Entretien avec Naomi Klein
Une des personnes les plus en vue qui ont soutenu l’appel au BDS est l’auteure et militante canadienne, Naomi Klein, qui connaît régulièrement un énorme succès de foule, qui jouit d’une importante couverture médiatique et dont les livres se vendent comme des petits pains lors de ses tournées de promotion dans le monde.
Quand elle a publié son dernier best-seller The Shock Doctrine en hébreu et en arabe, Klein a décidé que la situation politique en Israël et en Palestine appelait une approche entièrement différente.
Opposée à l’occupation israélienne, elle a décidé de ne pas signer un contrat traditionnel pour son livre avec avances et droits d’auteur. Au lieu de cela, elle a fait don de ce livre à Andalus, une maison d’édition qui travaille activement contre l’occupation. C’est le seul éditeur israélien qui se consacre exclusivement à la traduction d’arabe en hébreu, ce que sa fondatrice, Yaël Lerer, appelle « faire de l’édition un acte de résistance ».
Klein et Lerer ont préparé une tournée de promotion qui saluerait l’appel palestinien au boycott culturel d’Israël, tout en montrant également que les boycotts ne doivent pas nécessairement exclure un dialogue et une communication des plus nécessaires.
Cela étant dit, Klein et Lerer ont utilisé la tournée pour attirer l’attention sur le boycott et la lutte palestinienne et pour provoquer un dialogue interne dans le pays au sujet du boycott comme moyen de pression sur Israël afin qu’il se conforme au droit international. Le mois dernier, j’ai rencontré Klein et Lerer à Tel-Aviv pour leur demander leurs objectifs, le sens et les détails d’un boycott culturel et aussi pourquoi Lerer, Israélienne juive, dit au monde « s’il vous plaît, boycottez-moi ».
Ci-après quelques extraits de cette interview.
Cecilie Surasky : qu’est-ce que l’appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions ? Pourquoi le soutenez-vous ?
Naomi Klein : Boycott, Désinvestissement et Sanctions ; c’est une technique dont l’objectif est très clair : forcer Israël à se conformer au droit international.
L’appel [au BDS] a été lancé en 2005 par des groupes très divers de la société civile, des partis politiques et des syndicats palestiniens. Ce mouvement n’a toutefois pris une dimension internationale qu’au moment de l’attaque israélienne contre le Liban pendant l’été 2006.
Au milieu de cette guerre, l’écrivain John Berger a envoyé une lettre signée par de nombreux grands artistes, européens pour la plupart, qui déclaraient leur soutien à la stratégie de boycott. Quand la lettre a fait surface, j’étais en train d’écrire The Shock Doctrine, et j’ai personnellement décidé de ne pas le faire publier par un éditeur commercial assez traditionnel, ce que j’avais fait avec les traductions en hébreu de mes deux livres précédents.
Au lieu de cela, j’ai fait ce que demandait John Berger, à savoir trouver le moyen de publier le livre en hébreu en soutenant directement des groupes travaillant à la fin de l’occupation. C’est ainsi que j’ai rencontré Yaël, qui n’a rien d’une éditrice israélienne traditionnelle et qui a manifesté franchement son appui au BDS, ce qu’elle a payé au plan professionnel.
Surasky : vous avez sûrement longuement réfléchi à l’idée du boycott culturel. Beaucoup de critiques diraient que celui-ci ferme les communications au lieu de les ouvrir. Qu’est-ce qui vous a amené à sauter ce pas ?
Klein : Eh bien, c’est parce que le gouvernement israélien utilise ouvertement la culture comme un outil militaire. Bien que les officiels israéliens pensent qu’ils gagnent la bataille pour la terre, ils savent aussi que le pays souffre de ce que le monde apprend au sujet du conflit dans la région : militarisation, illégalité, occupation et Gaza.
Le ministère des Affaires étrangères a donc lancé une campagne intitulée « Israël au-delà du conflit » ; celle-ci utilise la culture, les films, les livres, l’art, le tourisme et le monde universitaire pour créer toutes sortes d’alliances entre l’État d’Israël et les pays occidentaux ; son but est de promouvoir l’image d’un pays normal, heureux, se substituant à celle d’une puissance occupante agressive.
C’est pour cette raison qu’on n’entend plus parler de toutes parts que de festivals de films et de foires du livre avec « un coup de projecteur spécial sur Israël ».
