e projet d'Israël d'annexer l'ensemble de Jérusalem, qui s'intègre dans son effort de renforcer sa légitimité internationale, se met en place sans égard pour les considérations juridiques, morales et historiques, écrit Dan Lieberman, dans la Jérusalem occupée
rois énormes pierres de granit sont posées là, tranquillement, en haut de la rue Midbar Sinai dans Givat Havatzim, le district le plus au nord de Jérusalem. Sans aller au détail, ces pierres impressionnantes font partie des différents préparatifs du mouvement des Fidèles du Mont du Temple et de la Terre d'Israël pour ériger un troisième temple sur le Mont du Temple Haram Al-Sharif. Etant donné que le Waqf islamique possède et contrôle toutes les propriétés sur Haram Al-Sharif (Noble Sanctuaire), par quels moyens ces pierres peuvent-elles être portées au Mont du Temple et comment un temple peut-il y être construit ? Certainement pas par un moyen légal.
Ces pierres sont une provocation que le gouvernement d'Israël ne fait pas cesser. Une négligence et une passivité qui conduisent à la conviction qu'une éventuelle réaction musulmane à la provocation aurait donné à Israël un prétexte pour s'emparer du contrôle total du Saint Bassin - les propriétés qu'Israël envisage d'incorporer dans une Grande Jérusalem.
L'absence d'un passé historique vérifiable
Depuis des décennies, les autorités israéliennes parlent d'une Jérusalem unifiée - en suggérant une qualité spirituelle à leur message - comme si Israël voulait que le foyer des trois religions monothéistes soit solide et stable. Dirigée par une autorité centrale, Jérusalem unifiée permettrait de préserver un patrimoine commun et antique. Toutefois, en insistant sur le mot « unifiée », Israël masque l'absence d'un passé historique vérifiable qui pourrait le justifier, un passé qui lui donnerait plus de poids pour tout intégrer dans une Grande Jérusalem artificielle à l'intérieur de ses frontières. Cumulée à ses incohérences et ses contradictions, l'impatience d'Israël à créer une Grande Jérusalem sous son contrôle total devient suspecte. Cette concentration intensive sur une Jérusalem « unifiée » révèle un agenda caché qui ternit le regroupement religieux et au contraire accentue la division, la haine et le différend.
Jérusalem-Ouest, c'est une autre question. Avec un banditisme prolifique et les portes de la Vieille Ville fermées avant la tombée de la nuit, vivre à l'extérieur des portes de la ville ne tentait pas la population. Toutefois, le riche philanthrope Moïse Montefiore a voulu attirer la population juive vers des environnements nouveaux, et il a construit la première communauté juive à l'extérieur de la Vieille Ville - les premières maisons de Yemin Moshe ont été terminées en 1860. C'est depuis cette date que la présence juive a joué un rôle dans la création de Jérusalem-Ouest.
Examinons le Saint Bassin. Le Saint Bassin englobe des institutions parfaitement identifiées comme chrétiennes et musulmanes, et des lieux saints dont la localisation est historique depuis des millénaires. Même si des peuples de confession juives ont été présents de façon importante à Jérusalem durant les siècles de la Jérusalem biblique, notamment pendant les règnes du roi Hezekiah et des dynasties Hasmonean, leur domination et leur présence ont été interrompues pendant deux mille ans.
Des commentaires propagés largement ont permis de laisser croire que ces 2 000 ans d'absence de domination et de présence n'ont jamais existé et qu'aujourd'hui, ce n'était qu'un bref moment des années d'Hezekiah. On trouve quelques vestiges d'habitations et de thermes traditionnels juifs mais il y a peu ou pas de monuments juifs importants, de bâtiments ou d'institutions de la période biblique qui existent dans la « Vieille Ville » de la Jérusalem d'aujourd'hui. Le Mur occidental souvent évoqué n'est pas directement lié au second Temple. Rien ne reste du Temple juif qui a été localisé à Jérusalem, pas même une pierre.
Selon l'écrivain religieux Karen Armstrong, les juifs de Jérusalem n'allaient pas priaient pas au Mur occidental jusqu'à ce que les Mamelouks leur permettent de sortir leurs congrégations du dangereux Mont des Oliviers et d'aller prier quotidiennement au Mur, au 15ème siècle. A cette époque, elle estime qu'il pourrait ne pas y avoir plus de 70 familles juives à Jérusalem. Quand les Ottomans ont remplacé les Mamelouks, Soliman le Magnifique a publié un décret officiel au 16ème siècle qui permettait aux juifs d'avoir un lieu de prière au Mur occidental.
