec les intérêts de l'Amérique. Dans cette merveilleuse démocratie appelée Arabie Saoudite, les États-Unis sont maintenant en train de pousser de l'avant un contrat d'armement de 40 milliards de £ et aident les Saoudiens à développer une nouvelle force d'élite pour protéger le pétrole et les futurs sites nucléaires du royaume. D'où la crainte d'Obama de contrarier l'Arabie Saoudite, dont deux des trois frères régnants sont maintenant tellement handicapés qu'ils ne peuvent plus prendre de décisions saines - malheureusement, l'un des deux se trouve être le Roi Abdallah - et sa volonté de permettre au régime enclin aux atrocités de la famille Assad de survivre. Bien sûr, les Israéliens préfèreraient, et de loin, que la "stabilité" de la dictature syrienne continue ; mieux vaut un califat sinistre que vous connaissez que des islamistes haineux qui pourraient émerger des ruines. Mais ceci est-il un argument réellement assez bon pour qu'Obama le soutienne, quand la population de Syrie est en train de mourir dans les rues pour le genre de démocratie que le Président des États-Unis dit vouloir voir dans la région ?
L'un des éléments les plus vains de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient est l'idée fondamentale que les Arabes sont en quelque sorte plus stupides que le reste d'entre nous, certainement plus que les Israéliens, moins accessibles aux réalités qu'en Occident, qu'ils ne comprennent pas leur propre histoire. Ils doivent donc être sermonnés, éduqués, cajolés par la Clinton et consorts - comme l'ont fait ou le font leurs dictateurs, figures paternelles guidant leurs enfants tout au long de la vie. Mais les Arabes sont beaucoup plus cultivés qu'ils ne l'étaient il y a une génération ; des millions d'entre eux parlent parfaitement l'anglais parfait et comprennent que trop bien la faiblesse politique et le manque de pertinence des paroles du président. A écouter les 45mn de discours d'Obama ce mois-ci - le "coup d'envoi" de quatre jours pleins de phrases équivoques et de poudre aux yeux par l'homme qui a essayé de tendre la main au monde musulman au Caire il y a deux ans, puis n'a rien fait - on pouvait penser que le président américain avait été à l'origine des révoltes arabes, plutôt que d'être rester assis sur la touche, mort de peur.
Il y a eu un collapsus linguistique intéressant dans le langage du président pendant ces quatre jours décisifs. Le jeudi 19 mai, il a fait référence à la poursuite des "colonies" israéliennes. Le lendemain, Netanyahu lui a fait la leçon sur "certains changements démographiques qui ont eu lieu sur le terrain". Alors, le dimanche, lorsqu'Obama s'est adressé au groupe de lobby américain AIPAC (American Israël Public Affairs Committee), il a lâchement adopté la propre expression grotesque de Netanyahu. Il a parlé lui aussi de "nouvelles réalités démographiques sur le terrain." Qui aurait cru qu'il parlait des colonies juives illégales au plan international, construites sur des terres volées aux Arabes lors d'un des plus grands hold-ups immobiliers de l'histoire de la Palestine ? Un retard dans l'instauration de la paix saperait la sécurité israélienne, a annoncé Obama - pas au courant apparemment que le projet de Netanyahu est de continuer à retarder et retarder et retarder jusqu'à ce qu'il ne reste plus de terre pour un État palestinien "viable" que les États-Unis et l'Union européenne souhaitent soi-disant voir.
