Cisjordanie - 08-08-2009 |
L'article original est paru dans The Faster Times le 6 août 2009.
Ceci est la photo d’une page d’un passeport français, dont le détenteur est passé de Jordanie en Cisjordanie sous occupation israélienne par le carrefour frontalier de Pont Allenby. On y voit un tampon délivré par Israël qui fournit au titulaire du passeport un visa de tourisme de trois mois. Ce qui rend toutefois ce tampon unique, c’est que les officiers israéliens de la frontière qui l’ont apposé semblent appliquer une nouvelle mesure sur la liberté de circulation de son détenteur.
C’est la mention « Autorité palestinienne seulement » sur le tampon qui le rend unique.
Les visas israéliens de tourisme ne restreignaient pas la liberté de mouvement des touristes autorisés à entrer dans le pays et qui venaient de pays avec lesquels Israël a des relations diplomatiques et des accords réciproques concernant les voyages. Ce qui signifie que dès lors que quelqu’un était autorisé à entrer dans le pays, il pouvait voyager librement où il voulait, qu’il choisisse de visiter la ville israélienne de Tel Aviv, ou la ville palestinienne de Naplouse, en Cisjordanie occupée.
Le mention « Autorité palestinienne seulement » restreint énormément cette liberté de mouvement et défait ainsi l’ancien accord. Il empêche essentiellement de voyager dans les zones de l’Israël d’avant 1967, ainsi que dans les secteurs sous contrôle israélien en Cisjordanie occupée, dontJérusalem Est.
Israël exerce un contrôle total sur plus de 59% de la Cisjordanie – les secteurs appelés « Zone C ». [La zone C inclut les colonies israéliennes illégales implantées en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est, qui reste sous le contrôle de l’État sioniste, ndt.]
Il exerce de plus un contrôle sécuritaire sur 24 autres % de la Cisjordanie (Zone B), l’Autorité palestinienne y contrôlant les affaires civiles. [La zone B comprend les autres zones de Cisjordanie (autres bourgades et camps de réfugiés) dans lesquelles l’Autorité palestinienne exerce des compétences civiles, la sécurité intérieure étant exercée conjointement avec les forces israéliennes d'occupation, ndt.]
Le seul secteur que l’AP contrôle totalement, et que le détenteur de ce tampon est donc autorisé à visiter, est la Zone A, qui comprend les 17% restant de la Cisjordanie. [La zone A comprend Gaza ainsi que les villes de Jéricho, Jénine, Qalqilya, Ramallah, Tulkarem, Naplouse, Bethléem (la ville d’Hébron a fait l’objet d’un accord distinct en janvier 1997) sur laquelle l’Autorité palestinienne exerce une juridiction civile incluant les pouvoirs de police, ndt.]
La Zone A n’a cependant pas d’une unité territoriale, mais est divisée en 13 secteurs non contigus.
De plus, l’armée israélienne envahit continuellement ces Zones A pour arrêter des Palestiniens, ridiculisant le contrôle palestinien dans ces endroits.
C’est la fragmentation de la juridiction de l’AP en Cisjordanie qui induit la comparaison avec les Bantoustans de l’Afrique du Sud Apartheid. Les Bantoustans étaient de faux Etats établis par le régime blanc d’apartheid pour appliquer la nature ségrégationniste de l’apartheid, de contrôler la population noire, tout en la privant de ses droits, en particulier vis-à-vis de l’expropriation de ses terres et de ses ressources.
Dans un discours récent, John Dugard, l’ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires Palestiniens Occupés, a fait directement la comparaison. Dugard, qui est sud-africain et professeur de droit international, notait :
« Y a-t-il des Bantoustans en Cisjordanie ? Je pense que la réponse à cette question est oui. Nous y constatons une fragmentation territoriale semblable à celle qu’avait mise en place le gouvernement sud-africain en terme de sa politique de Bantoustan. Nous constatons, tout d’abord, qu’une très claire séparation est faite entre la Cisjordanie et Gaza. Mais à l’intérieur de la Cisjordanie elle-même, nous constatons une séparation en essentiellement trois territoires ou plus, et quelques enclaves additionnelles avec un centre, au nord et au sud. Et il est parfaitement clair que le gouvernement israélien aimerait bien voir l’Autorité Palestinienne comme une sorte de régime fantoche de Bantoustans. »
Les restrictions de voyage d’Israël dans les secteurs de l’AP sont quelque peu contradictoires. Les visiteurs semblent pouvoir aller dans les zones A mais pour ce faire, doivent traverser des secteurs sous contrôle israélien (Zone C). Il semble donc que les visiteurs aient le droit de sauter d’un « ilot » de la Zone A à un autre, mais sans se faire prendre au milieu.