Le seul symbole important qui reste de la présence juive dans la ville sainte de Jérusalem est son quartier juif, qu'Israël a vidé des Arabes et reconstruit après 1967. Au cours de ses opérations de nettoyage, Israël a démoli le quartier maghrébin contigu au Mur occidental, détruit la mosquée Al-Buraq et la tombe du Sheikh Al-Afdhaliyah, et déplacé environ 175 familles arabes.
Même si la population juive dans les siècles précédents a occupé une grande partie de la Vieille Ville (on l'estime à 7 000 juifs au milieu du 19ème siècle), les juifs ont quitté petit à petit la Vieille Ville et ont migré vers les nouveaux quartiers de Jérusalem-Ouest, ne laissant environ que 2 000 juifs dans la Vieille Ville. Le contrôle jordanien, après la guerre de 1948, a ramené ce nombre à zéro. En 2009, la population du quartier juif de la Vieille Ville est montée à 3 000, soit 9% de la population de la Vieille Ville. La population est essentiellement constituée de chrétiens, arméniens et musulmans et c'est dans leurs quartiers que l'on trouve presque tous les commerces de la Vieille Ville.
Simplement un centre administratif public
Dans une tentative de rattacher l'Israël antique à la Jérusalem actuelle, les autorités israéliennes continuent de fixer des labels inventés aux repères du Saint Bassin, tout en prétendant que la falsification émane des Byzantins. Les vestiges les plus anciens de la Tour du roi David, par exemple, ont été construirs plusieurs centaines d'années après le règne de David selon les dates de la Bible. Aujourd'hui, c'est manifestement un minaret islamique. Les restes les plus anciens de la citadelle du roi David remontent à la période Hasmonean (200 ans avant J.-C.). La citadelle a été entièrement reconstruite par les Ottomans entre 1537 et 1541.
La tombe du roi David, dans l'Abbaye de la Dormition, est un cénotaphe recouvert d'un tissu (pas des ruines) en l'honneur du roi David. Il est seulement supposé, sans l'avoir vérifié, que le cercueil concerne bien David. Les Bassins de Salomon, situés dans un village proche de Bethléhem, sont considérés comme un élément d'une construction romaine de l'époque du règne d'Hérode le Grand. Les bassins fournissaient en eau un aqueduc qui l'acheminait jusqu'à Bethléhem et Jérusalem. Les Ecuries de Salomon, sous le Mont du Temple, sont supposées être des sous-sols voûtés que le Roi Hérode aurait construits afin d'étendre la plate-forme du Mont du Temple. La tombe d'Absalom est manifestement un édifice grec sculpté et par conséquent ne peut être la tombe du fils de David.
La cité de David renferme des objets qui datent d'avant et pendant l'époque de David. Cependant, certains archéologues soutiennent que leur nombre est insuffisant pour conclure à une présence israélite, y compris celle du Roi David, avant la fin du IXème siècle. En tous les cas, s'il y eut présence israélite, ce fut une implantation de petite dimension et non fortifiée.
Le parc archéologique de Jérusalem, dans la Vieille Ville, et le Centre Davidson d'exposition et de reconstruction virtuelle racontent la même histoire. Promettant de révéler la civilisation hébraïque, les musées en réalité n'apportent que peu d'éclairage à son sujet. Le Centre Davidson met en valeur une exposition de pièces de monnaie, des bols et des vases en pierre de Jérusalem. Le parc archéologique dans la Vieille Ville contient de nombreux éléments, dont des constructions hérodiennes, des thermes traditionnels, un étage d'un palais d'Umayyad, une voie romaine, des portes ottomanes et la façade de ce que l'on appelle l'Arche de Robinson, une entrée hérodienne supposée pour le Mont du Temple. Cependant, les expositions ne montrent pas beaucoup, s'il en fut, de constructions ou institutions anciennes hébraïques d'une importance particulière.
Des archéologues éminents, après examen de cavités qui renferment des fragments de poteries et de constructions, sont arrivés également à la conclusion que les découvertes archéologiques n'apportaient pas la preuve de l'histoire biblique de Jérusalem et de son importance durant les périodes d'un royaume juif unifié sous David et Salomon.