Puis nous avons eu le verbiage sans fin sur les frontières de 1967. Netanyahu les a qualifiées d' "indéfendables" (bien qu'elles aient semblé drôlement défendables pendant les 18 années qui ont précédé la guerre des Six-Jours) et Obama - oublieux du fait qu'Israël doit être le seul pays au monde à avoir une frontière terrestre orientale mais qui ne sait pas où elle est - a dit ensuite qu'il avait été mal compris lorsqu'il a parlé de 1967. Peu importe ce qu'il dit. George W. Bush a cédé il y a des années lorsqu'il a remis à Ariel Sharon une lettre qui exprimait l'approbation de l'Amérique pour "les grandes centres de population israélienne déjà existants" au-delà de la ligne de 1967. Pour les Arabes prêts à écouter l'oraison molle d'Obama, ce fut la prosternation de trop. Ils n'ont tout simplement pas pu comprendre la réaction du Congrès au discours de Netanyahu. Comment les hommes politiques américains ont-ils pu se lever et l'applaudir 55 fois - 55 fois - avec plus d'enthousiasme qu'un des parlements de chiffon d'Assad, Salah et les autres ?
Et que diable a bien pu vouloir dire le Grand Discoureur quand il a dit que "tout pays a droit à l'auto-défense" mais que la Palestine serait "démilitarisée" ? Ce qu'il a voulu dire, c'est qu'Israël pourrait continuer à attaquer les Palestiniens (comme en 2009, par exemple, lorsqu'Obama est resté traîtreusement silencieux) pendant que les Palestiniens devraient prendre ce qui leur tombe dessus s'ils ne se comportent pas selon les règles - parce qu'ils n'auront pas d'armes pour se défendre. Comme pour Netanyahu, les Palestiniens doivent choisir entre l'unité avec le Hamas ou la paix avec Israël. Tout ceci était très bizarre. Quand il n'y a pas d'unité, Netanyahu nous dit qu'il n'a pas d'interlocuteur palestinien parce que les Palestiniens sont désunis. Pourtant quand ils sont unis, ils sont disqualifiés pour les pourparlers de paix.
Bien entendu, plus vous vivez au Moyen-Orient et plus le cynisme grandit. Je me souviens par exemple d'être allé à Gaza au début des années 1980, lorsque Yasser Arafat dirigeait son petit État de l'OLP à Beyrouth. Soucieux de détruire le prestige d'Arafat dans les territoires occupés, le gouvernement israélien a décidé de soutenir un groupe islamiste de Gaza nommé Hamas. En fait, j'ai vu de mes propres yeux le chef du commandement sud de l'armée israélienne négocier avec des responsables du Hamas, leur donnant l'autorisation de construire de nouvelles mosquées. Il est juste de dire, bien sûr, qu'ils étaient très occupés aussi à l'époque à encourager un certain Osama Bin Laden à combattre l'armée soviétique en Afghanistan. Mais les Israéliens n'ont pas laissé tomber le Hamas. Ils ont tenu plus tard une autre réunion avec l'organisation en Cisjordanie ; l'histoire a fait la une du Jerusalem Post le lendemain. Mais les Américains n'ont pas moufté.
Je me souviens d'un autre moment au cours de ces longues années. Des membres du Hamas et du Jihad Islamique - tous palestiniens - ont été, au début des années 1990, éjectés de l'autre côté de la frontière israélienne au sud Liban où ils ont passé plus d'un an à camper dans les montagnes glaciales. J'allais les voir de temps en temps et une fois, j'ai mentionné que j'allais en Israël le lendemain. Immédiatement, un des hommes du Hamas a couru vers sa tente et est revenu avec un carnet de notes. Il m'a ensuite donné les numéros de téléphone de trois hauts responsables politiques israéliens - deux d'entre eux ont toujours un rôle de premier plan aujourd'hui - et, lorsque je suis arrivé à Jérusalem et que j'ai appelé les numéros, ils se sont tous avérés corrects. En d'autres termes, le gouvernement israélien avait été en contact personnel et direct avec le Hamas.