Et donc, bien qu’en général je convienne entièrement que la culture est positive, les livres sont positifs et les films sont positifs et que que la communication, c’est merveilleux, nous devons savoir que nous avons affaire à une stratégie officielle visant à coopter tout cela pour rendre une occupation brutale plus acceptable.
Il y a d’autres choses qui relèvent de cette catégorie : l’État d’Israël recrute ouvertement les militants gays et lesbiennes ainsi que le féminisme dans ce conflit en confrontant le fondamentalisme du Hamas au libéralisme prétendument éclairé d’Israël, autre justification pour infliger aux Palestiniens une punition collective (peu importe que des juifs ultra- orthodoxes en Israël soient de plus en plus puissants et intolérants). C’est une stratégie très sophistiquée.
Cela signifie que nous devons trouver des stratégies tout aussi raffinées pour défendre la culture et les droits humains tout en rejetant toute tentative d’utiliser notre travail et nos valeurs pour blanchir la hideuse réalité de l’occupation et de la ségrégation.
Surasky : vous avez fait une tournée de promotion de votre livre différente de toutes les autres tournées. Yaël Lerer, votre maison Andalus a publié le livre en hébreu. À première vue, il est incohérent de venir en Israël - Palestine, et d’y faire une tournée de promotion d’un livre, tout en soutenant le boycott. Pourtant vous y êtes arrivée. Pouvez-vous expliquer ?
Yaël Lerer : Andalus a fait face à cette contradiction depuis le début. Nous publions des écrivains arabes qui s’opposent à la « normalisation » de l’occupation, tout comme nous. Et nous essayons toujours de trouver la manière de résoudre ces contradictions.
En fait, c’est la première fois que nous avons fait une tournée de promotion, car normalement nous réglons ces contradictions en traduisant les livres, mais sans organiser d’événement. Nos écrivains ne viennent jamais ici. Ce défi s’est donc posé pour la première fois.
Nous avons organisé un grand lancement de l’édition en hébreu, non pas à Tel-Aviv, mais à Haïfa, au théâtre arabe, et nos invités venaient, non pas des institutions israéliennes officielles, mais des institutions palestiniennes minoritaires. (Comme vous le savez, les Palestiniens forment une minorité de 20 % en Israël).
Cet événement ne s’adressait toutefois pas uniquement aux Palestiniens- nous avons invité également des Israéliens juifs. On pouvait lire partout en hébreu « Naomi Klein vient à Haïfa, venez l’écouter ».
En même temps il était important que le premier événement concerne l’édition arabe à Jérusalem-Est et à Ramallah, et que, avant les réceptions de promotion, Naomi participe à une manifestation à Bil’in contre le mur de séparation.
Nous avons donc parlé avec le public israélien lors des événements et par l’intermédiaire des médias israéliens. Le livre est disponible en hébreu. En même temps, nous avons pris très fermement position contre la normalisation. Nous n’avons pas agi comme si tout était normal.
Klein : c’est exactement ça. Il ne s’agit pas de boycotter les Israéliens. C’est boycotter l’illusion que tout est normal en Israël , chose que les producteurs culturels sont habituellement invités à faire.
On a terriblement déformé la campagne de boycott en prétendant qu’elle vise les Israéliens, ou les juifs, ou qu’elle est antisémite. Avec cette tournée, nous essayons de dissiper ce malentendu.
Nous suivons des règles claires : nous ne participons pas à une foire du livre patronnée par l’État ; par exemple, j’ai refusé des invitations à venir en Israël pour parler dans des festivals de films patronnés par l’État ou à des événements de ce type.
Mais si je boycottais les Israéliens, je ne serais pas ici, en Israël, à avoir des contacts avec eux. Je serais restée chez moi.
Une des choses que nous essayons de dégager de cette tournée est que pour des étrangers comme moi, quelle que soit la manière dont je choisis de venir en Israël, je fais des choix et je prends parti. Il est possible de prétendre que vous ne prenez pas parti, mais c’est uniquement parce qu’Israël réussit à rendre le conflit invisible dans une bulle soigneusement aménagée.
Dans mon livre, il y a un long chapitre sur Israël et la construction de l’État sécuritaire. Ce chapitre examine de près les entreprises qui construisent les murs, barrières et postes de contrôle high-tech et qui maintiennent les Palestiniens dans les territoires occupés sous une surveillance permanente.
