mardi 18 août 2009 - 07h:54
Generaldelgation Palaestinas
Khaled Misbah Al Attar est devenu taciturne. Il caresse le jeune figuier qu’il a planté il y a trois mois, juste derrière le tas de décombres qui naguère était sa maison. « Je suis fier de notre combat, mais je ne veux plus payer ce prix » murmure-t-il. « Chaque matin, quand je regarde mon ancienne maison, j’ai les larmes aux yeux ».
En janvier, peu après la guerre de 22 jours entre Israël et le Hamas, cet adhérent de 55 ans à l’organisation islamique radicale se faisait encore photographier, fier et provocant, sur le toit de la maison démolie de la petite ville de BethLahia, avec sa petite-fille Mariam. A présent la plupart du temps il est assis, tourné en lui-même, devant un petit conteneur résidentiel offert par la Turquie, mais inhabitable à cause de la chaleur estivale. L’un de ses quatre fils a perdu la vie au combat.
40 personnes vivent maintenant entassées au deuxième étage du second immeuble de la famille. Les trous de la taille d’un homme dans les pièces du premier étage que des soldats israéliens ont fait sauter quand ils y étaient retranchés, ont été refermés. Leurs graffitis dans l’entrée et dans le séjour, Al Attar veut les recouvrir dans les prochaines semaines, quand il aura réuni l’argent pour acheter de la peinture.
En ces jours troublés de l’après-guerre, on pouvait entendre crier Imam Abou Amira, 8 ans, dès la cage d’escalier de l’hôpital Schifa, lorsqu’il fallait lui changer les pansements de ses jambes brûlées. La grand-mère s’efforçait de consoler l’enfant grièvement blessée. Avec de nouveaux soins et une injection calmante, la petite avait alors une bonne heure avant de se rendormir, épuisée.
Deux mois plus tard, elle a pu sortir pour aller dans le camp appelé Beach Camp, le plus grand camp de réfugiés de la bande de Gaza. A l’école, malgré le temps qu’elle a perdu, elle fait partie des meilleurs élèves. Jour et nuit elle doit porter des pantalons spéciaux afin que sa peau ravagée reste aussi douce que possible et ne démange pas. »Imam a honte de montrer ses blessures à ses amies » dit la mère. La nuit, sa fille se réveille souvent et crie. « Quand je lui demande ce qui se passe, elle dit qu’elle ne veut pas en parler ».
Gaza, six mois après la fin de la guerre : les tirs ont cessé, mais les explosions résonnent toujours - dans les petites têtes et dans les grandes, dans les pensées et dans les rêves. Beaucoup d’enfants sont devenus tellement agressifs que même les collaborateurs du service psychologiques capitulent devant eux.
Parmi les plus âgés, beaucoup n’arrivent pas à comprendre que Gaza n’est plus comme avant, alors que tout est exactement comme avant. Les plages sont bondées, tous les deux à trois cents mètres il y a un support de bois avec des bouées multicolores. En matière de cerfs-volants, Gaza tient sans doute le record mondial. Deux vieux conteneurs dans lesquels on a meulé des fenêtres servent de cuisine à un camp d’été pour les enfants. Dans la demi-douzaine d’hôtels le long de la promenade de Gaza-Ville, chaque soir des noces vont bon train.
Mais la cage de 360 kilomètres carrés avec 1,5 million d’habitants qu’est Gaza est tout aussi hermétiquement fermée que depuis 2007. Dans le ciel, des avions à réaction israéliens patrouillent ostentatoirement. La zone pour les bateaux de pêche a encore été réduite, de six à trois milles marins. Et le long de la frontière intérieure, comme toujours, les services secrets israéliens fait aller et venir ses dirigeables, dont les caméras de haute technologie gardent l’œil sur tout. Mais l’attention internationale, elle, s’est détournée depuis longtemps, vers l’Afghanistan, vers Wall Street, vers Teheran.
