Christophe Ayad
Des militants palestiniens commémorent le premier anniversaire de l’offensive israélienne à Gaza le 25 décembre 2009, sur une maison détruite
A l’extrême est de la bande de Gaza, il y avait un hameau, Ezbet Abed Rabbo. Trop près d’Israël, c’est l’un des endroits qui a le plus souffert de la guerre de l’année dernière. Majid Abdallah al-Athamna était un homme riche : il avait six maisons, où logeaient ses frères et ses enfants, ainsi que trois taxis Mercedes break. Tout a été détruit. Tout. Il loge aujourd’hui avec une trentaine de membres de sa famille dans une sorte de camp de fortune, mélange de préfabriqués, de grandes tentes, de tôle et de moellons. Juste derrière, les dalles de béton effondrées témoignent de sa vie passée. Les ruines sont encore minées, d’après lui, et il a interdit aux enfants de jouer dedans. L’un de ses fils a été arrêté par l’armée et est désormais emprisonné en Israël. Les autres sont à Gaza, dans une vie clochardisée. Le Hamas a donné 10 000 dollars (près de 7 000 euros) à Majdi al-Athamna à titre d’indemnité pour ses deux logements et 200 dollars par taxi détruit. L’Autorité palestinienne a promis 5 000 dollars supplémentaires. « Cet argent rembourse à peine mes meubles. Je n’ai pas les moyens de louer quelque chose : combien de temps je peux tenir avec ça ? Qu’est-ce que je réponds à mon plus jeune fils qui a besoin d’une paire de chaussures ? sanglote l’homme. Tout le monde est venu nous voir, le Hamas, l’ONU, les ONG, mais rien n’a changé. »
L’Unrwa, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens, lui a fourni une tente et des matelas ; le Hamas, qui avait promis de l’eau potable, n’approvisionne plus le conteneur depuis trois mois ; c’est la Turquie qui a fourni le préfabriqué et le pain quotidien est donné par une association émiratie. Mais pour ce qui en est de reconstruire, tout ce qui lui a été proposé, c’est d’emménager dans une maison en terre compressée bâtie par l’Unrwa sur son terrain. « Mais combien de temps je vais passer là-dedans ? s’inquiète l’homme de 60 ans prématurément vieilli par l’épreuve. Les hivers sont froids et pluvieux. » Il préfère rester dans son taudis que s’installer dans un provisoire qui n’aurait pas de fin. En attendant que quelque chose se passe, il vend les ruines de sa maison, pièce par pièce, à l’usine locale produisant du gravier…
économie à l’arrêt. Partout dans la bande de Gaza, le constat est le même. L’argent promis par la communauté internationale pour la reconstruction n’est pas arrivé. « C’est la première fois qu’à une conférence internationale de donateurs, les bénéficiaires se voient promettre le double de ce qu’ils n’ont demandé, près de 5 milliards de dollars ! ironise Issam Younes, de l’ONG de défense des droits de l’homme Mizan. C’est bien que la communauté internationale ne se sente pas à l’aise avec ce qui s’est passé ici. » Mais l’aide promise début mars à Charm al-Cheikh (Egypte) est restée l’otage d’une situation politique complètement bloquée. Israël maintient un strict blocus de la bande de Gaza tant que le Hamas détient le soldat Gilad Shalit. En outre, pas question pour l’Etat hébreu de rouvrir les points de passage sans une présence des forces de l’Autorité palestinienne pour en garantir la sécurité. Or, l’Autorité (contrôlée par le Fatah) et le Hamas ont pour l’instant échoué à se mettre d’accord sur un processus de réconciliation, malgré les efforts de l’Egypte. C’est un cercle vicieux dont chacun se rejette la responsabilité.
La situation du logement est catastrophique « Avec le retard accumulé ces dernières années en matière de construction, les destructions de la dernière guerre et l’accroissement naturel de la population, ce sont 30 000 logements qui font aujourd’hui défaut, ce qui représente 200 000 personnes mal logées, à la rue, dans des locations temporaires ou chez des membres de la famille élargie. Faute de pouvoir importer des matériaux, nous nous sommes lancés dans la construction de maisons en terre compressée. C’est écologique, c’est joli, mais ce n’est pas une solution pérenne », explique Sébastien Trives, directeur adjoint de l’Unrwa à Gaza.
