mercredi 2 septembre 2009 - 06h:26
Noor El Swairki
The Palestine Telegraph
Des visages tristes, pas d’yeux qui pétillent et des sourires fatigués, voilà ce qui vous accueille d’abord quand vous entrez au service du rein de l’hôpital Al Shifa à Gaza. Face à un tel spectacle de tristesse et de chagrin, le personnel hospitalier est envahi d’un sentiment de culpabilité pour être en bonne santé. Il ne suffit pas de vous inquiéter à propos des tourments et des douleurs liés à l’insuffisance rénale ; il ne suffit pas de vous demander si vous marchez sans éprouver de douleur ou des maux de tête ou des vertiges. Ceux qui, comme Khaled, souffrent d’une insuffisance rénale, vivent dans la tristesse, le chagrin et la douleur qui accompagnent la maladie, et sont confrontés à des maux de tête fréquents et à des températures élevées.
Il y a un an, Khaled est devenu l’un des 350 malades des reins de la bande de Gaza. Il n’a que 22 ans, il a une épouse et une petite fille. Son épouse, vêtue de noir, est assise à côté de lui, lisant le Coran pendant qu’il subit une séance de lavage des reins. La question qui m’a hanté l’esprit pendant et après la visite, était de savoir si son costume noir était symbolique de leur vie, une sorte d’expression de la vie après la maladie de son époux.
En plus de l’insuffisance rénale, Khaled souffre aussi d’ostéoporose. Imaginez le à seulement 22 ans, avec une jeune épouse et une petite enfant, et incapable de travailler ou de se tenir debout pendant un long moment. Pour ceux qui ont des enfants, cela signifie ne pas pouvoir courir avec votre petit pour jouer ; ne pas pouvoir le pousser, ou la pousser, à la balançoire, sur le terrain de jeux ; ou ne pas pouvoir l’accompagner à l’école pour la rentrée des classes.
Khaled dit qu’il a reçu un choc d’abord quand on lui a diagnostiqué la maladie. « J’ai été choqué, je me demandais, pourquoi moi ? ». A sa première séance de dialyse, Khaled a eu l’impression que la douleur était insupportable. « Je me suis habitué maintenant à cette impression et je suis soutenu par la certitude qu’après chaque séance, ma vie sera prolongée d’un peu plus. » Quiconque dans sa situation doit craindre de mourir. Comme je l’ai appris cependant, ce n’est pas la mort en soi que l’on craint, mais ce qui pourrait arriver à ceux qui restent après vous. « Je crains la mort parce que je ne sais pas ce qu’il adviendra de ma femme et de ma fille. Je ne veux pas les laisser ; je les aime. » La pénurie de médicaments pour les traitements rénaux rend cette peur encore plus présente dans la vie de ceux qui souffrent d’insuffisance rénale. Même si leur vie est en suspens, elle est sous contrôle d’Israël comme un enfant assis avec une télécommande devant un jeu vidéo X-Box.
Pour les malades des reins comme Khaled, ce n’est pas seulement le manque de médicament qui trouble leur esprit déjà encombré. C’est aussi l’incapacité de subvenir aux besoins de ceux qu’ils aiment. Khaled fut encore plus troublé par ce que les médecins lui ont dit, après le diagnostic. « Les docteurs m’ont conseillé de rester chez moi, de ne pas travailler et d’éviter toute activité qui pourrait m’épuiser. Ceci me rendait incapable de soutenir ma petite famille. Même si je cherchais du travail, je n’en trouverai pas à cause de la faiblesse que me cause la maladie. De plus, aucun employeur n’accepterait mes absences pour les séances de lavage des reins deux fois par semaine. »
Khaled travaillait avant de tomber malade. Devant son incapacité de travailler aujourd’hui, les siens doivent compter sur le beau-père et la générosité de la population de Gaza. Sans l’amour, sans le soutien et la générosité des Gazaouis, Khaled et sa famille ne pourraient survivre. Quand on pense à la façon dont la communauté se rassemble pour aider, cela parait vraiment étonnant au vu des conditions extrêmes auxquelles la majorité est confrontée en raison du siège de Gaza qui se poursuit. Chômage endémique, ravitaillement limité en produits alimentaires et prix scandaleux des marchandises, tout cela n’a pas affecté le sens de la communauté ni rompu les liens qui rattachent tous les Gazaouis entre eux. Les gens sont toujours capables de tendre la main et d’aider ceux qui sont dans le grand besoin.
Pour Khaled, et les autres comme lui qui souffrent d’insuffisance rénale, le sentiment de fatigue ne disparaîtra jamais. Le traumatisme mental associé au fait de ne pas savoir si on se réveillera l’instant d’après avec un rein qui fonctionne met durement à l’épreuve les jeunes comme les vieux. Beaucoup sont décédés à la frontière ou à l’hôpital depuis le début du siège. Khaled sera-t-il le prochain martyr du siège ?
L’auteur est journaliste et écrivain pour The Palestine Telegrah.
Gaza, 31 août 2009. The Palestine Telegraph - Photos de Eman Jomaa - traduction : JPP