Selon les données palestiniennes, 1417 habitants de Gaza sont morts pendant les trois semaines de la guerre, et parmi eux 313 enfants. Il y eu plus de 5.000 blessés. « Peut-être que l’opinion internationale n’a pas encore bien compris ce qui s’est déroulé ici. Peut-être aussi qu’elle ne veut rien savoir » suppute Eyad al-Sarraj, un psychologue pour enfants bien connu. « une guerre comme celle-là, il n’y en a encore jamais eu. Il n’y avait aucun endroit sûr, pas moyen d’échapper, pour personne » dit-il, tandis qu’un F16 rugit en survolant son jardin. « Chaque fois j’imaginais que je pouvais être le suivant. Les gens ont plein le dos de la guerre et du blocus, dit-il. Ils veulent vivre enfin une vie normale ».
Car l’exiguïté de Gaza étouffe les enfermés et rend tout encore plus étriqué. « Quand tu vis dans une cage, tout se met à devenir suspect autour de toi » dit Ahmed Youssouf, co-fondateur du Hamas et conseiller auprès du chef du gouvernement Ismaïl Hanié . Cet homme de 59 ans a vécu 18 années aux USA. « J’ai eu de la chance », c’est ainsi qu’il voit les choses aujourd’hui.
Deux de ses frères ont travaillé de nombreuses années en Israël, ils connaissent le hébreu. Aujourd’hui ils vivent à Miami et ont les meilleures relations avec la communauté juive locale. « Voyager, c’est comme se poster sur une colline. L’horizon s’étend, et soudain tu vois plein de choses avec d’autres yeux ».
Le politicien du Hamas a écrit 24 livres, son dernier lui aussi parle à nouveau du conflit israélo-palestinien. « Depuis un toit à Rafah, quand un missile est tombé, j’ai vu deux personnes voler en flammes à 25 mètres de haut - cette scène-là, je m’en souviendrai jusqu’à la fin de mes jours ».
Depuis le bureau de Youssouf au onzième étage, la vue porte loin sur la Méditerranée. « Il nous faut plus d’air frais, il y a beaucoup de gens crucifiés chez nous » dit-il. « Leur univers n’est fait que de souffrance et de mort, de révolte et de combat ».
L’un de ces crucifiés est Abou Halid, comme il se nomme. Il a un bon visage rond, aime rire et en d’autres circonstances il serait devenu un type très bien. Depuis 2003 il fait partie des Brigades Kassam, le bras armé du Hamas. La guerre, il l’a passée avec des dattes, de la viande en conserve et de l’eau dans des tunnels militaires sous la terre.
Sur la terre, il était et il est toujours policier. Dans un étui de cuir noir il porte une Kalachnikov qu’il déplie en deux gestes prestes. « Nous ne croyons pas que la guerre soit finie. Cela va continuer » dit-il. Son unité s’entraîne déjà avec de nouvelles armes - des projectiles perceurs de blindages, de fabrication chinoise, des missiles Stinger et des fusils de précision. Et dans les forges à missiles souterraines, ses compagnons d’armes bricolent des missiles censés pouvoir voler jusqu’à Tel Aviv.
Abou Halid est l’aîné de onze frères et deux soeurs - un mauvais exemple, estime sa mère. « Tu contamines tes frères avec la violence, et nous devons tous en payer le prix » lui reproche-t-elle sans cesse. Une fois dans sa vie cet homme de 23 ans est allé à l’étranger, C’était en 2006, quand des centaines de milliers de Palestiniens ont forcé la frontière à Rafah. Abou Halid est allé jusqu’à El Harish en Egypte, à 30 kilomètres de la barrière. Il s’est payé un poisson dans un snack, et le soir il est retourné dans sa bande de Gaza en stop. L’étranger, il l’imagine merveilleux : « Il y a tout le chocolat qu’on veut, et assez de ciment » s’extasie-t-il.
