Publié le 14-01-2011
Mazin Qumsiyeh, militant palestinien et professeur de génétique, entrevoit "la fin du tunnel" ; il explique les raisons de son optimisme, et préconise de quitter l’attitude de "perdants" trop répandue au sein de la gauche, qui consiste à imaginer l’adversaire invincible et à se dispenser "d’agir pour faire de ce monde un monde meilleur".
La dernière étape dans la libération de la Palestine et de l’humanité : s’exercer à la victoire.
Ayant terminé la rédaction de mon dernier livre sur la résistance populaire en Palestine au cours des 130 dernières années, j’ai la conviction absolue que le sionisme politique échouera et que les réfugiés palestiniens seront de retour dans leurs maisons et dans leurs terres. Ma certitude est basée sur les leçons de l’histoire en Palestine et les leçons que l’on doit tirer des luttes similaires qui ont eu lieu en Afrique du Sud, au Vietnam et en Algérie. Certains particularismes qui contribueront à notre succès sont les suivants :
L’histoire incroyable et exemplaire de la résistance populaire locale. Le sous-titre de mon livre est « Une histoire d’espoir et de prise de pouvoir ». Plus de 200 formes de résistance populaire sont mises en pratique et parmi elles un large échantillonnage de ce que nous appelons en arabe « soumoud ». La résistance est la seule forme de lutte qui puisse barrer le chemin au projet sioniste. Cinq millions et demi de Palestiniens vivent encore dans ce que les Israéliens appellent dans leur rêve « Eretz Yisraël ».
La croissance exponentielle du mouvement « Boycott, Désinvestissement, Sanctions ». En cinq ans seulement (2005 – 2010) nous avons réalisé plus que ce que nous avions été capables de réaliser avec le mouvement BDS en Afrique du Sud entre les années 1950 et 1980.
La rébellion intérieure en Algérie et en Tunisie nous montre que l’ère des gouvernements arabes conservateurs, égoïstes et antidémocratiques doit toucher à sa fin. Il y a de formidables ressources intellectuelles dans le monde arabe qui peuvent se libérer pour construire une vibrante société à tous les niveaux (culturel, économique, scientifique, etc.)
Malgré la censure qui contrôle lourdement l’ensemble des médias, des gens de bonne volonté ont été, et sont capables de crier la vérité et beaucoup de mythes du sionisme ont été démolis, l’internet ayant simplement accéléré le processus.
La publication de l’appel de la société à agir en 2005 et le document Palestine Kairos en 2009 a donné un élan formidable à l’action militante autour du monde, y inclus les courants cléricaux.
La croissance de la solidarité internationale est sans parallèle dans l’histoire. Malgré les tentatives des autorités israéliennes pour stopper le soutien international par diverses méthodes notamment celle d’interdire l’entrée des militants en Israël, le mouvement n’a cessé de grandir de plus en plus. Nous sommes passés de quelques centaines à des dizaines de milliers de militants. Et d’un bateau nous sommes passés à sept dernièrement. Enfin, il est prévu qu’environ 60 bateaux feront route pour briser le siège de Gaza d’ici la fin de l’année.
Nous sommes un peuple fier et combatif. La scène artistique et culturelle en Palestine et dans la communauté palestinienne en exil est la preuve d’un peuple qui veut vivre et refuse d’être déshumanisé.
Nous ne recourrons pas aux tactiques de ceux qui ont choisi d’être nos ennemis. De la Dabka à la savoureuse cuisine palestinienne, en passant par bien d’autres traditions culturelles, il s’avère que la Palestine est non seulement notre milieu physique mais qu’elle est également ancrée dans nos cœurs. Nous sommes devenus le peuple le plus instruit de la région.
En Palestine, ces raisons et beaucoup d’autres, inclinent à penser que les décennies de répression, de colonisation et d’occupation auront indéniablement un dénouement heureux. Nous avons fait face presque tout seuls à l’entreprise coloniale la mieux organisée, la mieux financée et la plus soutenue par l’occident dans l’histoire. Des êtres humains rationnels voient que la montée de l’intégrisme est encouragée quand Israël est traité de façon privilégiée, est financé et protégé, alors même qu’il méprise les droits humains et la loi internationale. Les sionistes agissent pour contrôler et manipuler. Nous devons continuer à rester fermes, à refuser d’être considérés comme des esclaves. Nous exposons nos histoires avec dignité et expliquons pourquoi ce système est, pour tout dire, de nature tribale et dangereux pour l’humanité entière. Nous le faisons sans haine envers les individus, mais avec colère et haine envers les actions inhumaines des quelques esprits égarés qui pensent qu’on peut leur pardonner éternellement leurs crimes de guerre et leurs crimes contre l’humanité.