Mais le récit est maintenant devenu méconnaissable. Les Hamas sont des super-terroristes, les représentants d'al-Qa'ida dans la direction palestinienne unifiée, les hommes du mal qui feront en sorte qu'il n'y ait jamais de paix entre les Palestiniens et Israël. Si seulement c'était vrai, le véritable al-Qa'ida serait plus qu'heureux d'en revendiquer la responsabilité. Mais ce n'est pas vrai. Dans le même contexte, Obama a déclaré que les Palestiniens auraient à répondre à des questions sur le Hamas. Mais pourquoi le feraient-ils ? Ce que pensent Obama et Netanyahu sur le Hamas n'a maintenant aucune importance pour lui. Obama enjoint les Palestiniens à ne pas demander la reconnaissance de leur État aux Nations-Unies en septembre. Mais pourquoi pas ? Si les peuples d’Égypte et de Tunisie et du Yémen et de Libye et de Syrie - nous attendons tous les prochaines révolutions (Jordanie ? Bahreïn encore ? Maroc ?) peuvent combattre pour la liberté et la dignité, pourquoi pas les Palestiniens ? Sermonnés depuis des décennies sur la nécessité de protestations non-violentes, les Palestiniens choisissent d'aller devant les Nations-Unies avec leur revendication de légitimité - juste pour être giflés par Obama.
Après avoir lu tous les "documents Palestine" qu'Al-Jazeera a révélés, il ne fait aucun doute que les négociateurs officiels de "Palestine" se livreront à n'importe quelle extrémité pour avoir une sorte de mini-État. Mahmoud Abbas, qui a réussi à écrire un livre de 600 pages sur le "processus de paix" sans mentionner une seule fois le mot "occupation", pourrait même céder sur le projet ONU, craignant l'avertissement d'Obama qui a dit que ce serait une tentative d'"isoler" Israël et donc de délégitimer l’État israélien - ou "l’État juif", comme le président US l'appelle maintenant. Mais Netanyahu fait plus que n'importe qui pour délégitimer son propre État ; en effet, il ressemble de plus en plus aux bouffons arabes qui ont jonché jusqu'à présent le Moyen-Orient. Moubarak a vu une "main étrangère" dans la révolution égyptienne (l'Iran, bien sûr). Idem pour le Prince héritier du Bahreïn (encore l'Iran). Idem pour Kadhafi (al-Qa'ida, l'impérialisme occidental, comme vous voulez). Idem pour Assad de Syrie (l'islamisme, probablement le Mossad, etc.). Et idem pour Netanyahu (l'Iran, bien sûr, la Syrie, le Liban, tous ceux auxquels on pense sauf Israël lui-même).
Mais tandis que ces absurdités continuent, les plaques tectoniques soubresautent. Je doute beaucoup que les Palestiniens restent silencieux. S'il y a une "intifada" en Syrie, pourquoi pas une Troisième intifada en "Palestine" ? Pas une lutte par attaques-suicides mais par masse, des protestations fortes d'un million. Si les Israéliens ont tiré sur quelques centaines de manifestants qui ont essayé - et dans certains cas réussi - à traverser la frontière israélienne il y a deux semaines, que feront-ils s'ils sont confrontés à des milliers ou à un million ? Obama dit qu'aucun État palestinien ne doit être déclaré aux Nations-Unies. Mais pourquoi pas ? Qui se soucie, au Moyen-Orient, de ce que dit Obama ? Même pas, semble-t-il, les Israéliens. Le printemps arabe deviendra bientôt un été chaud, et il y aura aussi un automne arabe. D'ici là, le Moyen-Orient aura peut-être changé à tout jamais. Ce que dit l'Amérique n'a aucune importance.
Et c'est vrai. L'échec d'Obama à soutenir les révolutions arabes jusqu'à ce qu'elles soient presque terminées a fait perdre aux États-Unis le plus gros de ce qui restait de leur crédit dans la région. Obama n'a rien dit sur le renversement de Ben Ali, il n'a rejoint le concert de mépris pour Moubarak que deux jours avant sa fuite, il a condamné le régime syrien - qui a tué plus de ses citoyens que tout autre dynastie dans ce "printemps" arabe, à part l'effrayant Kadhafi - mais a fait clairement savoir qu'il serait heureux de voir Assad survivre, il a levé son poing dérisoire à la cruauté du Bahreïn dérisoire et il est resté absolument, incroyablement silencieux sur l'Arabie Saoudite. Il s'est mis à genoux devant Israël. Faut-il donc s'étonner que les Arabes tournent le dos à l'Amérique, pas de fureur ou de colère, ni avec des menaces ou de la violence, mais avec mépris ? Ce sont les Arabes et leurs compagnons musulmans du Moyen-Orient qui prennent maintenant eux-mêmes les décisions.
