Daniel Vanhove
Il en va presque du renversement du pouvoir tunisien par son peuple, comme des révélations du site Wikileaks : certains « experts » vous assènent leur analyse en un coup de cuillère à pot, comme si l’évolution d’un monde de plus en plus complexe pouvait être comprise en un clic de souris...
Sarkozy : "Je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais, dans un pays où je suis venu en ami et qui me reçoit en ami, de m’ériger en donneur de leçons." Sur la photo, Sarkozy et Ben Ali à l’époque des copinages éhontés...
Ainsi disaient-ils à propos des 250.000 documents secrets annoncés par Wikileaks, « qu’il n’y avait-là rien à apprendre ». Or, force est de constater que ceux-là ne savaient manifestement pas de quoi ils parlaient, puisque chaque jour nous révèle son lot d’informations parfois plus qu’édifiantes, comme les dernières en date à propos des négociations de paix entre Palestiniens et Israéliens. Par ailleurs, comment ces « experts » auraient-ils pu prendre connaissance d’une telle somme de documents, quelques heures à peine après le début de leur publication !? C’est tout bonnement grotesque et cela révèle surtout leur fainéantise et leur incompétence crasse à tenter de comprendre un monde qui change trop vite pour leur cervelle de cancre...
Dans les évènements qui secouent la Tunisie aujourd’hui, c’est un peu pareil. Ces mêmes « experts » qui pour beaucoup saluaient auparavant le régime du dictateur Ben Ali parvenu selon eux à hisser « son » pays aux standards de démocratie à l’occidentale, vont de déclaration en déclaration, tout en reconnaissant du bout des lèvres que personne n’avait rien vu venir... Rien d’étonnant à une telle cécité dans le chef de ces incultes tellement européo-centrés et tout affairés à soigner leur égo. C’est faire aveu que la majorité d’entre eux ne connaissent rien des réalités des pays sur lesquels ils se répandent pourtant sans retenue, dès qu’il s’agit de les caricaturer grossièrement à travers le port d’un voile par de très jeunes-filles, ou par des pratiques religieuses encombrantes quand ce n’est pas par le danger imminent d’un islam envahissant. Dès qu’il est question de rapprochements culturels et/ou économiques, les envolées lyriques et les promesses d’un partenariat euro-méditerranéen renforcé vont bon train. Mais lorsqu’il s’agit de questions plus politiques, nécessitant courage et probité, le silence est de rigueur. En d’autres mots, quelle couardise et quelle incompétence crasse, toujours !
Tout cela ne serait pas bien grave si ce cercle d’ignorants n’avait d’autre écho que la vanité de leurs propos. Mais à partir du moment où certains d’entre eux se trouvent être les représentants d’un gouvernement qui depuis des décennies a les mains liées aux pratiques dictatoriales de ces Etats dont ils entendent continuer à garder le contrôle par l’entremise de dirigeants corrompus, il en va autrement. Quand la virago Alliot-Marie, plus soucieuse de ses drapés de soie que de l’écoute d’un peuple en révolte ose officiellement proposer le « savoir-faire français » en termes d’aide au dictateur en place pour le maintien de l’ordre, c’est grave, n’en déplaise à Hubert Védrine qui aimerait que cela reste une affaire franco-française. Et c’est grave à plus d’un titre. Grave d’abord, dans le concept même du « savoir-faire français » : si les représentants de la France ne se rêvaient pas encore en ancienne puissance coloniale, peut-être pourraient-ils voir la manière dont son « savoir-faire » est perçu autour de la planète !
Grave ensuite, parce que l’Occident donneur de leçons a pris l’habitude de distribuer ses points de conduite dans les affaires du monde. Et dès lors, cela ne peut plus se résumer à une affaire strictement interne au gouvernement français. Cela concerne l’ensemble des pays et des citoyens qui ont bien compris les propos de la ministre, maladroite jusque dans ses tentatives de justification qui n’ont convaincu qu’elle-même... et encore : tout menteur sait qu’il ment, même et surtout quand il lui faut insister de manière aussi pitoyable pour persuader son auditoire du contraire... Grave aussi, parce que les propos de la ministre ne l’engageaient pas seule, mais également Matignon et l’Elysée qui avaient donné leur feu vert à pareille initiative, tout comme à l’envoi de milliers de grenades lacrymogènes commandées d’urgence par le pouvoir tunisien, et que de telles pratiques révèlent l’esprit néocolonial toujours bien présent des arrogants qui nous gouvernent... Grave, parce que dans cette détestable manie de s’immiscer dans les affaires de pays dont certains nostalgiques s’imaginent encore que c’est leur pré carré, ceux-là ne s’embarrassent pas de vouloir dicter aujourd’hui la manière dont le peuple tunisien devrait manœuvrer pour réussir dans son mouvement de révolte...
Grave encore, parce qu’il n’est pas acceptable de prôner la globalisation quand elle nous arrange et de la refuser quand elle nous dérange et que cela révèle la médiocrité des petits nababs qui un jour devraient être renversés à leur tour, pour motif d’incompétence avérée... Grave enfin, parce que lorsqu’on est en charge de la politique extérieure d’un pays, on est responsable de ses propres dérives et qu’il faut non seulement les assumer, mais en tirer les conséquences en lieu et place de tenter de justifier l’injustifiable...