Toute l’activité économique est à l’arrêt à cause de la destruction du tissu industriel et de la fermeture des frontières. « Plus de 80% de la population gazaouie vit sous le seuil de pauvreté qui correspond à 3 dollars par jour », renchérit Sébastien Trives. L’Unrwa a porté ses programmes d’aide à l’emploi de 7 000 à 14 000, mais ce sont des jobs temporaires et, surtout, en nombre insuffisant. De fait, l’agence de l’ONU est devenue le premier pourvoyeur d’aide humanitaire de la bande de Gaza. Ce qui ne manque pas d’occasionner des frictions avec le Hamas, qui veut garder la haute main sur l’aide distribuée, meilleur moyen de contrôler la société et de servir en premier ses partisans.
Nombre de supporteurs du Fatah se plaignent d’être « oubliés » dans les distributions de nourriture et de vêtements organisées par le gouvernement islamiste. « En fait, le réseau social du Hamas passe par les mosquées, explique un observateur averti. Pour en bénéficier, il faut être un habitué d’une mosquée. » C’est l’une des raisons de la montée des comportements et des tenues salafistes (adeptes d’une stricte imitation des compagnons du Prophète) chez les Gazaouis. Le ministre de la Reconstruction et du Travail, Ahmed al-Kurd, nie toute forme de chantage à l’aide. « Nous aidons 100 000 familles dont le chef est sans emploi. Pensez-vous que toutes ces familles votent Hamas ? s’exclame Al-Kurd.
Nous avons distribué 70 millions de dollars d’indemnisation à ceux qui ont eu un martyre [1 200 dollars par mort, ndlr] ou un blessé [600 dollars], perdu leur logement [5 000 dollars par habitation] ou leur usine [30 000 dollars par entreprise], quelle que soit leur couleur politique. Mais où est l’argent promis par la communauté internationale ? Nous avons besoin de 40 000 tonnes de ciment par mois et Israël ne laisse rien entrer. » En fait, il y a un peu de ciment à Gaza, mais il faut le payer à prix d’or. Il est importé clandestinement via les tunnels de contrebande avec l’Egypte. Le Hamas exige d’ailleurs de chaque propriétaire de tunnel qu’il lui en livre une tonne par semaine au titre de taxe. Certains ont visiblement les moyens.
une légitime amertume. Abdel Aziz Khaldi est l’homme d’affaires qui monte dans la bande de Gaza. Son antichambre, entièrement tapissée de marbre et de boiserie, ne désemplit pas. Il reçoit dans ses bureaux sur l’avenue Omar al-Mokhtar, la principale artère de la ville de Gaza. Les locaux, flambant neufs, ont ouvert il y a seulement six mois. On dit de lui qu’il est le financier du Hamas ; il dément mollement. Abdel Aziz Khaldi achète essentiellement des terrains et de l’immobilier, semble-t-il pour le compte du mouvement islamiste. Il ne s’en cache pas. « Pour les 20% les plus riches, il y a des affaires à faire. L’immobilier est très recherché et personne n’a confiance dans les banques. » L’homme d’affaire vient d’acheter l’hôtel Commodore et espère en tirer le double lorsque l’Autorité palestinienne lui rachètera pour en faire ses bureaux à Gaza. Mais quand ?
En attendant une improbable réconciliation, le fossé se creuse de plus en plus entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. Alors que les Gazaouis, qui se sont sentis abandonnés pendant la dernière guerre, vivent un siège sans fin, les habitants de Cisjordanie, eux, voient leur situation économique s’améliorer sous l’impulsion du gouvernement de Salam Fayyad, choyé par les bailleurs de fonds internationaux. Les Gazaouis en conçoivent une légitime amertume et une déprime de plus en plus avouée. « Pendant la guerre, nous n’espérions qu’une chose, que ça s’arrête, sortir vivant de tout ça, juste sentir l’air entrer et sortir de nos poumons, raconte Rami. Et maintenant, nous nous contentons de survivre. La moindre des choses, changer un pneu, se procurer un livre, nous prend des semaines. Notre esprit est entièrement occupé à des futilités. Elle est là la victoire d’Israël. »
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