La Turquie est furieuse contre Assad parce qu'il a promis deux fois de parler de réformes et d'élections démocratiques - et a failli à sa parole. Le gouvernement turc a par deux fois envoyé des délégations à Damas et, selon les Turcs, Assad a menti au ministre des Affaires étrangères lors de la seconde visite, affirmant qu'il retirait les légions de son frère Maher des rues des villes syriennes. Il ne l'a pas fait. Les bourreaux continuent leur travail.
Voyant les centaines de réfugiés arrivant de Syrie par la frontière nord du Liban, le gouvernement turc a maintenant tellement peur que se répète la vague massive de réfugiés kurdes irakiens qui a submergé ses frontières au lendemain de la guerre du Golfe de 1991 qu'il a élaboré ses propres plans secrets pour empêcher les Kurdes de Syrie de se déplacer par milliers vers les zones kurdes du sud-est de la Turquie. Les généraux turcs ont ainsi préparé une opération qui enverrait plusieurs bataillons de troupes turques en Syrie même pour délimiter une "zone sûre" pour les réfugiés syriens au sein du califat d'Assad. Les Turcs se préparent à avancer bien au-delà de la ville frontalière syrienne de Al-Qamishli - peut-être à mi-chemin de Deir el-Zour (les champs de mort du génocide arménien de 1915, mais il ne faut pas en parler) - pour fournir un "havre sûr" à ceux qui fuient le massacre dans les villes de Syrie.
Pendant ce temps, les Qataris essaient d'empêcher l'Algérie de ravitailler Kadhafi en chars et en véhicules blindés - ce fut une des raisons pour lesquelles l’Émir du Qatar, le gars le plus sage du Golfe arabique, a rendu visite au président algérien, Abdelaziz Bouteflika, la semaine dernière. Le Qatar s'est engagé aux côtés des rebelles libyens à Benghazi ; ses avions survolent la Libye depuis la Crète et - non divulgué à ce jour - des officiers qataris conseillent les rebelles dans la ville de Misrata, à l'ouest de la Libye ; mais si des blindés algériens ont bien été envoyés à Kadhafi pour remplacer le matériel détruit par les frappes aériennes, cela expliquerait l'avancée ridiculement lente de la campagne de l'OTAN contre Kadhafi.
Tout dépend bien sûr de qui traite l'affaire : soit Bouteflika, s'il contrôle réellement son armée - soit le "pouvoir" algérien, qui comprend beaucoup de généraux discrets et corrompus. L'équipement militaire algérien est supérieur à celui de Kadhafi et Kadhafi pourrait ainsi remplacer chaque tank perdu par un modèle plus moderne. Au sud de la Tunisie, l'Algérie et la Libye partagent 1250km de frontière dans le désert, une route d'accès facile pour que des armes passent la frontière.
Mais les Qataris attirent aussi le venin d'Assad. La focalisation d'Al-Jazeera sur le soulèvement syrien - ses images crues des morts et des blessés beaucoup plus dévastatrices que tout ce que nos télévisions occidentales feutrées oseraient diffuser - a fait cracher la télévision officielle syrienne sur l’Émir et l’État du Qatar. Le gouvernement syrien a maintenant suspendu pour 4 milliards de £ de projets d'investissements qataris, dont un appartenant à la compagnie de l’Électricité et de l'Eau du Qatar.