Quelques heures plus tard, non contente de ses grossières maladresses à l’encontre du peuple tunisien, à son arrivée à Tel-Aviv la même bêtise a fait dire à l’obtuse MAM que « la France n’acceptera pas que l’Iran déstabilise le Moyen-Orient ». Pauvre marionnette, qui ne sait pas ou feint d’ignorer que le Moyen-Orient est depuis longtemps déstabilisé par l’imposition occidentale de l’Etat sioniste mort-né sur la terre de Palestine, ainsi que par nos incessantes ingérences dans toute la région... Non contente de cette première envolée, n’a-t-elle pas enfoncé le clou en déclarant toujours à propos de l’Iran « sa détermination - vrai qu’avec ses airs de jument folle, on peut la croire ! - à faire respecter les Résolutions du Conseil de sécurité... » L’on eût aimé de la part de cette piètre actrice le même courage vis-à-vis d’Israël qui n’en respecte aucune depuis des décennies ! Et après ses lamentables déclarations à propos de la Tunisie, le minimum de décence et de retenue aurait dû faire taire cette « has been sur le retour » qui, comme l’écrit P. Haski, en tant que ministre des Affaires Etrangères paraît bien étrangère aux affaires dont elle a la charge. D’ailleurs, la population de Gaza ne s’y est pas trompée en l’accueillant à coups de jets de tomates, d’œufs et de chaussures...
Quand on pense que celle-là envisageait sérieusement sa candidature à la présidence de la République, cela nous renseigne sur l’incapacité de ces suffisants à sentir et comprendre le rejet qu’ils nous inspirent et le dédain que nous leur portons... Et cela illustre une fois encore, à quel point la classe politique est coupée de la base, toute enfermée qu’elle est dans ses certitudes de technocrates besogneux et stériles. A moins que, dans ce monde globalisé où la question de l’international est de plus en plus importante, avoir nommé MAM à la tête de la diplomatie dans le nouveau gouvernement de Nicolas Sarközy de Nagy Bocsa ne soit peut-être la meilleure manière d’éliminer « naturellement » cette piètre candidate pour le prochain tour.
En attendant, n’y aurait-il donc personne dans le gouvernement Fillon qui à défaut de lui indiquer la porte de sortie, puisse au minimum la faire taire en lui proposant de réfléchir à ce passage où le philosophe André Comte-Sponville relate l’ethnologue Claude Lévi-Strauss en ces termes :
« Si Lévi-Strauss remet en cause les illusions du sujet, c’est bien sûr, entre autres choses, parce qu’il est ethnologue : la critique de l’égocentrisme est contenue dans celle de l’ethnocentrisme, laquelle sans doute est partie intégrante du travail de tout ethnologue. C’est le privilège du regard éloigné que de produire ce décentrement : plongé dans d’autres cultures, l’ethnologue prend mieux conscience de la sienne et, sans l’annuler, en dévoile la relativité ou (en tant qu’elle se croit absolue) l’illusion. Cela remet le sujet à sa place, qui n’est pas celle d’un principe ou d’un savoir (comme pure transparence au vrai ou au bien !) mais celle, d’abord, d’un effet (le sujet n’est pas principe mais résultat) et d’une méconnaissance (le sujet n’est pas transparence mais opacité).
« Si Lévi-Strauss remet en cause les illusions du sujet, c’est bien sûr, entre autres choses, parce qu’il est ethnologue : la critique de l’égocentrisme est contenue dans celle de l’ethnocentrisme, laquelle sans doute est partie intégrante du travail de tout ethnologue. C’est le privilège du regard éloigné que de produire ce décentrement : plongé dans d’autres cultures, l’ethnologue prend mieux conscience de la sienne et, sans l’annuler, en dévoile la relativité ou (en tant qu’elle se croit absolue) l’illusion. Cela remet le sujet à sa place, qui n’est pas celle d’un principe ou d’un savoir (comme pure transparence au vrai ou au bien !) mais celle, d’abord, d’un effet (le sujet n’est pas principe mais résultat) et d’une méconnaissance (le sujet n’est pas transparence mais opacité).
Mais cette critique du sujet a aussi à voir avec le structuralisme, dont elle est peut-être l’enjeu principal. S’il faut penser par structures, c’est d’abord pour briser « les prétendues évidences du moi », qui (« le propre de la conscience étant de se duper elle-même ») font que chacun se prend, modestement, pour le sujet universel et du vrai. Ma morale n’est-elle pas la morale ? Mon goût, le goût ? Ma justice, la justice ? Ma pensée, enfin, n’est-elle pas la pensée ? Et de légiférer tranquillement, depuis le Quartier latin ou la côte Ouest, sur le destin des peuples et le malheur des consciences... Contre quoi Lévi-Strauss enseigne que la vérité de l’homme réside, non dans la prétendue transparence d’un cogito ou d’une culture mais, toutes cultures étant réputées égales (moins d’ailleurs parce qu’elles se valent toutes que parce qu’aucune n’a de valeur objective ou absolue), « dans le système de leurs différences et de leurs communes propriétés ». Que reste-t-il alors de l’homme ? Rien peut-être (« le but dernier des sciences humaines précise Lévi-Strauss dans La pensée sauvage, n’est pas de constituer l’homme, mais de le dissoudre »), et c’est ce qui effraie nos humanistes. » [1]
Note :
Extrait de « Lévi-Strauss ou le courage du désespoir » dans Une éducation philosophique - A. Comte-Sponville - Ed. PUF - 1989
* Daniel Vanhove est Observateur civil et membre du Mouvement Citoyen Palestine
Il a publié aux Ed. Marco Pietteur - coll. Oser Dire :
26 janvier 2011 - Communiqué par l’auteur