Le ciment, la gouvernement israélien n’en a pas autorisé le moindre sac depuis la fin de la guerre, malgré toutes les destructions, de même pour les vitres, les pièces de rechange, les ordinateurs et bien d’autres choses dont Gaza a un besoin pressant. Partout dans les rues on voit des feuilles de plastique en guise de fenêtres. Les gravats ont été déblayés, mais pas une seule des quelque 14.000 maisons bombardées n’a pu être reconstruite jusqu’à présent. Une partie des sans abri vivent sous tente, la plupart logent en toute exiguïté chez des parents.
Avant 2007, il y avait 3.900 entreprises à Gaza, la plupart de moins de quatre employés, dit l’expert économique Omar Shaban, dirigeant de Palthink, un think-tank palestinien, et de l’organisation caritative catholique Caritas à Gaza. 3.500 d’entre elles ont dû fermer à cause du blocus israélien, parce qu’elles dépendaient de l’importation de matières premières d’Israël. « Quant à l’infrastructure industrielle - machines, locaux et véhicules- c’est la guerre, ensuite, qui l’a anéantie ».
Selon l’estimation de Shaban il faudra au moins quatre milliards de dollars et dix années « avant de retrouver le niveau économique de l’an 2000, donc avant la deuxième Intifada ». De l’aide en milliards promise par la conférence internationale sur Gaza à Charm-el-Cheikh en mars dernier, pas un centime n’est encore parvenu dans la bande côtière dévastée. Seule une aide d’urgence a été payée par le gouvernement du Hamas : 4.000 dollars pour une maison détruite, 1.000 dollars pour un parent tué.
Entre temps la plupart ont utilisé cet argent, notamment la paysanne Sabah Abu Halima, dont la famille a en outre été soutenue par le gouvernement avec six quintaux de plants de pommes de terre. Deux bombes au phosphore avaient transpercé le toit en béton de sa maison. Son mari, trois fils et une fille ont été tués sur le coup, une bru est morte quatre mois plus tard à l’hôpital en Egypte. Dans l’entrée, les fils survivants ont couvert de peinture blanche le sang répandu. La cuisine est toujours d’un noir charbonneux, les câbles électriques fondus y ont laissé de minces lignes blanches.
« Les trois premiers jours, Madame Halima, dans son lit d’hôpital, n’a pas cessé de nous supplier d’aider son mari et ses enfants » se souvient le chef de la chirurgie plastique de l’hôpital Schifa, Nafiz Abou Shaban. Personne n’a pu la calmer, ni les médecins, ni le psychologue. « Finalement, nous avons conduit cette femme grièvement brûlée au cimetière, pour lui montrer les tombes ».
Shaban a été formé en Ecosse et aux Etats-Unis. « La guerre a été un tournant dans ma vie » dit cet homme de 53 « ans. « Voir mon peuple brûler à mort, cela m’a totalement chamboulé ». Sa maison a vibré comme sous un tremblement de terre. « Tous les jours, j’étais sûr que j’allais mourir ».
Avant la guerre il se disait : « Sois réaliste, nous devons vivre en paix avec les Israéliens ». Il avait des contacts avec beaucoup de médecins juifs, mais après la guerre plus personne ne l’a contacté. Et à Gaza il y a encore tellement de brûlés que la liste d’attente pour les opérations porte sur plus d’un an.
Son pacte intérieur en faveur de la raison politique, Nafiz Abu Shaban l’a résilié : « Avec un tel peuple, on ne peut pas vivre ensemble » dit-il à voix basse à la fin de l’entretien. Il est près de minuit, sa Toyota blanche est la dernière sur le parking devant l’entrée principale de la clinique. Les maudits restes de phosphore que le médecin-chef a recueillis sur la rue pendant la guerre sont toujours dans son bureau - conservés dans une boîte de métal beige pleine de sable. Il n’y a qu’à écarter le sable, dit-il, et cela brûlera de nouveau.
11 août 2009 - Die Zeit - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.palaestina.org/news/beit...
Traduction de l’allemand : Marie Meert