Au milieu de tous ces événements énormes et épiques - le Yémen lui-même peut se révéler être le bain de sang le plus important de tous, tandis que le nombre des martyrs syriens a maintenant dépassé celui des victimes des escadrons de la mort de Moubarak il y a cinq mois - est-ce vraiment surprenant que les batifolages de Messieurs Netanyahu et Obama semblent tellement hors sujet ? En effet, la politique d'Obama au Moyen-Orient, quelle qu'elle soit, semble souvent tellement confuse qu'elle vaut à peine qu'on l'étudie. Il soutient, bien sûr, la démocratie - puis admet que cela pourrait entrer en conflit avec les intérêts de l'Amérique. Dans cette merveilleuse démocratie appelée Arabie Saoudite, les États-Unis sont maintenant en train de pousser de l'avant un contrat d'armement de 40 milliards de £ et aident les Saoudiens à développer une nouvelle force d'élite pour protéger le pétrole et les futurs sites nucléaires du royaume. D'où la crainte d'Obama de contrarier l'Arabie Saoudite, dont deux des trois frères régnants sont maintenant tellement handicapés qu'ils ne peuvent plus prendre de décisions saines - malheureusement, l'un des deux se trouve être le Roi Abdallah - et sa volonté de permettre au régime enclin aux atrocités de la famille Assad de survivre. Bien sûr, les Israéliens préfèreraient, et de loin, que la "stabilité" de la dictature syrienne continue ; mieux vaut un califat sinistre que vous connaissez que des islamistes haineux qui pourraient émerger des ruines. Mais ceci est-il un argument réellement assez bon pour qu'Obama le soutienne, quand la population de Syrie est en train de mourir dans les rues pour le genre de démocratie que le Président des États-Unis dit vouloir voir dans la région ?
L'un des éléments les plus vains de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient est l'idée fondamentale que les Arabes sont en quelque sorte plus stupides que le reste d'entre nous, certainement plus que les Israéliens, moins accessibles aux réalités qu'en Occident, qu'ils ne comprennent pas leur propre histoire. Ils doivent donc être sermonnés, éduqués, cajolés par la Clinton et consorts - comme l'ont fait ou le font leurs dictateurs, figures paternelles guidant leurs enfants tout au long de la vie. Mais les Arabes sont beaucoup plus cultivés qu'ils ne l'étaient il y a une génération ; des millions d'entre eux parlent parfaitement l'anglais parfait et comprennent que trop bien la faiblesse politique et le manque de pertinence des paroles du président. A écouter les 45mn de discours d'Obama ce mois-ci - le "coup d'envoi" de quatre jours pleins de phrases équivoques et de poudre aux yeux par l'homme qui a essayé de tendre la main au monde musulman au Caire il y a deux ans, puis n'a rien fait - on pouvait penser que le président américain avait été à l'origine des révoltes arabes, plutôt que d'être rester assis sur la touche, mort de peur.
Il y a eu un collapsus linguistique intéressant dans le langage du président pendant ces quatre jours décisifs. Le jeudi 19 mai, il a fait référence à la poursuite des "colonies" israéliennes. Le lendemain, Netanyahu lui a fait la leçon sur "certains changements démographiques qui ont eu lieu sur le terrain". Alors, le dimanche, lorsqu'Obama s'est adressé au groupe de lobby américain AIPAC (American Israël Public Affairs Committee), il a lâchement adopté la propre expression grotesque de Netanyahu. Il a parlé lui aussi de "nouvelles réalités démographiques sur le terrain." Qui aurait cru qu'il parlait des colonies juives illégales au plan international, construites sur des terres volées aux Arabes lors d'un des plus grands hold-ups immobiliers de l'histoire de la Palestine ? Un retard dans l'instauration de la paix saperait la sécurité israélienne, a annoncé Obama - pas au courant apparemment que le projet de Netanyahu est de continuer à retarder et retarder et retarder jusqu'à ce qu'il ne reste plus de terre pour un État palestinien "viable" que les États-Unis et l'Union européenne souhaitent soi-disant voir.