Des gens dans le monde entier voient de plus un plus la réalité et se joignent à notre lutte. Je m’adresse presque chaque jour à des groupes de visiteurs dans la région de Bethléem pour leur montrer la réalité. Je reçois fréquemment des invitations pour faire des conférences à l’étranger mais j’essaie de limiter ces voyages car il y a tant à faire chez nous.
Nous nous adressons parfois à des groupes très divers au grand étonnement des puritains de tout bord. Pour prendre un exemple, j’ai pris la parole dans des universités et des écoles aux Etats Unis où la majorité des étudiants et des professeurs étaient juifs (e.g., Brandeis, Manhattanville), j’ai parlé à la faculté de défense de l’OTAN, dans des églises conservatrices, dans des synagogues et dans des centres communautaires juifs, dans des réunions de rédacteurs de journaux influents appartenant en grande partie à des sionistes, et nous avons même pris la parole dans l’Académie Navale des Etats Unis. En Cisjordanie je me suis adressé à un vaste éventail de visiteurs, allant de personnalités haut placées dans l’église, à des membres du congrès américain, à des parlementaires britanniques, du personnel consulaire et même des universitaires israéliens. Quelques personnes, surtout à gauche, sont réticentes à ce type de rencontres et certains mêmes nous ont critiqués ouvertement pour ces actions. Mais si nous sommes disposés à parler aux soldats israéliens pour leur dire qu’ils sont en train de commettre des crimes de guerre en obéissant aux ordres, et que nous faisons en sorte (bien que rarement) de toucher la fibre sensible dans le cœur de nos oppresseurs directs, pourquoi ne pourrions-nous pas parler à tous les autres humains sans considérer leurs antécédents.
Il est contreproductif d’imaginer le pire dans l’humanité, de juger de façon erronée le cours de l’histoire et de s’adresser seulement à ceux qui sont d’accord avec nous. C’est une attitude de perdant qui oblige beaucoup de ceux qui sont à gauche à suivre les consignes sans penser de façon créative comment nous obtiendrons le pouvoir. De la même manière cette attitude pousse ceux qui sont au pouvoir à la complaisance, à la corruption et à la méfiance envers le peuple. Beaucoup parmi eux utilisent un langage codifié (les médias sont contrôlés, le lobby sioniste est trop fort, la politique ne peut rien changer, les structures de pouvoir sont ce qu’elles sont, etc.) mais ils n’ont pas sérieusement la volonté d’agir pour faire de ce monde un monde meilleur.
Au cours de cette année nous atteindrons le chiffre de sept milliards d’humains sur cette terre. Les inégalités dans beaucoup de pays entre les riches qui deviennent plus riches et les pauvres qui deviennent plus pauvres ne pourront pas continuer. La peur du changement est en fait ce qui paralyse beaucoup de gens. Comme certains l’ont déjà signalé, notre plus grande peur n’est pas d’échouer. Pour beaucoup d’êtres humains, la plus grande peur c’est de pouvoir réussir mieux que dans nos rêves les plus fous. Je crois vraiment que c’est la peur du succès qui rend les gens si lâches. Après tout, si beaucoup essaient de réaliser leurs rêves (personnels ou collectifs) et réussissent, alors cela montrera que les années qu’ils ont passé à se plaindre et à avoir peur sont dues en fait exclusivement à leur manque de courage pour se changer eux-mêmes.
Les neurobiologistes nous disent que nous les humains utilisons seulement une toute petite fraction de notre cerveau (on nous dit que les génies n’utilisent que 1-2%). Dans le mouvement pour les droits civils des années 50 en Amérique on employait cette formule « libérez votre esprit et votre derrière suivra ». Je pense qu’un changement arrive toujours après que les gens ont changé d’attitude en prenant une direction positive. Ceci n’est pas seulement possible mais impératif et inévitable. Plus les gens réagissent, plus vite ils réussissent. C’est pourquoi nous devrions travailler sur la nature de la société pour parvenir à la victoire inévitable : elle aura comme ciment les droits humains et le respect de la loi et non le pouvoir militaire ni la repression.
Par le Professeur Mazin Qumsiyeh
http://www.qumsiyeh.org/thelaststepinliberation/
(Traduction : Annie et Pedro)
CAPJPO-EuroPalestine