Margaret Steiner, par exemple, dans son article, « Ce n'est pas ici : l'archéologie prouve une négative », dans la Revue Archéologie biblique de juillet/août 1998, déclare qu' « à partir du Xème siècle avant J.-C., il n'y a aucune preuve archéologique que beaucoup de personnes ont vécu en réalité dans Jérusalem, seulement que c'était une sorte de centre administratif public... Nous n'avons rien trouvé qui indique qu'une cité a existé ici durant les règnes supposés (de David et Salomon)... Il semble improbable que cette Jérusalem ait été la capitale d'un grand Etat, une Monarchie unifiée, comme décrite dans les textes bibliques. »
D'autres institutions - grecques, orthodoxes, s'y sont par la suite hasardées et on commencé à acquérir des propriétés dans une Jérusalem-Ouest en développement.
En 1948, après que l'armée israélienne se soit emparée de Jérusalem-Ouest, le nouveau gouvernement israélien a confisqué toutes les propriétés de Jérusalem-Ouest possédées par les institutions musulmanes. La raison avancée était que c'était des « propriétés ennemies ». Il ne reste à Jérusalem-Ouest, aujourd'hui, que peu de musulmans, et aucune mosquée.
Pourtant, il y avait une contradiction. En attaquant et en procédant à un nettoyage ethnique des communautés arabes chrétiennes de Deir Yassin et d'Ein Kerem, les forces israéliennes montraient qu'elles voyaient les Palestiniens chrétiens comme des ennemis. Pour autant, Israël n'a pas saisi les propriétés chrétiennes, dont beaucoup sont visibles à Jérusalem-Ouest. L'Eglise grecque orthodoxe possède de vastes propriétés à Jérusalem-Ouest, dont beaucoup sont marquées par le symbole « T » dans un « O » ... » (tau + phi), interprété par le mot « Sépulcre ».
Une autre contraction vient du fait qu'Israël s'est occupé du cimetière juif sur le Mont des Oliviers et l'a agrandi en tant que site patrimonial. Une partie du célèbre cimetière musulman Mamilla, à Jérusalem-Ouest, a été classé comme bien de réfugiés et Israël se prépare à le démolir pour y construire le nouveau Musée de la Tolérance.
Jérusalem-Est recèle davantage de contradictions. Les mises en garde répétées des dirigeants israéliens affirmant que la co-existence n'est pas réalisable et qu'il est nécessaire de séparer les communautés juives et palestiniennes est contredite par la volonté d'Israël d'incorporer Jérusalem-Est à Israël. L'incorporation signifierait accepter quelque part entre 160 000 et 225 000 Palestiniens dans un Etat juif.
Où iraient-ils ? Les vieux quartiers juifs historiques de Jérusalem-Ouest ont vu leurs spécificités méticuleusement entretenues, ou ont été reconstruits dans leur style original, alors que les vieux quartiers arabes de Jérusalem-Est ont été totalement négligés (tout le Jérusalem-Est arabe est négligé) ou détruits. Combien de dégradations et de destructions les Palestiniens pourront-ils supporter avant de se décider à partir ?
Les constructions de maisons juives dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est se poursuivent, ainsi que les démolitions de maisons arabes, déclarées construites ou acquises illégalement. Sur 44 dunums (4,4 hectares) de terrain saisis à des familles palestiniennes, une entreprise privée a construit la communauté gardiennée de Nof Zion, et a opportunément séparé le quartier palestinien de Jabal Al-Mukabir des autres secteurs de Jéruselem-Est. Pas la peine pour les Arabes d'y souscrire. Les copropriétés d'un million de dollars sont annoncées pour les actionnaires américains.
Le ministère de l'Intérieur israélien a approuvé un projet de démolition d'un jardin d'enfants et d'un marché de gros dans le quartier Wadi Joz de Jérusalem-Est afin de construire un nouvel hôtel à proximité de la Vieille Ville et du Musée Rockefeller. La conséquence en sera la démolition d'un quartier arabe et son remplacement par des intérêts juifs, qui rejoindront un jour d'autres intérêts juifs.
Ce ne sont là que deux exemples d'un plan directeur visant à remplacer une présence arabe séculaire à Jérusalem-Est par une présence juive moderne. La présence arabe antique est encore plus divisée avec le Mur d'annexion, qui traverse le paysage de Jérusalem-Est et détache Jérusalem-Est de la Cisjordanie, rendant improbable un Etat palestinien qui aurait sa capitale à Jérusalem-Est.
Le plan directeur repousse les limites de Jérusalem pour y inclure l'importante colonie israélienne (une ville) de Maale Adumim. Entre Maale Adumim et Jérusalem-Est, Israël propose de construire un couloir, le Couloir E1 (*), qui reliera les colonies dans un cercle et séparera davantage Jérusalem-Est de la Cisjordanie. Le Couloir E1 coupera le nord du sud de la Cisjordanie, et entravera le transit direct entre la Bethléhem palestinienne, au sud d'E1, et la Ramallah palestinienne, au nord d'E1. La construction du Couloir E1, sur des zones qui appartiennent aux Palestiniens, pourrait ainsi empêcher la formation d'un Etat palestinien viable.