De plus, cette même restriction de voyager équivaut à un pays qui émettrait un visa pour une zone spécifique de son pays, mais pas pour sa totalité. Le parallèle serait par exemple que les USA émettent un visa seulement pour Harlem, à majorité noire, à Manhattan, ou pour la réserve Mashantucket Pequot dans le Connecticut.
Il se trouve que c’est une violation de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995 (appelé également « Oslo II » ou « Taba »), qui déclare que « Les touristes pour la Cisjordanie et la Bande de Gaza venant de pays qui ont des relations diplomatiques avec Israël, et qui ont traversé par un passage international, ne devront pas passer d’autre contrôle d’entrée avant d’entrer en Israël. » [Annexe 1, article IX « Circulation vers, à l’intérieur et à l’extérieur de la Cisjordanie et la Bande de Gaza », 2 (e)].
Pour autant que je sache, ce tampon a commencé à être apposé le mois dernier, et aucun organe palestinien ou international, officiel ou de la base, n’a parlé publiquement du phénomène, dont on ne connaît pas l’étendue.
Le tampon a également été apposé sur le passeport d’au moins un citoyen américain, comme l’atteste la photo (ici).
Dans ce cas, le visiteur n’a obtenu qu’un visa d’une semaine dans les zones de l’Autorité Palestinienne, montrant clairement qu’Israël a le pouvoir non seulement de décider des secteurs où peuvent aller les visiteurs, mais également du temps qu’ils peuvent y passer.
Bien que la raison pour laquelle Israël a décidé d’émettre cette nouvelle sorte de visa ne soit pas claire, on peut discerner certaines choses en évaluant la politique globale d’Israël envers les Palestiniens, ainsi qu’envers ceux qui veulent aller dans les secteurs où ils vivent.
Israël souhaite réguler strictement les déplacements des visiteurs qui viennent dans le pays, en particulier de ceux qui sont curieux de voir la Cisjordanie. Bien qu’il soit vraisemblable qu’il justifie sa règlementation pour les zones sous contrôle de l’AP seulement par des prétextes sécuritaires, ça ne colle pas vraiment parce que pour aller dans une zone de l’AP, vous devez passer par une zone sous contrôle israélien. Même si ce visa garantit que la sécurité israélienne ne peut être violée dans l’Israël d’avant 1967, rien n’empêche la violation de la sécurité dans les zones sous contrôle israélien en Cisjordanie, dont les secteurs de colonies israéliennes et les rocades des colonies, que les colons juifs et l’armée israélienne d’occupation utilisent.
On peut trouver ailleurs une justification plus probable. Israël délivre un visa pour un secteur juridictionnel (les « zones de l’Autorité Palestinienne ») que la puissance juridictionnelle nominale (l’Autorité Palestinienne) ne contrôle pas ou ne délivre pas elle-même. Il semblerait logique que l’Autorité Palestinienne délivre des visas pour ses propres secteurs. Mais l’AP n’a pas ce pouvoir, et Israël prend l’initiative de le faire en son nom, mais sans son accord.
Les répercussions de cette mesure sont à plusieurs niveaux.
Les « secteurs de l’Autorité Palestinienne » sont « raffermis » en tant qu’unité territoriale et juridictionnelle, alors qu’avant, ces zones ne devaient être que des zones temporaires de juridiction qui formeraient finalement la base d’un futur Etat palestinien, à négocier entre Israël et l’OLP.
En conséquence, sans la nécessité de négocier ce dernier et d’obtenir l’accord de l’AP pour les frontières réelles de son futur Etat (et tout ce qui découle en terme de souveraineté), Israël est en train, de fait, de transformer et d’élever un accord juridictionnel préexistant en une frontière de fait entre lui-même et les secteurs que l’Autorité Palestinienne « contrôle ». En bref, Israël émettrait un visa pour un Etat bantoustan, qui n’est pas encore officiellement déclaré, mais qu’il est de facto en train de créer par de telles mesures bureaucratiques.