C’est à cause de l’efficacité du secteur de la sécurité intérieure qu’il est possible de venir dans des villes comme Tel-Aviv et d’oublier presque totalement ce qui se passe à Ramallah et à Gaza. Cet État est comme une gigantesque enclave privée. Il a perfectionné l’art de construire une bulle de sécurité et c’est dans un certain sens sa marque de fabrique.
C’est un label qui est vendu aux juifs de la diaspora comme moi. Il dit : « Avec nous, vous serez en sécurité ; nous pouvons créer pour vous, dans un océan d’ennemis, une bulle de sécurité afin que vous ayez de merveilleuses vacances à la plage, que vous alliez à des festivals de films et à des foires du livre- et cela alors même que nous bombardons Gaza, que nous transformons la Cisjordanie en une chaîne de mini-bantoustans entourés de murs, que nous étendons les colonies et que nous construisons des routes auxquelles les Palestiniens n’ont pas accès ».
Ce sont les deux faces de la même pièce : la bulle de normalité d’une part, et la brutalité de l’enfermement d’autre part. Profiter de la bulle n’est donc pas un acte politiquement neutre.
Ceci est un dialogue très sérieux et c’est pourquoi il est si important que nous publiions le livre en hébreu : à la fois pour diffuser l’information et pour défier les gens qui présentent une image faussée de cette tactique en prétendant que c’est un boycott des juifs ou un boycott des Israéliens. Ce n’est pas du tout ce que nous faisons.
J’ai fait don de mes droits d’auteur à Andalus, donc je ne profite pas personnellement de ce livre et j’ai choisi de travailler avec Andalus parce que c’est une maison d’édition militante qui prend manifestement position contre l’occupation.
Si le livre se vend bien, il aidera Andalous à poursuivre son travail. La campagne de boycott ne demande pas aux gens de ne pas venir en Israël ou dans les territoires occupés pour un partage intellectuel et artistique - elle demande que nous le fassions en opposition manifeste à l’occupation et à la discrimination.
Surasky : et comment les médias israéliens ont-ils réagi à la première tournée de promotion d’un livre en faveur du boycott ?
Klein : pas bien. Une des contradictions que nous confrontons est que nous voulons vraiment déclencher un débat en Israël parce que si le BDS fait l’objet de débats en Europe et au Canada, il est presque invisible en Israël ; il y a une vraie censure autour du sujet.
Tout ce que vous entendrez pratiquement c’est « voilà une bande d’antisémites qui détestent les Israéliens et détestent les juifs" - c’est une grosse, très grosse déformation.
Notre but est de rendre ces distorsions plus difficiles à faire en présentant quelques faits et en disant « regardez, nous avons traduit ce livre, je suis ici en Israël. Dialoguons et communiquons sur ce qu’Israël serait déterminé à défendre avec tant de vigueur ».
Nous constatons, que si les Israéliens sont très intéressés par le débat, celui-ci se heurte à une énorme résistance de la part des médias israéliens, qu’il s’agisse du rôle joué par le secteur de la sécurité dans les pressions hostiles à la paix, ou du rôle que pourrait jouer un mouvement de boycott dans la création de nouveaux groupes de pression en faveur de la paix.
Après que j’ai exposé clairement ma position sur le boycott dans le journal Haaretz, beaucoup de médias ont annulé leurs entretiens avec nous, ce qui en dit long sur la diversité du débat, mais ce n’est pas du tout surprenant non plus.
Surasky : quel est l’objectif de cette campagne ? Que voudriez-vous qu’il en sorte ?
Klein : la campagne est copiée sur le modèle sud-africain de la lutte contre l’apartheid qui a remporté beaucoup de succès dans les années 80. Elle comportait le boycott universitaire, le boycott culturel et le boycott par les consommateurs.
Toutefois, le levier économique clé est venu des universités et des municipalités qui retiraient leurs investissements des entreprises faisant des affaires avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. La campagne est devenue trop coûteuse, tant pour les entreprises sud-africaines, que pour les multinationales occidentales ayant d’importants investissements en Afrique du Sud.
Il avait aussi une situation quelque peu analogue à celle d’Israël : vous aviez une minorité blanche en Afrique du Sud qui estimait qu’elle faisait partie de l’Europe, qu’elle faisait partie de l’Occident. Et brusquement, cette minorité n’avait plus accès aux concerts usaméricains et européens qu’elle voulait, et elle n’avait pas les foires du livre qu’elle voulait, et elle n’a pas aimé ça.