L'agenda caché
Si Israël détruit le patrimoine de Jérusalem et assujettit sa signification spirituelle, pourquoi Israël veut-il unifier Jérusalem ?
Israël est un pays géographiquement petit et relativement nouveau avec une population impatiente et très ambitieuse. Il a besoin de plus de prestige et veut être considéré comme quelqu'un qui a du pouvoir sur la scène mondiale. Pour y parvenir, Israël a besoin d'une ville capitale qui impose le respect, possède des traditions antiques et soit reconnue comme l'une des cités dirigeantes du monde. Presque toutes les grandes nations du monde, de l'Egypte à l'Allemagne et à la Grande-Bretagne, ont comme capitale une grande cité. Pour réussir dans ses objectifs, Israël veut une grande Jérusalem qui comprenne la Vieille Ville.
Cependant, ce n'est pas tout. Jérusalem représente un marché touristique important qui pourrait être développé. Elle pourrait fournir de nouveaux débouchés commerciaux en position de porte pour tout le Moyen-Orient. Une Jérusalem indivisible sous contrôle israélien vaudrait un paquet de shekels.
Israël entre en concurrence avec les Etats-Unis pour être le centre du peuple juif. Il a besoin d'une Jérusalem unifiée pour gagner sa reconnaissance comme foyer du judaïsme. En contrôlant tous les lieux saints, Israël s'impose à l'attention des dirigeants musulmans et chrétiens. Ceux-ci seraient contraints de parler avec Israël, et Israël serait en position avantageuse pour négocier dans les conflits.
Quoi qu'obtienne Israël, il y a négation des Palestiniens. Même si Israël accepte la création d'un Etat palestinien, il orientera sa politique pour limiter l'efficience de cet Etat. Etant donné que Jérusalem-Est et ses lieux saints profitent grandement à l'économie palestinienne et accroissent la légitimité de la Palestine, Israël fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que Jérusalem-Est soit concédée au nouvel Etat de Palestine. Une Jérusalem « indivisible » rentre dans cette bataille.
Jérusalem-Ouest n'apporte à Israël qu'une capitale Nord/Sud. Une Jérusalem indivise permettrait à Israël de regarder plus avant vers une capitale Est/Ouest, ou une capitale centralisée pour la terre des tribus juives bibliques antérieures.
Les idéaux socialistes sionistes et le mouvement coopératif kibboutzim ont reçu le soutien d'idéalistes à travers le monde pendant de nombreuses années. Le lien d'Israël avec la tragédie de l'Holocauste a accru cette sympathie et ce soutien. Avec la fin du rêve sioniste, le déclin de la vie de kibboutz, et la vulgarisation de l'Holocauste, Israël a besoin d'un nouveau symbole d'identité captant l'intérêt du monde.
Si Israël a des revendications légitimes sur Jérusalem, alors elles doivent être entendues et débattues dans un forum ad hoc. Cependant, ce n'est pas ce processus qui est en route. Au lieu de cela, le gouvernement israélien se sert de procédures illégales et illégitimes, autant que de méthodes mensongères et hypocrites, pour forcer l'agenda. Israël vise bien moins à présenter son dossier qu'à exercer son pouvoir pour fouler aux pieds toutes considérations légales, morales et historiques.
Dans le Musée de la Citadelle de David, on peut lire une inscription : « La terre d'Israël est le centre du monde, et Jérusalem est le centre de la terre d'Israël ».
Cette autosatisfaction a résonné dans un café de Jérusalem-Ouest récemment, au cours d'une conversation que j'avais avec plusieurs Israéliens. Un jeune Israélien assis à la table s'est mêlé brusquement à la conversation en disant « Le monde regarde vers Jérusalem. Jérusalem est le centre du monde, et Jérusalem est la capitale d'Israël. Tout le monde a besoin de Jérusalem, et tout le monde devra parler avec Israël. »
C'est pour cela que, désespérément, Israël veut sa Grande Jérusalem.
L'auteur est rédacteur en chef d'Alternative Insight, une lettre d'infos en ligne.
Al-Ahram Weekly - 16 au 22 juillet 2009 - Issue No. 956 - traduction et sous-titrage : JPP http://www.info-palestine.net