Voir la carte du morcellement et de la division de la Cisjordanie occupée découlant des accords d’Oslo II (28.09.1995).
C’est la mention « Autorité palestinienne seulement » sur le tampon qui le rend unique.
Les visas israéliens de tourisme ne restreignaient pas la liberté de mouvement des touristes autorisés à entrer dans le pays et qui venaient de pays avec lesquels Israël a des relations diplomatiques et des accords réciproques concernant les voyages. Ce qui signifie que dès lors que quelqu’un était autorisé à entrer dans le pays, il pouvait voyager librement où il voulait, qu’il choisisse de visiter la ville israélienne de Tel Aviv, ou la ville palestinienne de Naplouse, en Cisjordanie occupée.
Le mention « Autorité palestinienne seulement » restreint énormément cette liberté de mouvement et défait ainsi l’ancien accord. Il empêche essentiellement de voyager dans les zones de l’Israël d’avant 1967, ainsi que dans les secteurs sous contrôle israélien en Cisjordanie occupée, dontJérusalem Est.
Israël exerce un contrôle total sur plus de 59% de la Cisjordanie – les secteurs appelés « Zone C ». [La zone C inclut les colonies israéliennes illégales implantées en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est, qui reste sous le contrôle de l’État sioniste, ndt.]
Il exerce de plus un contrôle sécuritaire sur 24 autres % de la Cisjordanie (Zone B), l’Autorité palestinienne y contrôlant les affaires civiles. [La zone B comprend les autres zones de Cisjordanie (autres bourgades et camps de réfugiés) dans lesquelles l’Autorité palestinienne exerce des compétences civiles, la sécurité intérieure étant exercée conjointement avec les forces israéliennes d'occupation, ndt.]
Le seul secteur que l’AP contrôle totalement, et que le détenteur de ce tampon est donc autorisé à visiter, est la Zone A, qui comprend les 17% restant de la Cisjordanie. [La zone A comprend Gaza ainsi que les villes de Jéricho, Jénine, Qalqilya, Ramallah, Tulkarem, Naplouse, Bethléem (la ville d’Hébron a fait l’objet d’un accord distinct en janvier 1997) sur laquelle l’Autorité palestinienne exerce une juridiction civile incluant les pouvoirs de police, ndt.]
La Zone A n’a cependant pas d’une unité territoriale, mais est divisée en 13 secteurs non contigus.
De plus, l’armée israélienne envahit continuellement ces Zones A pour arrêter des Palestiniens, ridiculisant le contrôle palestinien dans ces endroits.
C’est la fragmentation de la juridiction de l’AP en Cisjordanie qui induit la comparaison avec les Bantoustans de l’Afrique du Sud Apartheid. Les Bantoustans étaient de faux Etats établis par le régime blanc d’apartheid pour appliquer la nature ségrégationniste de l’apartheid, de contrôler la population noire, tout en la privant de ses droits, en particulier vis-à-vis de l’expropriation de ses terres et de ses ressources.
Dans un discours récent, John Dugard, l’ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires Palestiniens Occupés, a fait directement la comparaison. Dugard, qui est sud-africain et professeur de droit international, notait :
« Y a-t-il des Bantoustans en Cisjordanie ? Je pense que la réponse à cette question est oui. Nous y constatons une fragmentation territoriale semblable à celle qu’avait mise en place le gouvernement sud-africain en terme de sa politique de Bantoustan. Nous constatons, tout d’abord, qu’une très claire séparation est faite entre la Cisjordanie et Gaza. Mais à l’intérieur de la Cisjordanie elle-même, nous constatons une séparation en essentiellement trois territoires ou plus, et quelques enclaves additionnelles avec un centre, au nord et au sud. Et il est parfaitement clair que le gouvernement israélien aimerait bien voir l’Autorité Palestinienne comme une sorte de régime fantoche de Bantoustans. »
Les restrictions de voyage d’Israël dans les secteurs de l’AP sont quelque peu contradictoires. Les visiteurs semblent pouvoir aller dans les zones A mais pour ce faire, doivent traverser des secteurs sous contrôle israélien (Zone C). Il semble donc que les visiteurs aient le droit de sauter d’un « ilot » de la Zone A à un autre, mais sans se faire prendre au milieu.