La minorité blanche a donc fait pression sur son gouvernement pour qu’il mette fin à l’apartheid, même si elle estimait avoir raison et enrageait devant les boycotts et les sanctions. On espère que ce type de dynamique fonctionnera en Israël, parce qu’il est tellement important pour l’image de soi israélienne que le pays soit considéré comme un membre honorifique de l’Union européenne ou comme un complément des USA.
Lorsque les écrivains et les artistes cesseront de collaborer à la stratégie du gouvernement israélien qui utilise la culture pour cacher ce qui se passe de l’autre côté des murs de béton, les Israéliens décideront peut-être finalement que ces murs sont un risque et décideront de les faire tomber.
Lerer : je suis entièrement d’accord. En tant que citoyenne israélienne, il me faut boycotter pour deux raisons.
Tout d’abord, je veux que les Israéliens se rendent mieux compte que tout n’est pas normal. Il n’y a aucun sens à ce que beaucoup d’Israéliens prétendument gauchistes disent : « c’est terrible ce qui se passe à Gaza et à Hébron » tout en continuant à mener leur vie quotidienne comme si tout allait bien.
Ils vont au spectacle et ils vont au concert. Ces gens sont l’élite de ce pays. Ce sont les journalistes qui travaillent dans les journaux. Je veux les toucher. Je veux les secouer et leur faire comprendre qu’ils ne peuvent pas continuer à mener une vie normale alors que les Palestiniens de Qalqilya [ville de Cisjordanie entièrement enfermée par la barrière de séparation]— à 15 minutes seulement de Tel-Aviv— sont en prison.
La deuxième raison pour laquelle je dois boycotter est que j’ai perdu l’espoir de créer le changement depuis l’intérieur, ce que j’ai essayé de faire en tant que militante pendant de longues années.
Il y a 20 ans, je n’aurais jamais pu imaginer cette situation de semi-apartheid. L’avenir de cet endroit me tient à cœur. Mes concitoyens israéliens me sont chers. J’ai une énorme famille ici et beaucoup, beaucoup d’amis.
Je connais beaucoup de gens qui n’ont pas d’autre passeport et qui n’ont pas d’autre option. Je crois que la solution pour ce pays, le seul avenir possible, est la coexistence. Malheureusement, à ce stade, je ne vois pas comment cet avenir peut se concrétiser sans une pression internationale.
Et je crois que le boycott est un outil non-violent qui nous a déjà montré son efficacité. Je demande donc : s’il vous plaît boycottez-moi.
Klein : je crois aussi que nous devons être très clairs : c’est un conflit extraordinairement asymétrique dans lequel l’État israélien est le premier boycotteur. Les économies de Gaza et de Cisjordanie ont été complètement détruites par les fermetures.
En plus de la fermeture des frontières empêchant les producteurs de Gaza de faire sortir leurs fruits et légumes, [plus de 200] fabriques à Gaza ont été frappées pendant les attaques de décembre et de janvier. Ce fut la destruction systématique de l’économie afin de « donner une leçon à Gaza » pour avoir élu le Hamas. Donc des boycotts, il y en a.
En ce qui me concerne, nous utilisons le BDS à cause de l’impunité d’Israël. Celui-ci refuse absolument d’appliquer le droit international. Le Hamas a commis des crimes de guerre, et la communauté internationale a réagi à ces crimes. [Les crimes de guerre israéliens, qui se situent sur une échelle exponentiellement bien plus importante, ne suscitent aucune réaction].
Il y a peu, nous étions à Gaza. Ce qui m’a vraiment frappée c’est que la population était dans un état de choc en voyant que même après les attaques de décembre - janvier, que même après la mort de centaines d’enfants, la communauté internationale n’avait rien fait pour tenir Israël responsable.
Je veux dire qu’Israël a montré un dédain total, il a joui d’une impunité absolue vis-à-vis du droit international, des lois de la guerre - qui soit dit en passant ont été décrétées à la suite des atrocités commises par les nazis pendant la seconde guerre mondiale.
Et pourtant, non seulement ces crimes n’ont entraîné aucune conséquence, mais le siège illégal de Gaza est toujours en place.
Ce que dit le BDS, c’est que nos gouvernements ont échoué. Les Nations unies ont échoué. La prétendue communauté internationale est une plaisanterie. Nous devons combler la lacune.
