Ramzy Baroud
Ce que les Palestiniens ont aujourd’hui, c’est une profonde gratitude pour les pays d’Amérique latine qui ont récemment rejoint le groupe des nations qui reconnaissent la Palestine indépendante...De nombreux Palestiniens comprennent maintenant que pour tirer parti de la solidarité internationale qui se développe, la direction palestinienne doit échapper à l’emprise de fer et au monopole des Etats-Unis
Quand, il y juste un peu plus de 22 ans, le défunt président palestinien Yasser Arafat lut la Déclaration d’ Indépendance de la Palestine, partout dans le monde les Palestiniens furent fous de joie. Ils burent chacune de ses paroles pendant la session du Conseil national palestinien (PNC), le 15 novembre 1988 en Algérie. Les membres du conseil n’arrêtaient pas d’applaudir, ils chantaient le nom de la Palestine, la liberté, le peuple et plus encore.
Chez eux, à Nuseirat, un camp de réfugiés de Gaza, des amis et voisins regardaient, nombreux, l’événement sur un petit téléviseur en noir et blanc.
La Déclaration d’ Indépendance disait, pour partie : “En ce jour, contrairement à tous les autres…alors que nous sommes au seuil d’une aube nouvelle, en tout honneur et modestie nous saluons humblement l’esprit sacré des nôtres qui sont tombés, Palestiniens et Arabes, dont la pureté du sacrifice pour notre patrie a illuminé notre ciel et donné vie à notre Terre.”
On versa beaucoup de larmes et ceux qui regardaient cet événement historique se rappelaient les innombrables « esprits sacrés de ceux qui étaient tombés ». Le camp de Nuseirat à lui seul avait enterré par dizaines la fine fleur de ses hommes, femmes et enfants l’année précédente.
A ce moment-là, le premier soulèvement palestinien (en décembre 1987) avait brusquement changé une équation politique qui reléguait à l’arrière plan la cause palestinienne tout comme l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine).
En novembre1987, les dirigeants arabes s’étaient rencontrés à Amman où ils avaient centré leurs discussions presque exclusivement sur la guerre Iran-Irak. La “question centrale” des Arabes ne reçut même pas la mention de pure forme habituelle. La direction de l’OLP, exilée en Tunisie depuis la guerre d’Israël contre le Liban en 1982, était désavouée, marginalisée et, pire, discréditée.
Le peuple palestinien observait, stupéfait. Mais pas pour longtemps. Quelques jours seulement après le désastreux sommet arabe, les rues palestiniennes s’embrasèrent dans une éruption de fureur. Par dizaines de milliers, les gens descendirent dans les rues de la bande de Gaza, de Cisjordanie et même des villes arabes d’Israël. Ils exprimaient leur frustration haut et clair à tous ceux qui contribuaient à leur long malheur et leur oppression.
Tandis qu’ils célébraient le soulèvement du peuple, Yasser Arafat et la direction de l’OLP ne semblaient pas avoir de plan concret. Mais ils firent de réels efforts pour tirer profit du moment. Des représentants de l’OLP furent d’abord consultés, au niveau régional et international et puis les Etats-Unis et d’autres puissances occidentales tentèrent de courtiser l’OLP et d’obtenir des « compromis ». Cette « implication » était conditionnelle bien sûr, et elle l’est encore à ce jour.
La Déclaration d’Indépendance de la Palestine, c’était tirer parti de tout cela. Tout en ayant redonné vie au « pouvoir du peuple » comme facteur politique conséquent dans l’équation moyen-orientale, elle annonçait aussi le retour triomphal de l’OLP et d’Arafat. “Nous appelons notre grand peuple à se rallier à la bannière de la Palestine, à la chérir et la défendre, afin qu’elle reste toujours le symbole de notre liberté et de notre dignité dans notre patrie, une patrie pour les gens libres, maintenant et toujours,” affirmait la déclaration.