De plus, cette même restriction de voyager équivaut à un pays qui émettrait un visa pour une zone spécifique de son pays, mais pas pour sa totalité. Le parallèle serait par exemple que les USA émettent un visa seulement pour Harlem, à majorité noire, à Manhattan, ou pour la réserve Mashantucket Pequot dans le Connecticut.
Il se trouve que c’est une violation de l’Accord intérimaire israélo-palestinien de 1995 (appelé également « Oslo II » ou « Taba »), qui déclare que « Les touristes pour la Cisjordanie et la Bande de Gaza venant de pays qui ont des relations diplomatiques avec Israël, et qui ont traversé par un passage international, ne devront pas passer d’autre contrôle d’entrée avant d’entrer en Israël. » [Annexe 1, article IX « Circulation vers, à l’intérieur et à l’extérieur de la Cisjordanie et la Bande de Gaza », 2 (e)].
Pour autant que je sache, ce tampon a commencé à être apposé le mois dernier, et aucun organe palestinien ou international, officiel ou de la base, n’a parlé publiquement du phénomène, dont on ne connaît pas l’étendue.
Le tampon a également été apposé sur le passeport d’au moins un citoyen américain, comme l’atteste la photo (ici).
Dans ce cas, le visiteur n’a obtenu qu’un visa d’une semaine dans les zones de l’Autorité Palestinienne, montrant clairement qu’Israël a le pouvoir non seulement de décider des secteurs où peuvent aller les visiteurs, mais également du temps qu’ils peuvent y passer.
Bien que la raison pour laquelle Israël a décidé d’émettre cette nouvelle sorte de visa ne soit pas claire, on peut discerner certaines choses en évaluant la politique globale d’Israël envers les Palestiniens, ainsi qu’envers ceux qui veulent aller dans les secteurs où ils vivent.
Israël souhaite réguler strictement les déplacements des visiteurs qui viennent dans le pays, en particulier de ceux qui sont curieux de voir la Cisjordanie. Bien qu’il soit vraisemblable qu’il justifie sa règlementation pour les zones sous contrôle de l’AP seulement par des prétextes sécuritaires, ça ne colle pas vraiment parce que pour aller dans une zone de l’AP, vous devez passer par une zone sous contrôle israélien. Même si ce visa garantit que la sécurité israélienne ne peut être violée dans l’Israël d’avant 1967, rien n’empêche la violation de la sécurité dans les zones sous contrôle israélien en Cisjordanie, dont les secteurs de colonies israéliennes et les rocades des colonies, que les colons juifs et l’armée israélienne d’occupation utilisent.
On peut trouver ailleurs une justification plus probable. Israël délivre un visa pour un secteur juridictionnel (les « zones de l’Autorité Palestinienne ») que la puissance juridictionnelle nominale (l’Autorité Palestinienne) ne contrôle pas ou ne délivre pas elle-même. Il semblerait logique que l’Autorité Palestinienne délivre des visas pour ses propres secteurs. Mais l’AP n’a pas ce pouvoir, et Israël prend l’initiative de le faire en son nom, mais sans son accord.
Les répercussions de cette mesure sont à plusieurs niveaux.
Les « secteurs de l’Autorité Palestinienne » sont « raffermis » en tant qu’unité territoriale et juridictionnelle, alors qu’avant, ces zones ne devaient être que des zones temporaires de juridiction qui formeraient finalement la base d’un futur Etat palestinien, à négocier entre Israël et l’OLP.
En conséquence, sans la nécessité de négocier ce dernier et d’obtenir l’accord de l’AP pour les frontières réelles de son futur Etat (et tout ce qui découle en terme de souveraineté), Israël est en train, de fait, de transformer et d’élever un accord juridictionnel préexistant en une frontière de fait entre lui-même et les secteurs que l’Autorité Palestinienne « contrôle ». En bref, Israël émettrait un visa pour un Etat bantoustan, qui n’est pas encore officiellement déclaré, mais qu’il est de facto en train de créer par de telles mesures bureaucratiques.
Voir la carte du morcellement et de la division de la Cisjordanie occupée découlant des accords d’Oslo II (28.09.1995).
Source : Palsolidarity | |
Traduction : MR pour ISM |