mercredi 26 mai 2010

Les Arabes exclus du secteur public israélien

publié le mardi 25 mai 2010
Jonathan Cook

 
Sous représentés dans l’administration et les service publics comme en médecine mais aussi dans les entreprises, les diplômés palestiniens en Israël sont la pointe émergée de l’iceberg de la discrimination.
Ingénieur en informatique, Morad Lashin, demandeur d’emploi, aimerait travailler à la Compagnie d’Electricité d’Israël, une grande entreprise nationale, mais il reconnaît que ses chances d’être embauché sont minces.
Les raisons en sont données ce mois-ci, sous la forme de graphiques, par une commission parlementaire qui indique que seulement 1,3% des 12 000 salariés de cette entreprise publique sont arabes, alors que la minorité arabe constitue près de 20% de la population du pays.
Le rapport de la commission présente une situation de sous-représentation massive des citoyens arabes dans la plus grande partie du secteur public, dont les entreprises d’Etat et les ministères où le pourcentage de personnel arabe est habituellement en dessous des 2%.
Selon Sikkuy, un groupe de pression agissant pour une plus grande égalité civique, la politique discriminatoire à l’embauche laisse des milliers de diplômés arabes sans emploi, alors que, il y a une dizaine d’années, le gouvernement s’était engagé à agir pour y remédier.
Informaticien, Mr Lashin, 30 ans, de Nazareth, dit qu’il pouvait encore avoir un espoir de trouver un emploi dans le secteur public après toute une série de petits contrats dans des entreprises privées de pointe. « Partout où vous vous présentez, ils vous demandent si vous avez servi dans l’armée. Et comme les citoyens arabes en sont exemptés, les bons emplois sont toujours réservés aux juifs. »
Ali Haider, co-directeur de Sikkuy : « Ce type d’exemple touche le secteur privé israélien, mais le gouvernement ne trouve-t-il pas toujours lui aussi des excuses pour ne pas employer les citoyens arabes ? »
Ahmed Tibi, qui préside la commission parlementaire sur l’Emploi des Arabes dans le secteur public, dit que même lorsque les organismes d’Etat retiennent des candidats arabes, c’est dans tous les cas pour des emplois modestes. « L’absence d’Arabes dans des postes (supérieurs) montre bien qu’ils n’ont pas leur mot à dire dans le processus de prise de décisions des ministères, ».
La question de la sous-représentation dans le secteur public a d’abord été admise par des officiels en 2000 quand la loi pour une juste représentation fut votée sous la pression des partis politiques arabes.
Cependant, aucun objectif de quota d’employés arabes n’a été fixé avant 2004, quand le gouvernement accepta que sous un délai de 4 ans, les Arabes devront constituer 10% des personnels dans les ministères, les organismes d’Etat et les conseils de direction des centaines d’entreprises publiques. Par la suite, l’échéance a été prorogée jusqu’à 2012.
Le nouveau rapport établit qu’en tout et pour tout, 6% des 57 000 salariés du secteur public du pays sont arabes, pourcentage à peine supérieur à celui d’il y a dix ans.
Et Mr Tibi de remarquer que les chiffres se sont trouvés substantiellement regonflés par le nombre important de « caissiers » qui utilisés par les ministères de l’Intérieur, de la Protection sociale, de la Santé et de l’Education dans des services de base à l’intérieur des communautés arabes.
A la publication du rapport, ce mois-ci, Avishai Braverman, ministre des Minorités, a reconnu qu’il n’y avait plus d’espoir de parvenir à l’objectif dans le délai, même repoussé. Il critique son propre gouvernement pour ne pas avoir mis la barre à un niveau supérieur, jusqu’à 20% de représentation.
Les conclusions de la commission, dit Mr Tibi, montrent que les responsables manquent systématiquement à leurs engagements pour une juste représentation. Il note qu’au Parlement lui-même, il n’y a que 6 employés arabes sur 439, soit 1,4%. « Que dire quand c’est dans le temple de la démocratie israélienne qu’il existe une telle discrimination flagrante ? ».