Abu Ashraf, du camp de réfugiés de Nuseirat était un homme pauvre qui avait 6 enfants. Un diabète mal traité avait imposé un tribut à son corps. Il avait été boxeur, avait combattu au niveau régional (avec les autres camps de Gaza) mais son corps était maintenant déformé et ratatiné. Pourtant, quand Arafat déclara que l’Etat de Palestine existait, -même si c’était sur le papier et grandement symbolique- Abu Ashraf se leva et se mit à danser. La cane tournoyant au dessus de sa tête, il dansa à travers la pièce sous les rires de ses enfants.
Environ 100 pays reconnurent alors la “Palestine”. Des ambassadeurs furent envoyés dans de nouveaux postes dans de nombreux pays, sauf les Etats-Unis et les Etats européens. Ce qui ne semblait pas avoir grande importance. La Palestine n’avait jamais recherché la légitimation des puissances mêmes qui avaient aidé à mettre en place, à soutenir et à défendre l’occupation israélienne illégale et sa violence.
Le problème c’est qu’Arafat, son parti politique, le Fatah, et la direction de l’OLP ne pouvaient avancer que jusqu’à un certain point. Chez les « pragmatiques » du Fatah il y avait cette conception subtile que sans la validation des Occidentaux, surtout les Etats-Unis, une Palestine véritable, tangible, ne pourrait jamais succéder à la Palestine symbolique.
Pourtant les Etats-Unis, ultimes rempart d’Israël, avaient durci les conditions, ce que l’OLP accepta sans difficultés. Plus Arafat acceptait de conditions, plus on attendait de lui qu’il en accepte d’autres. Parmi celles-ci : reconnaître la résolution 242 des Nations unies, renoncer à la lutte armée, exclure de l’OLP les factions considérées comme trop radicales par les Etats-Unis, et bien d’autres encore.
Au début Arafat semblait avoir une stratégie : obtenir quelque chose et puis exiger davantage. Mais les concessions ne s’arrêtèrent jamais et Arafat était constamment exhibé comme se pliant aux exigences des Etats-Unis.
Il reçut très peu en retour sinon, 6 ans plus tard, une Autorité palestinienne qui ne faisait que gérer de petites zones séparées ’autonomes’ en Cisjordanie et à Gaza. Ce qui avait été un moment glorieux d’indépendance en restait à cela : un moment fugitif.
L’« implication » des Etats-Unis en co-opta prématurément et avec beaucoup d’intelligence le potentiel politique, ce qui accoucha des accords d’Oslo. D’Oslo, ensuite, découlèrent de nombreux désastres dont nous sommes encore témoins aujourd’hui.
La fin 2010 a vu le retour de la ferveur de la reconnaissance, sous la houlette de Mahmoud Abbas, le dirigeant de l’Autorité palestinienne. Cette fois-ci, cependant, c’est sans fanfare et sans véritable espoir d’initiatives politiques significatives.
Abu Ashraf est mort à 45 ans, brisé et sans le sou. Ses enfants et ses petits-enfants vivent toujours dans la même maison dans le même camp de réfugiés. La seule petite différence dans leur vie c’est que l’occupation militaire israélienne du passé porte un autre nom, remplacée par un siège très dur. Les soldats sont toujours à proximité, juste à quelques kilomètres de tous les côtés possibles. Et ces jours ci il ne semble guère y avoir de raison de danser.
Ce que les Palestiniens ont aujourd’hui, c’est une profonde gratitude pour les pays d’Amérique latine qui ont récemment rejoint le groupe des nations qui reconnaissent la Palestine indépendante. L’Uruguay a promis de la reconnaître en janvier 2011. De nombreux Palestiniens comprennent maintenant que pour tirer parti de la solidarité internationale qui se développe, la direction palestinienne doit échapper à l’emprise de fer et au monopole des Etats-Unis et aller vers ses partenaires d’autrefois, du temps d’avant Oslo, d’avant le « processus de paix », de la Feuille de route et de toutes les autres promesses trahies.
Ramzy Baroud écrit pour Palestine Chronicle dont il est rédacteur. Son dernier livre:The Second Palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle (Pluto Press, London).
ramzybaroud@hotmail.com
publié par AMIN
traduction et choix de photo de focus (Yasser Arafat au CNP d’Alger) : C. Léostic, Afps