Je crois aussi que ce mouvement changera le jeu aux USA. Rappelons-nous que si la lutte anti-apartheid a connu un tel succès dans les années 80, c’est en grande partie grâce à l’éducation de la population.
Dès que vous disiez « notre école ou notre ville devrait se désinvestir de l’Afrique du Sud de l’apartheid » vous deviez immédiatement organiser une séance d’information et expliquer ce qu’était l’apartheid ; il vous fallait être convaincant. Et les gens devenaient convaincus.
Le BDS palestinien pourrait créer ce mouvement aujourd’hui et donner aux gens des éléments concrets sur lesquels se baser pour organiser leurs écoles et leurs communautés.
Que [le président Barack] Obama le reconnaisse ou non, il faut que la lutte palestinienne devienne une affaire populaire, mobilisant les gens à la base, comme dans le cas de la lutte pour l’Afrique du Sud.
Obama a fait de très petits pas pour établir une sorte de nouvelle relation avec Israël, mais il est confronté à une énorme résistance de la part de la droite. Il faut qu’il y ait une contre-pression sur Obama qui lui dise : « En fait vous n’allez pas assez loin. Excusez-moi, pas de nouvelles colonies ? Et pourquoi pas, pas de colonies du tout, point barre ? ».
Le seul espoir pour le sortir de cette position intermédiaire est qu’il y ait un mouvement populaire exigeant très clairement qu’Israël se conforme au droit international sur tous les fronts, et c’est exactement ce qu’est le BDS.
Surasky : comment les Israéliens de gauche réagissent-ils à l’idée d’un boycott ?
Lerer : quelque chose s’est produit pendant la dernière guerre contre Gaza en janvier. Cinq cent quarante Israéliens - notamment d’importants universitaires, acteurs et réalisateurs de films - ont signé une pétition demandant qu’une pression internationale s’exerce sur Israël.
Dans cette pétition, un paragraphe mentionnait que seul le boycott avait été efficace dans le cas de l’Afrique du Sud. Ce n’était pas encore un appel direct au boycott, mais c’était néanmoins une étape très importante. Maintenant, nous formons un nouveau groupe de citoyens israéliens qui appuient l’appel palestinien au boycott - Boycott From Within (BFW) (boycott de l’intérieur).
En 2005, nous avons essayé de mettre sur pied un groupe d’artistes pour soutenir l’appel palestinien au boycott universitaire et culturel et nous avons échoué. On nous disait « Comment pouvons-nous nous boycotter nous-mêmes ? C’est trop difficile, c’est trop radical ». Beaucoup ont maintenant signé la pétition de Gaza et ont rejoint notre nouveau groupe BFW.
Ils ont compris qu’il ne s’agit pas de nous boycotter nous-mêmes, mais de demander à la communauté internationale, de demander à nos concitoyens partout dans le monde d’agir : s’il vous plaît aidez-nous à nous boycotter.
Surasky : donnez-moi des exemples précis d’autres personnes qui appuient cet appel.
Klein : la plupart des artistes ne connaissent pas cet appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions bien que l’idée provienne de centaines de groupes palestiniens. Nous travaillons dans un contexte où les voix palestiniennes sont pratiquement inaudibles en Occident.
Certains viendront donc en Israël pour accepter un prix ou pour donner un concert à Tel-Aviv sans savoir qu’en faisant cela, ils traversent en fait essentiellement un piquet de boycott. La plupart ne savent même pas qu’il y a un appel à la résistance non violente lancé par un peuple qui, souvenons-nous en, a été vilipendé pour avoir utilisé toutes les formes de résistance armée possibles.
Enfin voyons : si vous rejetez la résistance armée et que vous rejetez les boycotts et les sanctions, qu’est ce qui reste ? Des pétitions sur Internet ? Croyez-vous vraiment que ça va mettre fin à l’occupation ?
Oui, certains cinéastes militants politiques ont décidé de ne pas participer à des festivals de films israéliens ou patronnés par Israël.
Ken Loach s’est retiré du festival international de cinéma de Melbourne parce qu’il était patronné par le gouvernement israélien. Le cinéaste canadien John Greyson a retiré son excellent film intitulé Fig Trees du festival de cinéma gay et lesbien à Tel-Aviv.
Il y a peu, les Yes Men ont écrit une lettre vraiment sérieuse au Festival de cinéma de Jérusalem expliquant pourquoi ils avaient décidé de retirer leur nouveau film, The Yes Men Save the World du festival.