Des pourcentages similaires sont constatés dans les départements clés du gouvernement, y compris dans les bureaux du Premier ministre, au ministère des Affaires étrangères, des Finances, du Logement, du Commerce et de l’Industrie, tout autant que dans les organismes d’Etat, telles la Banque d’Israël, l’Administration du Territoire et l’Autorité de l’Eau.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans laquelle Israël vient d’être admis la semaine dernière, indique que l’an dernier, 15 000 diplômés arabes restaient sans emploi, ou étaient contraints de travailler en dehors de leur spécialité, souvent l’enseignement.
Mr Tibi se dit particulièrement inquiet du fait qu’il n’y ait aucun Arabe dans les postes clés des ministères du gouvernement. « Ce n’est par hasard s’il n’y a pas un seul fonctionnaire de haut niveau arabe, pas un seul directeur adjoint dans les ministères, pas un seul conseiller juridique, ».
Pour lui, l’absence de décideurs politiques arabes met en lumière le manque de services publics et de ressources à la disposition des communautés arabes. La pauvreté dans les familles arabes est trois fois plus grande que dans les familles juives.
Yousef Jabareen, directeur du centre politique Dirasat, à Nazareth, dit qu’un recrutement accru de salariés arabes par le gouvernement pourrait d’un coup apporter une solution à deux problèmes urgents : à l’immense réserve de diplômés arabes qui ne peuvent trouver d’emploi, et au manque d’influence de la communauté arabe sur la politique nationale. Et il ajoute que la discrimination à l’encontre des Arabes « s’élabore dans la structure institutionnelle d’un Etat juif ».
Le rapport a été accueilli avec hostilité chez certains députés. Selon le président de la commission de la Knesset, et membre du parti Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahu, le rapport est « délirant et ignore le fait fondamental qu’une proportion significative d’Arabes israéliens sont déloyaux envers l’Etat. »
Saleem Marna, 37 ans, ingénieur en système informatique, sorti diplômé de la prestigieuse université Technion à Haïfa il y a dix ans, dit avoir abandonné tout espoir de trouver un travail régulier que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public.
Marié, quatre enfants, il dit avoir déposé une demande pour émigrer au Canada. « J’ai l’espoir que là-bas, être arabe ne jouera pas contre moi ». Hatim Kanaaneh, médecin diplômé d’Harvard, l’un des rares fonctionnaires arabes de haut niveau à avoir travaillé au ministère de la Santé israélien, jusqu’à sa démission au début des années 90, évoque les nombreuses batailles qu’il a dû mener dans la bureaucratie gouvernementale dans son livre récent, « Docteur en Galilée ».
Le Dr Kanaaneh y indique qu’aucun Arabe n’a jamais dépassé la position de médecin de sous-district, que lui-même a tenue il y a deux décennies. Même si le ministère de la Santé avait le nombre le plus important d’employés arabes de tous les ministères, aucun parmi eux n’avait été nommé à un poste de prise de décisions politiques. « En réalité, les gens dans le ministère m’ont indiqué que la situation s’était dégradée sous les derniers gouvernements de droite. » Et il ajoute que le manque de décideurs politiques arabes dans le gouvernement a des conséquences concrètes qui nuisent à la communauté arabe. Alors qu’il travaillait au ministère de la Santé, indique-t-il, le taux de mortalité infantile arabe était le double de celui de la population juive. Deux décennies plus tard, l’écart entre les mortalités infantiles juive et arabe, au lieu de baisser, s’est accru de 25%.
Le préjugé auquel sont confrontés les Arabes de formation supérieure en demande d’emploi a été révélé avec force dans un récent sondage, en novembre. Ce sondage indique que 83% des chefs d’entreprise israéliens, dans les principales branches, reconnaissent être opposés à l’embauche de diplômés arabes.
Selon Yossi Coten, directeur du Programme de formation à Nazareth, sur les 84 000 emplois dans les industries de pointe du pays, seuls, 500 sont pourvus par des ingénieurs arabes.
Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, en Israël. Il est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine.
Son courriel : jcook@thenational.ae
publié initialement le 16 mai par The National :
traduction : JPP
Intro : C. Léostic, Aps