Janine Zacharia
The Washington Post
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Un concert d’Elton John ne fait pas normalement la une des journaux. Mais en Israël, où beaucoup ont le sentiment, comme jamais au cours des dernières décennies, d’être rejetés, la décision de l’idole légendaire de la musique pop de venir à Tel Aviv jeudi dernier a été la cause d’une véritable fête.
Liban. Soutien aux deux navires prêts d’appareiller pour Gaza.
(Mohammed Abed/AFP via Getty Images)
Après des semaines d’article ennuyeux sur des artistes qui cédaient aux appels à boycotter Israël, des diplomates israéliens qui se faisaient expulser par des pays amis, et même sur les pressions qui venaient des Etats-Unis pour changer de cap à Gaza, John a donné l’occasion à Israël « pendant trois heures », comme un critique musical l’a dit, « d’être un pays normal ».
Israël n’est pas étranger à ce sentiment d’isolement. Il a subi les années de l’hostilité soviétique et arabe pendant la guerre froide. Des livres ont été écrits sur l’antagonisme des Nations unies tel que ressenti par l’Etat juif. Une chanson bien connue, vieille de plusieurs décennies, « Le monde entier est contre nous », est reprise aujourd’hui par des Israéliens qui soutiennent que quoi que fasse le pays, il sera dédaigné.
Le sentiment est devenu plus vif ces dernières semaines. Avec un processus de paix au point mort, une communauté internationale qui jette un regard sceptique sur les démonstrations de force israéliennes, et les groupes propalestiniens toujours pressés de se saisir des faux-pas commis par le pays, le décor était monté pour la scène des réactions furieuses au moment où les commandos ont tué neuf militants à bord du navire humanitaire turc qui se dirigeait vers Gaza, le 31 mai. Depuis, les Israéliens se sont lancés dans un débat national, chaud, sur le comment et le pourquoi d’un tel isolement du pays.
La décision ultérieure du Premier ministre Benjamin Netanyahu d’alléger le blocus de la bande de Gaza, concession faite à ses alliés européens et états-uniens, a révélé l’ampleur des pertes de soutiens internationaux à Israël, selon les analystes.
« Il y a une chose que les Israéliens savent : c’est qu’ils dépendent énormément et des Etats-Unis et de l’Allemagne, et dans un sens plus large, de l’Europe. Et il n’y a rien qu’ils ne craignent plus que d’être seuls au monde, » dit Tom Segev, historien israélien.
Peu importe comment les seuls Israéliens pouvaient le ressentir dans le passé, ils étaient toujours assurés du soutien inconditionnel des Etats-Unis. Mais même si aujourd’hui les sondages aux Etats-Unis montrent toujours un fort soutien de l’opinion à Israël, il n’empêche que des militants états-uniens ont participé à l’organisation des flottilles humanitaires pour Gaza. Dimanche, 500 manifestants dans le port d’Oakland ont empêché le déchargement d’un cargo israélien.
Mais ce ne sont pas seulement les libéraux de la Baie de San Francisco qui critiquent Israël. Le pays a eu huit années d’un soutien sans réserve US sous la présidence de George W. Bush, maintenant avec l’approche du Président Obama pour le Moyen-Orient, les Israéliens se sentent comme en danger de perdre leur plus important allié.
Les diplomates US ont travaillé avec l’envoyé spécial, Tony Blair, pour faire pression sur Israël afin qu’il revoit sa politique pour Gaza et qu’il limite son blocus aux armes et aux matériels d’armement. Les Etats-Unis ont également exercé des pressions pour que des matériaux de construction soient autorisés à entrer dans le territoire qui est sous contrôle du groupe islamiste Hamas. Plutôt que de répéter comme des perroquets le leitmotiv israélien, « il n’y a pas de crise humanitaire à Gaza », les officiels états-uniens ont décidé de qualifier la situation d’ « insoutenable et inacceptable ».
Le ministre de la Défense, Ehud Barak, aurait dit à Netanyahu et aux autres ministres du gouvernement, après le raid sur la flottille, qu’il fallait à Israël une « initiative politique audacieuse et assurée » pour lui éviter un isolement international, selon le quotidien israélien Ha’aretz. Et le journal d’ajouter, citant Barak : « Il n’y a pas moyen de renouer les liens avec l’administration (US) sans avancer un programme politique affirmé portant sur les questions centrales d’un règlement définitif avec les Palestiniens », lequel Barak rencontrait lundi le secrétaire à la Défense US, Robert M. Gates, à Washington.
La violence de la condamnation internationale qui a surgi contre Israël après son raid a pris les diplomates israéliens au dépourvu, bien qu’elle se soit produite dans un climat où déjà des artistes avaient annulé leurs concerts et où des universitaires s’étaient désinvités de conférences internationales.
Ce qui a été le plus surprenant pour les Israéliens ces derniers mois, c’est que les critiques ne sont pas venues seulement de leurs détracteurs habituels du monde musulman, mais aussi de l’Occident. Israël est devenu tel, « qu’il est très difficile, même pour ses amis les plus fidèles, de comprendre son comportement, » a dit le ministre allemand du Développent dimanche dernier qui venait de se voir interdire par Israël l’entrée dans la bande de Gaza.
Israël a eu déjà des ennuis avec ses alliés occidentaux qui l’ont fortement soupçonné d’avoir assassiné en janvier de cette année un agent du Hamas dans un hôtel de Dubaï. Israël n’a jamais dit que c’était son service de renseignements, le Mossad, qui avait commis l’assassinat. Mais l’Australie, le Royaume-Uni et l’Irlande ont expulsé les diplomates israéliens de leur territoire pour protester de l’usage, par les assassins, de faux passeports de leurs pays.
L’arrestation en Pologne, ce mois-ci, d’un agent du Mossad suspecté dans cette affaire, et la menace qui plane qu’il soit expulsé vers l’Allemagne, ont compliqué les relations d’Israël avec deux pays alliés de plus en Europe. Le ministre des Affaires étrangères néerlandais a aussi annulé sa venue en Israël prévue plus tôt dans ce mois, et un fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères a déclaré que le ministère se demandait qui d’autres allaient être refoulés dans les prochaines semaines.
Les tensions s’étendent aussi jusqu’à l’Asie : le Vietnam a fait savoir après l’incident de la flottille au président Shimon Peres, homme d’Etat vétéran d’Israël, qu’il ne fallait pas se déplacer pour la visite prévue.
La frustration ressentie du fait de l’isolement international d’Israël s’ajoute à l’anxiété qui est celle des Israéliens devant les capacités apparemment déclinantes du pays, dit Oz Almog, sociologue à l’université de Haïfa. « Nous ne sommes pas aussi forts que nous avons l’habitude de la croire », dit Almog. « Notre armée n’est plus aussi imbattable qu’autrefois ».
Alors dans ce contexte, les Israéliens ont regardé du côté d’Elton John pour se donner quelque l’assurance, tout comme ils voient des raisons de désespoir dans les annulations d’Elvis Costello, des Pixies et du chanteur psyché-folk Devendra Banhart.
Les Israéliens peuvent être indifférents à la critique quand elle émane de leurs propres médias ou des groupes israéliens pour les droits humains, dit Segev, « mais nous ne sommes pas indifférents à ces manifestations quand elles nous arrivent de l’étranger ».