Les Israéliens autorisent le transfert de certains produits dans la bande de Gaza. Mais leur stricte sélection et les restrictions imposées à une activité essentielle comme la pêche sont un frein à tout projet de développement économique.
« Ceux-là viennent d’Israël. Les sardines au fond, on les a pêchées cette nuit. Il y en a aussi qui sont ramenés d’Égypte. » Devant son échoppe du marché aux poissons, ce commerçant gazaoui désigne chaque espèce par sa provenance : quelques pièces de sar, de rouget, alignées au sol dans de la glace. Trois ans après le début du blocus imposé par Israël, cette bande de terre qui longe la mer réussit le tour de force d’être devenue un importateur net de poissons. Une partie passe par les tunnels depuis l’Égypte, mais la majorité est importée… d’Israël ! Au port, à quelques dizaines de mètres en contrebas de la criée, la plupart des barques sont là. Ahmed Elass est assis avec sa famille à l’ombre d’un auvent de fortune, à côté de ses filets. « Cette nuit, ils ont tiré vers 4 heures, explique le pêcheur. Ils disent qu’on a le droit d’aller jusqu’à 3 milles, mais en réalité, dès qu’on dépasse 2 milles, ils font des problèmes. » Au fil des ans, la surface autorisée aux pêcheurs de Gaza s’est réduite comme peau de chagrin. De 20 milles nautiques lors des accords d’Oslo, la limite est descendue à 10 milles au moment de la seconde Intifada, avant de tomber à 3 milles (5 kilomètres) aujourd’hui.
Une relation inhumaine autant que cynique.
À cette distance, les filets ne ramènent que de petits poissons, principalement des sardines, et de moins en moins, car après toutes ces années de restriction, les eaux côtières sont surexploitées. Selon la FAO, la pêche a diminué de 47 % entre 2008 et 2009. « On ne ramène plus que 300 à 400 kg par jour. À 4 shekels le kilo, il faut encore enlever le prix de l’essence, des filets », soupire Ahmed qui partage le maigre butin restant avec ses deux frères. Comme lui, les 3 500 pêcheurs de Gaza ont aujourd’hui le plus grand mal à continuer à travailler et, alors que la mer devrait tirer l’économie du territoire, ce sont les importations israéliennes de poissons qui explosent. Quatre tonnes en novembre 2008, 32 tonnes en octobre 2009, selon le Palestinian Trade Center.
Car tout n’est pas bloqué aux entrées de la bande de Gaza. Certaines marchandises sont autorisées, dont la sélection témoigne d’un siège qui n’est pas seulement inhumain par la pénurie qu’il impose, mais aussi souvent cynique. Dans le rapport qu’elle vient de publier, l’organisation israélienne des droits de l’homme, Gisha, qui lutte pour la liberté de mouvement, a passé au crible trois années de blocus. Le premier aspect de l’étude est connu : Israël ne laisse entrer à Gaza que 97 produits, contre plus de 4 000 avant 2007, et quatre fois moins de chargements de camions de marchandises (2 300 par mois, contre 10 400). Le deuxième aspect l’est moins : on apprend ainsi qu’Israël accepte, par exemple, de faire entrer de petites quantités de margarine, mais pas de gros blocs qui pourraient servir à une activité industrielle. De la même façon, explique Gisha, Israël interdit « le transfert de caoutchouc, de colle et de Nylon utilisés pour la fabrication de couches à Gaza, mais autorise celui de couches produites en Israël ». Une sélection qui a le double avantage, pour les dirigeants israéliens, d’empêcher tout développement économique à Gaza et d’écouler certains stocks de produits israéliens. À Gaza, les responsables de l’usine d’eau minérale Arjan en savent quelque chose. L’équipe est fière de vous faire visiter les locaux : le petit laboratoire d’analyses de la qualité, les appareils de désalinisation, la chaîne de mise en bouteilles…
Produire de l’eau minérale... un vrai besoin
« L’eau minérale, ça peut paraître une drôle d’idée, mais on manque d’eau potable, et celle qui est filtrée n’est pas non plus bonne pour la santé », explique Bassem Aboudraz. Ce scientifique d’une quarantaine d’années fait partie de l’équipe qui a planché sur le projet à partir d’août 2009, développant des trésors d’ingéniosité pour rendre possible une telle infrastructure malgré le blocus. La majorité du matériel a été ramenée d’Égypte, l’argent réuni grâce à des investisseurs de Gaza et de l’extérieur, et des publicités ont même été publiées dans le journal. Gaza n’avait pas vu une telle usine se monter depuis des années. Et puis ? « Et puis, en février, moins de deux semaines après l’ouverture, Israël a fait rentrer des millions de bouteilles d’eau minérale moins chère que nous, alors qu’on n’avait pas vu une seule bouteille depuis quatre ans », explique le directeur de l’usine, blasé. L’information est facilement vérifiable. Sur son site Internet, le Cogat – le bureau israélien qui applique la politique d’entrée et de sortie dans les territoires palestiniens – tient à jour la liste des marchandises autorisées et leur date d’entrée. « Eau minérale : février 2010. »
Dans l’usine Arjan, des milliers de bouteilles sont stockées depuis des mois, impossibles à écouler, et la chaîne d’eau minérale est arrêtée. L’usine qui emploie une vingtaine de personnes continue à fonctionner en fabriquant des jus de fruits. « C’est clair que les Israéliens ont fait ça pour casser l’industrie », souligne le directeur, Attqia Esleem. « Si on pouvait exporter, on pourrait employer 2 000 ou 3 000 personnes. On a des idées ici, mais on a besoin d’un soutien extérieur pour les réaliser », ajoute-t-il. Un soutien politique, financier, technologique des gouvernements, des entreprises et même des universités, pour tenter de fissurer ce blocus. D’ailleurs, si la France demandait à ce qu’Arjan puisse être exportée, l’usine est prête à lui envoyer un camion d’eau gratuitement.