Puis nous avons eu le verbiage sans fin sur les frontières de 1967. Netanyahu les a qualifiées d' "indéfendables" (bien qu'elles aient semblé drôlement défendables pendant les 18 années qui ont précédé la guerre des Six-Jours) et Obama - oublieux du fait qu'Israël doit être le seul pays au monde à avoir une frontière terrestre orientale mais qui ne sait pas où elle est - a dit ensuite qu'il avait été mal compris lorsqu'il a parlé de 1967. Peu importe ce qu'il dit. George W. Bush a cédé il y a des années lorsqu'il a remis à Ariel Sharon une lettre qui exprimait l'approbation de l'Amérique pour "les grandes centres de population israélienne déjà existants" au-delà de la ligne de 1967. Pour les Arabes prêts à écouter l'oraison molle d'Obama, ce fut la prosternation de trop. Ils n'ont tout simplement pas pu comprendre la réaction du Congrès au discours de Netanyahu. Comment les hommes politiques américains ont-ils pu se lever et l'applaudir 55 fois - 55 fois - avec plus d'enthousiasme qu'un des parlements de chiffon d'Assad, Salah et les autres ?
Et que diable a bien pu vouloir dire le Grand Discoureur quand il a dit que "tout pays a droit à l'auto-défense" mais que la Palestine serait "démilitarisée" ? Ce qu'il a voulu dire, c'est qu'Israël pourrait continuer à attaquer les Palestiniens (comme en 2009, par exemple, lorsqu'Obama est resté traîtreusement silencieux) pendant que les Palestiniens devraient prendre ce qui leur tombe dessus s'ils ne se comportent pas selon les règles - parce qu'ils n'auront pas d'armes pour se défendre. Comme pour Netanyahu, les Palestiniens doivent choisir entre l'unité avec le Hamas ou la paix avec Israël. Tout ceci était très bizarre. Quand il n'y a pas d'unité, Netanyahu nous dit qu'il n'a pas d'interlocuteur palestinien parce que les Palestiniens sont désunis. Pourtant quand ils sont unis, ils sont disqualifiés pour les pourparlers de paix.
Bien entendu, plus vous vivez au Moyen-Orient et plus le cynisme grandit. Je me souviens par exemple d'être allé à Gaza au début des années 1980, lorsque Yasser Arafat dirigeait son petit État de l'OLP à Beyrouth. Soucieux de détruire le prestige d'Arafat dans les territoires occupés, le gouvernement israélien a décidé de soutenir un groupe islamiste de Gaza nommé Hamas. En fait, j'ai vu de mes propres yeux le chef du commandement sud de l'armée israélienne négocier avec des responsables du Hamas, leur donnant l'autorisation de construire de nouvelles mosquées. Il est juste de dire, bien sûr, qu'ils étaient très occupés aussi à l'époque à encourager un certain Osama Bin Laden à combattre l'armée soviétique en Afghanistan. Mais les Israéliens n'ont pas laissé tomber le Hamas. Ils ont tenu plus tard une autre réunion avec l'organisation en Cisjordanie ; l'histoire a fait la une du Jerusalem Post le lendemain. Mais les Américains n'ont pas moufté.
Je me souviens d'un autre moment au cours de ces longues années. Des membres du Hamas et du Jihad Islamique - tous palestiniens - ont été, au début des années 1990, éjectés de l'autre côté de la frontière israélienne au sud Liban où ils ont passé plus d'un an à camper dans les montagnes glaciales. J'allais les voir de temps en temps et une fois, j'ai mentionné que j'allais en Israël le lendemain. Immédiatement, un des hommes du Hamas a couru vers sa tente et est revenu avec un carnet de notes. Il m'a ensuite donné les numéros de téléphone de trois hauts responsables politiques israéliens - deux d'entre eux ont toujours un rôle de premier plan aujourd'hui - et, lorsque je suis arrivé à Jérusalem et que j'ai appelé les numéros, ils se sont tous avérés corrects. En d'autres termes, le gouvernement israélien avait été en contact personnel et direct avec le Hamas.