Et il est maintenant question d’organiser un festival de films pro BDS à Ramallah, une fois de plus pour boycotter la normalisation tout en faisant sortir ces films là-bas.
Surasky : je viens de lire une critique du BDS qui disait : « Vous ne demandez pas le boycott de la Corée du Nord, ni des USA à cause de l’Afghanistan ou de l’Irak. Vous est donc antisémites ». Comment répondez-vous à cette critique ?
Klein : j’ai entendu ça aussi, mais je n’appelle pas au boycott de qui que ce soit. Je respecte un appel au boycott lancé par des centaines de groupes palestiniens. Je crois que les peuples opprimés ont droit à l’autodétermination. Ceci est au cœur de cette lutte. C’est une tactique non-violente qui a été choisie par un large spectre de groupes de la société civile.
Que je sache, les Irakiens n’ont pas appelé aux tactiques BDS contre les USA alors qu’ils en auraient certainement le droit. Et pourtant, certaines personnes réagissent comme si j’avais concocté ça dans l’intimité de ma chambre à coucher, du genre « Qui vais-je boycotter aujourd’hui ? Ams tram gram, pique.. : Corée du Nord, Zimbabwe, Birmanie, Israël ! ».
Une fois encore, la seule raison de ce BDS est que les voix palestiniennes sont si efficacement marginalisées dans la presse occidentale.
Incidemment, la plupart des exemples qui sont mis en avant dans ces débats concernent des pays qui font déjà l’objet de sanctions officielles très claires. Nous n’avons donc pas affaire à des cas d’impunité comme celui d’Israël. Dans ce dernier cas, vous avez besoin d’un projet émanant de la base comblant le vide laissé par les gouvernements qui ont totalement abdiqué leur responsabilité de faire pression au nom du droit international.
Lerer : non seulement ça, mais ces pays n’ont pas de festivals de films et Madonna ne va pas donner un concert en Corée du Nord.
Le problème c’est qu’il y a une communauté internationale qui traite Israël comme s’il s’agissait d’un État européen, occidental, normal. Et ceci est la base de l’appel au boycott : la relation spéciale que les universités israéliennes entretiennent avec les universités européennes et les universités des USA, relation que n’a pas le Zimbabwe.
Je crois vraiment qu’Israël ne maintiendrait pas l’occupation un seul jour de plus sans l’appui des USA et de l’Union européenne. La communauté occidentale soutient l’occupation. Comme le dit Naomi, ne rien faire c’est agir.
Surasky : certains disent :« Cela ne servira à rien. Les Israéliens se considèrent eux-mêmes assiégés. Nous, juifs nous nous voyons sous siège. En fait, le boycott rendra les Israéliens moins ouverts à la paix ».
Klein : il est inévitable que, du moins à court terme, le BDS alimente la mentalité d’assiégés des Israéliens. Ce n’est pas rationnel parce qu’en fait, nous avons affaire à un contexte où Israël a été récompensé.
Jetons un regard sur les années clé qui se sont écoulées depuis l’élection du Hamas, quand le siège de Gaza est devenu absolument brutal et indéniablement illégal : le commerce avec Israël a en fait augmenté de façon spectaculaire. Il y a eu de nouveaux accords spéciaux avec l’Union européenne et avec l’Amérique latine. L’année dernière les exportations israéliennes vers le Canada ont augmenté de 45 %.
Bien qu’Israël soit récompensé pour ses crimes et s’en tire malgré une violence extraordinaire, le sentiment d’être assiégés augmente chez beaucoup d’Israéliens.
La question est de savoir comment pouvons-nous répondre à cette irrationalité ? Parce que si nous l’alimentons, il s’ensuit que nous ne ferons rien, que nous renonçons volontairement aux outils les plus efficaces de l’arsenal non-violent.
Bien que tout prouve le contraire, Israël pense que le monde entier est contre lui et que toutes les critiques qui lui sont adressées sont dictées par l’antisémitisme. Ceci est carrément faux et en tant que militants, nous ne pouvons pas continuer à permettre que le complexe de victimisation d’une nation dissimule la victimisation très réelle du peuple palestinien.
publié par Alternet
http://www.alternet.org/story/14234... et en français par le NPA le 19 septembre 2009 -
http://www.npa2009.org/content/naom... Traduction : Anne-Marie Goossens