Mais le récit est maintenant devenu méconnaissable. Les Hamas sont des super-terroristes, les représentants d'al-Qa'ida dans la direction palestinienne unifiée, les hommes du mal qui feront en sorte qu'il n'y ait jamais de paix entre les Palestiniens et Israël. Si seulement c'était vrai, le véritable al-Qa'ida serait plus qu'heureux d'en revendiquer la responsabilité. Mais ce n'est pas vrai. Dans le même contexte, Obama a déclaré que les Palestiniens auraient à répondre à des questions sur le Hamas. Mais pourquoi le feraient-ils ? Ce que pensent Obama et Netanyahu sur le Hamas n'a maintenant aucune importance pour lui. Obama enjoint les Palestiniens à ne pas demander la reconnaissance de leur État aux Nations-Unies en septembre. Mais pourquoi pas ? Si les peuples d’Égypte et de Tunisie et du Yémen et de Libye et de Syrie - nous attendons tous les prochaines révolutions (Jordanie ? Bahreïn encore ? Maroc ?) peuvent combattre pour la liberté et la dignité, pourquoi pas les Palestiniens ? Sermonnés depuis des décennies sur la nécessité de protestations non-violentes, les Palestiniens choisissent d'aller devant les Nations-Unies avec leur revendication de légitimité - juste pour être giflés par Obama.
Après avoir lu tous les "documents Palestine" qu'Al-Jazeera a révélés, il ne fait aucun doute que les négociateurs officiels de "Palestine" se livreront à n'importe quelle extrémité pour avoir une sorte de mini-État. Mahmoud Abbas, qui a réussi à écrire un livre de 600 pages sur le "processus de paix" sans mentionner une seule fois le mot "occupation", pourrait même céder sur le projet ONU, craignant l'avertissement d'Obama qui a dit que ce serait une tentative d'"isoler" Israël et donc de délégitimer l’État israélien - ou "l’État juif", comme le président US l'appelle maintenant. Mais Netanyahu fait plus que n'importe qui pour délégitimer son propre État ; en effet, il ressemble de plus en plus aux bouffons arabes qui ont jonché jusqu'à présent le Moyen-Orient. Moubarak a vu une "main étrangère" dans la révolution égyptienne (l'Iran, bien sûr). Idem pour le Prince héritier du Bahreïn (encore l'Iran). Idem pour Kadhafi (al-Qa'ida, l'impérialisme occidental, comme vous voulez). Idem pour Assad de Syrie (l'islamisme, probablement le Mossad, etc.). Et idem pour Netanyahu (l'Iran, bien sûr, la Syrie, le Liban, tous ceux auxquels on pense sauf Israël lui-même).
Mais tandis que ces absurdités continuent, les plaques tectoniques soubresautent. Je doute beaucoup que les Palestiniens restent silencieux. S'il y a une "intifada" en Syrie, pourquoi pas une Troisième intifada en "Palestine" ? Pas une lutte par attaques-suicides mais par masse, des protestations fortes d'un million. Si les Israéliens ont tiré sur quelques centaines de manifestants qui ont essayé - et dans certains cas réussi - à traverser la frontière israélienne il y a deux semaines, que feront-ils s'ils sont confrontés à des milliers ou à un million ? Obama dit qu'aucun État palestinien ne doit être déclaré aux Nations-Unies. Mais pourquoi pas ? Qui se soucie, au Moyen-Orient, de ce que dit Obama ? Même pas, semble-t-il, les Israéliens. Le printemps arabe deviendra bientôt un été chaud, et il y aura aussi un automne arabe. D'ici là, le Moyen-Orient aura peut-être changé à tout jamais. Ce que dit l'Amérique n'a aucune importance.
Source : The Independant
Traduction : MR pour ISM